JDN. Comment définiriez-vous
OCC Strategy Consultants ?
Philippe Kaas. OCC
travaille sur des questions de stratégie : structurer des marchés, trouver
les poches de croissance, identifier les domaines où l'on peut maintenir
la rentabilité. Les entreprises sont sous pression pour se développer
de façon rentable. La stratégie, c'est de les aider à le faire, quitte
à couper des morceaux et en acheter d'autres. Les fusions-acquisitions
représentent entre 20 et 40% de ce que fait un cabinet de conseil en stratégie.
Comment
est née la société ?
OCC a été créée par d'anciens associés de McKinsey, du
BCG et de Booz Allen, grosso modo. Nous en sommes partis en 1988-1989
pour créer un cabinet que nous souhaitions plus focalisé que les boites
d'où nous venions
et moins grand, parce qu'il y a une certaine valeur
à être moins grand. Cela permet surtout aux associés de passer plus de
temps avec les clients, alors que dans les grandes firmes, une grosse
partie du temps des associés ne sert qu'à assurer la co-gestion. Le conseil
disparaît un peu derrière le management interne. Chez les plus grands,
comme Accenture, les partners passent un temps fou, l'essentiel de leur
temps, dans la vente et la co-gestion. Alors que c'est quand même à priori
ces gens-là, qui ont entre dix et trente ans de métier, que le client
a envie de voir, qu'il pense avoir quand il contracte le cabinet et qu'il
ne voit plus pendant la mission.
Vous
avez combien de bureaux ?
Comme les Etats-Unis ne vont pas bien, de moins en moins
Onze bureaux, l'essentiel étant en Europe, un en Amérique du Sud et deux
aux Etats-Unis. Au plus haut de la vague technologique là-bas, nous avions
Los Angeles, Palo Alto et San Francisco. Nous avons tout rapatrié sur
Boston, notre bureau d'origine, et New York, un bureau plus dédié aux
institutions financières. Le marché américain a été très secoué par une
grosse récession, les secteurs les plus touchés ayant été le conseil en
business technologies et en banque-assurance. Nous étions peu dans le
deuxième mais beaucoup dans le premier. On a connu un extraordinaire boom
à partir de 1995 et puis on a pris de sacrés gadins à partir d'octobre
2000.
Quelles
sont vos spécialités ?
Nous travaillons avec les directions générales des grands
groupes ou de leurs grandes divisions, et nos sujets varient avec le temps.
Pendant les phases de récession, c'est "sur quoi je continue à investir
pendant que les autres ne peuvent pas, qu'est-ce j'abandonne, où est-ce
que je serre les boulons". En phase d'expansion, l'important est
de créer de nouveaux marchés, trouver de nouveaux canaux, racheter des
concurrents. L'Internet et les technologies avaient créé une énorme demande
de nos clients naturels qui voulaient qu'on les aide à rattraper le train.
C'était
une réaction craintive ou offensive ?
Un peu des deux. Certaines entreprises se trouvaient naturellement
dans cette mouvance, notamment avec le minitel, et voyaient que l'Internet
allait leur apporter une texture beaucoup plus parfaite. Pour elles, ça
n'a été qu'une question de financer correctement ces développements à
un moment où n'importe quel prestataire coûtait les yeux de la tête. Des
gens comme La Redoute ont très vite compris que c'était une technologie
indispensable. Mais chez les gens de l'alimentaire par exemple, la crainte
était réelle. Ils n'avaient pas vraiment besoin de s'exciter à faire des
sites Internet, mais leur conseil d'administration leur posait des questions.
En Europe, chez OCC, nous avons vu beaucoup de distributeurs se poser
ces questions, les Carrefour, Castorama, etc. Beaucoup de gens se sont
dit que dans la partie la plus visible, le BtoC, Amazon et les autres
allaient rendre les anciens acteurs obsolètes en développant une relation
clientèle que les énormes machines à vendre n'arrivaient plus à entretenir.
Donc tout le monde s'est lancé dans la réflexion sur l'ouverture d'un
site, comment le relier à ses magasins, comment surmonter le cauchemar
de la logistique. Et puis en octobre 2000, le sujet a changé
Et depuis
2002, tout s'est calmé. C'est devenu un canal de distribution pour certains,
une technologie d'e-mail pour d'autres, en fait un outil de travail dont
on ne sait pas très bien ce qu'on ferait si on ne l'avait pas..
Aujourd'hui,
quelles sont les spécificités d'OCC ?
Nous sommes beaucoup plus proches des clients.
Cela
veut dire quoi, concrètement?
Les associés sont vraiment sur les missions, ils y passent
80% de leur temps. Et puis, notre savoir-faire d'investigation de base
est très utile quand on veut comprendre comment se positionner face à
un concurrent, comment on va résister. Donc nous sommes très bons dans
les fusons-acquisitions, en aidant l'acquéreur. Les fonds de LBO, par
exemple, sont les grands acquéreurs depuis deux ou trois ans puisqu'ils
ont du cash alors que les entreprises industrielles et commerciales n'en
ont pas. Nous savons identifier les éléments porteurs des marchés dans
lesquels se trouve la cible, quelles potentialités elle a.
Quels
sont les principaux types de projets sur lesquels vous êtes impliqués
actuellement ?
Les projets de pré-acquisition et de post-acquisition,
notamment en Europe. C'est en ce moment le thème essentiel, 40 à 50% de
notre chiffre d'affaires. Ensuite, comme on est en récession, il reste
des projets autour de la productivité : comment regrouper des activités
qu'on avait toujours pensé pouvoir garder autonomes. Les achats et la
grande consommation sont une autre de nos grandes activités. Ainsi, en
apprenant à un client comment faire travailler son fournisseur, on peut
faire économiser 30% de coût au fournisseur et donc lui demander une remise
de 30%, et pas les 1% qu'il obtiendrait en tapant sur la table. Travailler
avec l'amont, c'est extraordinaire.
Quels
sont les thèmes porteurs en ce moment ?
Ils sont évidemment liés à la récession
et pour certains
clients, aux nouveaux segments à exploiter. Tout ce qui est loisirs ou
santé continue à croître plus vite que le reste. Dans les télécoms, la
consommation d'images et d'informations croit, mais elle se fait dans
des endroits de plus en plus divers et il n'est pas sûr qu'elle se fera
sur le téléphone. La grande question est "y a-t-il un marché pour telle
application?". C'est quand même ce qui a brûlé les doigts de tout le monde
: beaucoup se sont rués sur l'UMTS sans réfléchir à la demande.
Qui
sont vos clients ?
Nous travaillons pour un groupe qui n'utilise pourtant
plus beaucoup de consultants, France Telecom, mais je ne peux pas donner
de détails. Dans la distribution, nous travaillons avec Kingfisher et
Castorama. Nous avons été très impliqués dans toutes les tentatives d'acquisition
de But, de Darty. Nous avons aussi des compétences dans le livre et nous
avons beaucoup travaillé avec Hachette et VUP. Mais là, pour des raisons
que l'on comprendra, nous sommes dans l'expectative totale depuis l'automne
dernier
Qu'avez-vous
l'impression d'apporter à vos clients ?
C'est une question difficile dans une mission de stratégie...
Sur une mission de réduction de coûts, il est assez facile de voir s'ils
baissent. Mais sur un rachat, l'acquisition ne représente que 10% du boulot,
après il faut intégrer, ne pas perdre les compétences. Un client estimera
qu'on a bien fait le travail s'il n'a pas perdu les talents qu'il voulait,
si on a respecté le timing pour lequel les actionnaires ont donné leur
OK et les engagements de synergie qui justifient le prix d'acquisition.
Quel
est le degré de maturité de vos clients par rapport à ce que vous leur
proposez ?
Ils connaissent bien la musique ! Le conseil a maintenant
presque quarante ans. Aujourd'hui, il n'y a pas de groupe qui n'ait pas
essayé à peu près tout le monde et donc tous savent bien ce qu'OCC sait
faire, ou ce que le BCG sait faire, etc. Ils ne font pas leur shopping
en opposant l'un à l'autre mais ils ont déterminé à l'avance qui va faire
quoi. Je pense que ça reflète un niveau de maturité des clients. Les grands
groupes se rendent bien compte que le conseil est coûteux mais en même
temps très utile, qu'il fait partie de toutes les réflexions sur l'out-sourcing
: il vaut mieux que ces compétences se développent à l'extérieur parce
qu'on n'en a pas besoin tous les jours.
Vos
clients savent ce qu'ils veulent et ce dont ils ont besoin?
Oui mais le fait pour nous de bien connaître certains secteurs
permet d'aller plus vite. D'abord parce que cela permet d'être plus convaincant
au niveau de la proposition, même si on peut donner l'impression de sauter
aux conclusions. Ce qui n'est pas notre but, même si c'est un métier dans
lequel on travaille beaucoup sur des hypothèses.
Quelle est votre plus grande réussite des derniers mois ?
C'est d'avoir survécu. En 2002, on a battu notre record,
alors qu'autour de nous, les cabinets de conseil étaient tous en train
de se tasser, voire de se restructurer. Nous avons fait un énorme come-back
alors qu'en 2001, nous avions connu un retour de bâton phénoménal, dramatique,
avec un chiffre d'affaires divisé par deux ou presque, même si nous
n'avons pas touché à notre structure. Il est vrai que 2000 avait été l'année
du siècle pour toutes les professions de matière grise.
C'était
vraiment l'année bingo ?
Oui. Mais comme nous sommes assez intégrés et que nous
sous-traitons peu, nous n'avons pas été trop vite, même si nous avons
bien dû faire 40% de croissance. Ceci dit, des gens comme BCG ou
Accenture peuvent mieux mesurer les évolutions du marché, vu leur
taille et leur diversité d'activités.
Aujourd'hui,
la tension sur les prix doit peser sur votre marché
Cela arrive, mais pas pour les raisons auxquelles on pense.
Nous travaillons dans une profession où les honoraires sont très lourds
quand l'affaire ne se fait pas. Pour les fonds de private equity, les
honoraires entrent dans les frais généraux, si l'affaire ne se conclut
pas : dans ces cas-là, ils sont très sensibles au prix
Mais si l'acquisition
se fait, ils n'y sont pas sensibles, il n'y a qu'à voir ce qu'ils paient
aux banques d'affaires.
Donc
le prix ne compte pas ?
Je pense que c'est un faux problème. Il dépend de la nature
de la mission. Les grands groupes industriels se sont équipés de centrales
d'achat qui négocient des prix de campagne ou un taux d'honoraire, mais
ça n'empêche pas le cabinet d'évaluer sa mission comme il faut. Des remises
sont faites, mais il est normal que lorsqu'un client vous promet un business
pour l'année suivante, il bénéficie d'une remise. D'un point de vue économique,
cela a du sens car le coût d'avant-vente sera plus léger pour nous.
Comment
réussissez-vous à motiver vos équipes en ce moment?
Ce qui les motive, c'est de voir qu'on se développe alors
que leurs collègues sont dans des cabinets où l'on est encore en train
de réduire le staff. Nous avons tenu le cap sans trop souffrir, en tout
cas pas nos consultants, et nous commençons à recruter à nouveau. Mais
aujourd'hui, il vaut mieux ne pas être sur le marché de l'emploi. Le nombre
de CV qui circulent est inouï pour une profession qui était adulée.
Quel
est le projet sur lequel vous rêvez de vous développer?
Pour des raisons assez personnelles, c'est à un rapprochement
correct entre VUP et Hachette-Livre. Il va être inévitablement difficile,
mais je connais les personnes et j'adore le métier et c'est très lié à
l'historique d'OCC France. Sinon, notre grand projet est de rentrer dans
le monde de la finance, dans sa partie distribution et marketing. Il faut
trouver un associé ayant cette sensibilité, qui soit dans un cabinet trop
gros et passe trop de temps dans la gestion interne et pas avec les clients.
Un peu la même motivation que pour nous quand nous avons créé OCC. Mais
nous n'avons rien inventé : c'est parce qu'on est plus petit qu'on a moins
de bureaucratie. La bureaucratie vient avec la taille, c'est inévitable.
C'est comme les cheveux blancs avec l'âge.
Qu'aimez-vous
sur Internet ?
Y faire des achats, parce que je suis dans une profession
où l'on travaille jour et nuit. Et l'information instantanée. Avec un
Google et un Copernic, on trouve tout ce qu'on veut. Mais du coup, on
consomme plus d'infos, ce qui ne simplifie pas forcément la vie.
Et
que détestez-vous ?
Le junk mail.