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Tous les investisseurs financent désormais principalement des solutions
technologiques ou des logiciels. Pourquoi ces domaines seraient-il moins
risqués et plus rémunérateurs que les autres ?
Régis Saleur. Plusieurs facteurs concourrent à orienter
les investisseurs vers les technologies, au premier rang desquels se trouve
la notion de barrière à l'entrée. Une startup détentrice d'une technologie
propriétaire protégée par un brevet est souvent plus difficile à concurrencer.
Partant de là, les fonds apportés créent de la valeur en contribuant au
développement de cette technologie et à son essor commercial, plutôt qu'à
la pure notoriété de l'entreprise par les investissement publicitaires,
comme ce fut trop souvent le cas avec les start-up Internet. Le succès
des investissements Internet est directement venu de l'incapacité des
grandes entreprises à prendre le virage du Web entre 1995 et 2000, mais
elles ont aujourd'hui rattrappé leur retard et dominent le commerce électronique.
Tout le monde se tourne donc naturellement vers les technologies, qui
constituent des actifs pouvant se valoriser très chers lorsqu'ils sont
uniques. C'est un retour aux sources historiques du capital risque.
Au niveau de la stratégie, les dépenses
marketing, dont on a beaucoup parlé avec les dotcoms, se gèrent-elles
de la même façon ?
Dans le domaine du logiciel, les entreprises technologiques françaises
confondent toujours marketing et communication. Elles pensent que l'on
développe son marché proportionnellement à ses dépenses publicitaires
ou qu'attirer l'intérêt de la presse spécialisée s'effectue en quelques
semaines. Nous nous appuyons sur notre passé de professionnels du logiciel
pour attirer l'attention de nos start-up sur les principes aujourd'hui
bien connus du marketing high-tech : commencer par identifier une cible
"d'adopteurs rapides", ces clients pas comme les autres qui achètent tout
ce qui est innovant au mépris du risque, et s'appuyer sur eux pour constituer
une première liste de référence et une visibilité dans les médias.
Ensuite, suivre le long chemin de la conquête des grands comptes en cherchant
le plus court chemin depuis les adopteurs rapides (entreprises du même
groupe par exemple). Dans ces phases, les relations presses et publiques
sont les meilleurs outils et leur coût reste raisonnable. La publicité,
très coûteuse, ne sert qu'à étayer son image et à passer à la vitesse
supérieure, mais seulement pour "sortir de la niche" une fois que l'on
est déjà reconnu.
L'industrie du logiciel
implique un effort constant en recherche et développement (R&D),
que recommandez vous à vos investissements en la matière ?
La R&D est un problème difficile. Evidemment, il faut toujours soutenir
un effort de R&D important mais le piège principal dans lequel tombent
les jeunes entreprises est l'incapacité à distribuer des produits finis.
D'un côté, les ingénieurs, souvent perfectionnistes, repoussent les dates
de livraison pour atteindre le Graal dont nous avons tous rêvé. D'un autre,
on oublie trop souvent que le produit qui se vend le plus est le produit
le plus à la mode, pas forcément celui qui est techniquement le meilleur.
Ce qui est essentiel à mon sens, c'est de gérer scrupuleusement un planning
de versions et de s'en tenir au respect des spécifications à chaque étape.
L'industrie du logiciel
est également un subtil équilibre entre les parties technique
et commerciale. Quelles en sont les implications en matière de management
?
Pour rester dans le secteur du logiciel, une des leçons de l'expérience
est évidemment d'équilibrer le pouvoir entre le marketing, qui
est là avant tout pour remonter les attentes du marché, les ventes et
la technique. Plus précisément, il est en général souhaitable, pour simplifier,
de créer une cellule support et avant-vente indépendante de l'équipe de
développement. Le packaging d'un produit logiciel, c'est à dire l'ensemble
constitué des tâches de documentation, de finalisation graphique et de
debugging, coûte plus cher que le développement de la version alpha d'un
produit, on l'ignore trop souvent. Enfin, je pense qu'il faut privilégier
des profils expérimentés aux fonctions vente, marketing et services (chaque
domaine où l'on est en face du client) mais que l'on peut se tourner vers
de gens plus jeunes, s'ils sont plus novateurs, aux fonctions techniques.
Mais avec des stock-options
qui sont moins rémunératrices, est-il encore possible de débaucher de
grands managers ?
Bien entendu, c'est plus difficile qu'avant. En même temps,
on a moins à craindre que des gens rejoignent une entreprise avec pour
seule optique de faire une plus-value facile en douze mois. Si le produit
est bon et les premiers clients enthousiastes, il est toujours possible
d'attirer les meilleurs.
Est-ce qu'en période
de développement, la start-up doit rechercher des opportunités de croissance
externe ou doit-elle se concentrer avant tout sur son produit ?
Se rapprocher d'un concurrent ou d'un confrère complémentaire est toujours
une voie à étudier pour faire, comme on dit souvent, "1+1=3". A condition
d'éviter les querelles de clocher sur les choix techniques bien entendu.
On prendra cette orientation d'abord pour gagner du temps en termes de
surface financière et de portefeuille de clients, mais toujours à condition
que le recouvrement ne soit pas trop important sur l'offre produit.
Dans le contexte actuel,
quel est le plan de financement idéal pour une jeune pousse technologique
?
J'ai toujours pensé qu'il était dangereux de lever trop vite des montants
excessifs, car cela implique des valorisations très élevées et prend donc
beaucoup de temps, mis à profit par les concurrents pour avancer. De plus,
le risque de déception des investisseurs est grand et leur pouvoir de
nuisance peut devenir extrêmement gênant lorsqu'ils ont la sensation d'avoir
été floués. Il y a en fait des étapes de financement qui doivent coïncider
avec les étapes du développement: un tour d'amorçage de 0,5 à 1.5 million
d'euros pour démarrer et développer la première version d'un produit avec,
par exemple, deux ou trois clients pilotes. Puis 3 millions d'euros un
an après pour lancer la commercialisation avec la mise en place d'une
"machine de guerre marketing".
Le logiciel ou la technologie
pure sont souvent exportables à l'international, mais faut-il d'abord
être roi dans son pays avant de tenter son expansion internationale ?
Et dans cette optique, faut-il forcément faire rentrer des investisseurs
étrangers trés tôt dans la vie de la société ?
L'international est un piège majeur. C'est une épreuve très difficile
dans laquelle il faut souvent tout recommencer. Les premiers clients français
d'une start-up peuvent être des références majeures pour en conquérir
d'autres, alors qu'elles n'évoqueront souvent rien pour un prospect américain
ou même européen. Dans le domaine des technologies d'infrastructure, il
me semble qu'il est parfois préférable de démarrer directement là où on
a un contact direct avec les managers de Cisco, Oracle ou Bea, c'est à
dire évidemment dans la Silicon Valley. A défaut, il reste possible de
piloter son marketing en l'orientant totalement vers cette "capitale de
l'informatique", à partir de l'Europe. Pour les éditeurs de logiciels
verticaux ou applicatifs, il est généralement plus simple de procéder
par osmose en élargissant sa liste de clients français puis en glissant
par le réseau des relations et des groupes vers des structures européennes
pour lesquelles une référence française représente quelque chose. Aller
ensuite vers les USA ou l'Asie ne peut se faire qu'à condition d'être
prêt à dépenser 1 million d'euros dès la première année pour une implantation
et de nouer des partenariats solides avec des acteurs locaux reconnus.
Dans le climat actuel
on vante souvent les mérites d'un recours aux investisseurs industriels.
Etes vous d'accord avec ce point de vue?
Faire entrer un investisseur industriel signifie en général signer sa
sortie. Très rares sont ceux qui savent réellement isoler leur activité
d'investisseur de leurs ambitions d'industriels. Au final, ils se placent
souvent en acquéreur naturel, et donc prioritaire, tout en ayant une vue
sur l'intérieur de l'entreprise qui leur donne des avantages essentiels
pour négocier ensuite une prise de contrôle sans dépenser trop d'argent,
lorsque la start-up rencontre des difficultés. Il faut donc assortir l'entrée
de ce type d'acteur de la signature d'un pacte très spécifique et protégeant
solidement tous les autres actionnaires. Sinon, il est vrai que les synergies
peuvent être exceptionnelles, même si c'est quelque part toujours un mariage
un peu hypocrite.
Quel
est votre site d'information préféré?
Le site que je regarde le plus est toujours Sytadin,
pour les informations du périphérique parisien. Cela permet
d'éviter d'être bloqué dans les embouteillages dés
qu'on sort de chez soi.
Régis
Saleur, 32 ans, Centralien, a démarré dans le secteur des
assurances. Pendant quatre ans , il a été directeur du développement,
puis directeur marketing chez SOCS, une entreprise d'informatique. Après
un passage chez Coopers & Lybrand à Paris et la création
de son propre cabinet de conseil, Millenium Consulting, Regis Saleur a participé
à la création de Seeft Ventures en 1998. Il en est le directeur
général.
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