Jacques Sauret
(ADAE) :
"Les nouvelles technologies ne sont plus un enjeu de pouvoir mais un moyen
de mieux servir les usagers"
Par le Journal
du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_sauret.shtml
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11 septembre 2003
Jean-Pierre Raffarin a annoncé en février
dernier la création de l'Agence pour le développement de l'administration
électronique (Adae), un pôle "d'impulsion" pour favoriser
l'éclosion d'un véritable service public en ligne. En mai,
Jacques Sauret, ancien directeur du groupement d'intérêt public
Modernisation des déclarations sociales (GIP-MDS, en charge de l'exploitation
du portail Net-entreprises.fr), a pris les commandes de l'Adae. En s'appuyant
sur les contributions publiques consacrées à l'administration
électronique (livre blanc de Pierre Truche de février 2002,
rapport sur l'Hyper-République de Pierre de la Coste de janvier 2003...)
et le dispositif gouvernemental Re/Zo 2007, le "Monsieur Internet du
service public" ne manque pas de pistes à explorer.
Propos recueillis par Philippe Guerrier le 11/09/2003
Comment l'Adae va-t-elle s'intégrer dans le paysage des services
publics en ligne ?
Jacques
Sauret. Elle va jouer un rôle d'instance de consultation,
de concertation et d'impulsion. On évoque souvent la notion de pilote,
qui me semble inappropriée. Nous n'avons pas l'ambition de nous substituer
aux services des ministères et des administrations. La problématique est
d'éviter de lancer des projets et des dépenses qui doublonneraient. Pourquoi
ne pas mutualiser les efforts en se mettant d'accord sur un certain nombre
de référentiels de nature technique, organisationnelle et méthodologique
? Nous devons prouver au cas par cas la pertinence des projets pour améliorer
les services publics et l'efficacité de l'Etat. Les économies peuvent
se traduire de différentes façons : des économies brutes, création de
nouveaux services ou perfectionnement des services existants. Pour cela,
nous avons le choix des outils à distance : Internet, serveurs vocaux
ou bornes interactives. Je tiens à souligner également que l'administration
électronique ne se résume pas aux internautes : elle s'adresse également
aux autres, qui pourront bénéficier des services nouveaux en se rendant
aux guichets publics.
L'Adae ne va-t-elle
pas empiéter sur structures déjà existantes dans
la sphère de l'Internet public ?
Nous devons asseoir notre crédibilité et prouver
notre expertise et nos compétences. L'Agence pour les technologies de
l'information et de la communication dans l'administration (Atica), créée
en août 2001, et une partie de la Délégation interministérielle pour la
réforme de l'Etat (Dire) ont fusionné pour donner naissance à l'Adae.
Avec les autres structures, nous nous répartissons les rôles. On travaille
en étroite collaboration avec la Direction centrale de la sécurité des
systèmes d'informations (DCSSI), autre service du Premier ministre. La
mission pour l'économique numérique (MEN) du Ministère de l'économie
et des finances intervient comme instance de coordination au sein de ce
ministère et anime certains groupes de travail associant des partenaires
extérieurs. Elle pilotera également un groupe de travail de l'Adae sur
la dématérialisation des marchés publics. Le Forum des Droits sur l'Internet
nous aide sur un ensemble de sujets comme les données publiques ou l'environnement
juridique. Il n'y a donc pas à ce stade de problème de territoire comme
on l'observe trop souvent.
Quels sont les principaux
chantiers opérationnels de l'ADAE ?
Pour les aspects stratégiques,
nous élaborons en ce moment avec l'ensemble des ministères et les autres
administrations un Plan stratégique pour l'administration électronique
(PSAE) qui couvre les années 2003-2007. Complêté par un plan d'action
courant sur la même période, il sera acté par le gouvernement dans le
cadre d'un Comité interministériel pour la réforme de l'État (Cire) dédié
à l'administration électronique, qui se tiendra à l'automne. Sur les actions
immédiates, et indépendamment des projets menés par chaque ministère et
par les autres administrations, l'Adae a déjà engagé les travaux en vue
de la réalisation de quatre services "inter-administrations"
: le changement d'adresse unique, la demande d'extrait d'acte de naissance,
la demande de subvention par les associations et un pilote de mon.service-public.fr.
Nous procéderons par étapes, en ouvrant d'abord des services aux fonctionnalités
limitées. Cette approche nous permet d'offrir les services plus rapidement,
de permettre aux usagers de s'approprier progressivement les nouveaux
outils, et surtout de recueillir leurs impressions pour l'enrichissement
des fonctionnalités ou l'adaptation de l'ergonomie.
Pourriez-vous nous donner un exemple concret
?
Pour les demandes d'extraits d'actes de naissance, un certain nombre de
communes proposent déjà un service par Internet, de même que le service
basé à Nantes pour les personnes nées hors de France. Nous
allons développer un service commun qui renverra vers le service de la
commune lorsqu'il existe ou, dans les autres cas, qui collectera les données
de la demande et l'adressera par mail ou fax à la commune de naissance.
Le ministère de la Justice finalise l'adaptation d'un décret sur la transmission
directe des extraits d'acte de naissance entre un officier d'état civil
et une administration, dans le cadre de l'instruction d'un dossier. Cette
disposition permettra d'exonérer l'usager de cette tâche fastidieuse et
souvent redondante. Nous soutenons également des projets de carte de vie
quotidienne lancés par des collectivités territoriales. Ces cartes permettront
aux citoyens d'accéder très simplement à différents services locaux, tels
que les transports, les services scolaires, la piscine, la bibliothèque
ou encore de participer à des consultations locales.
De quel budget disposez-vous pour le fonctionnement
de l'Adae ?
Dans le projet de loi de Ffinances pour 2004, nous avons
un budget d'intervention de 8,6 millions d'euros. Nous pouvons également
compter sur une part du Fonds pour la réforme de l'Etat, auquel est alloué
un montant d'une vingtaine de millions d'euros et qui est géré par la
Délégation de modernisation de la gestion publique et structure de l'Etat
(DMGPSE). Traditionnellement, une part importante de ce fonds est dédiée
à l'administration électronique. Il existe également le Fonds interministériel
de modernisation (FIM) doté de 2,6 millions d'euros, et géré directement
par l'Adae.
Pour l'ensemble des requêtes, considérez-vous
le portail Service-public.fr comme la porte d'entrée de référence
?
Service.public.fr est le service actuel permettant d'obtenir
un large éventail d'informations. La Documentation française fait un excellent
travail en la matière. Nous travaillons pour permettre une personnalisation
de ce service, dénommée "mon.service-public.fr" : chaque usager
qui le souhaite pourra choisir les rubriques qui l'intéressent, accéder
directement aux services personnalisés qu'il aura sélectionnés et recevoir
directement des informations ou des alertes personnelles. Mon.service-public.fr
sera donc un portail commun - et personnalisé - à l'ensemble des services
électroniques des administrations. Ce n'est pas forcément le point d'accès
unique. C'est à l'usager de déterminer son propre chemin d'accès. Il conservera
la liberté d'accéder directement aux portails thématiques nationaux (impots.gouv.fr,
sante.gouv.fr, net-entreprises.fr, etc.) ou au site de sa collectivité
territoriale, à partir duquel nous souhaitons qu'il puisse également accéder
directement aux applications nationales. Sur ce service personnalisé rassemblant
toutes les difficultés de l'administration électronique (multiplicité
des acteurs, interopérabilité technique et fonctionnelle, confidentialité,
etc.), nous allons avancer pas à pas. En 2004, une centaine de personnes
seront invitées à participer à un test sur un pilote de mon.service-public.fr.
Nous leur fournirons l'équipement nécessaire (carte à puce, lecteur d'accès...).
Ce test nous permettra d'évaluer les difficultés techniques et organisationnelles,
mais il nous permettra également d'obtenir un retour sur les attentes
des usagers en termes de services et sur leur navigation Internet.
Entre les ministères, les collectivités
et les administrations, a-t-on
une idée précise de l'étendue de la sphère
"e-services publics"
en France ?
On dénombre 5.500 sites publics
dont plus de 600 .gouv.fr. Nous disposons de belles réalisations dans
le domaine fiscal (télé-TVA et impots.gouv.fr), social (Sesam-Vitale et
Net-entreprises.fr), de l'Intérieur avec le certificat de non gage. Quantitativement,
ce sont les téléservices les plus importants. A côté, il y un foisonnement
de services Internet développés par les ministères et les collectivités
territoriales mais le mouvement n'est pas coordonné. L'augmentation de
sites publics est un phénomène ambivalent : c'est une bonne nouvelle pour
les usagers mais il devient nécessaire de coordonner les efforts afin
de permettre aux usagers de s'y retrouver simplement.
Pourrez-vous respecter l'échéance
de 2005 sur la généralisation des téléservices
?
Honnêtement non. Tout dépend ce que l'on appelle téléprocédures
et téléservices. C'est une réflexion sur des définitions fondamentales
que nous menons actuellement. Dans le cadre de la préparation du plan
stratégique qui va couvrir la période 2003-2007, nous allons déterminer
les procédures qui feront l'objet d'une dématérialisation et des indicateurs
pour mesurer leur nombre et leur taux d'utilisation. Les mois de septembre
et octobre seront des mois de concertation pour l'administration électronique.
Quels sont les principaux dossiers techniques
auxquels vous vous attelez ?
Nous développons des services verticaux (en front et back-office)
et des projets transversaux : modélisation des données et des flux, schémas
XML, architectures techniques et urbanisation. La partie sécurité est
également un dossier sensible pour nous. En collaboration avec la DCSSI,
nous engageons les travaux visant à définir au niveau national et international,
notamment avec l'Allemagne, un standard de carte d'authentification et
de signature électronique. Par ailleurs, et toujours par souci de pragmatisme,
nous ne voulons pas imposer d'évolution brutale des systèmes d'information
des ministères. Nous allons travailler ensemble à l'élaboration de référentiels
communs, que chaque ministère intègrera à son rythme.
Comment favoriser l'usage de la signature électronique,
qui est encore restreint en France ?
C'est un sujet sur lequel nous travaillons. J'aimerais
qu'une impulsion politique soit donnée à ce sujet à l'occasion du prochain
comité interministériel de la réforme de l'Etat.
Dans
son rapport sur l'Hyper-République,
Pierre de La Coste relevait un "antagonisme
fondamental entre la culture administrative française et les technologies
de l'information".
Partagez-vous ce constat ?
Je trouve qu'il y a une évolution très favorable des mentalités.
L'Internet est entré dans la vie courante pour une partie non négligeable
de la population, des agents de l'Etat et des décideurs. Les contraintes
budgétaires vont amener des développements de projets en commun. Enfin,
je pense que les TIC ne sont plus un enjeu de pouvoir mais un moyen de
mieux servir les usagers.
Quel est le modèle d'e-administration
qui vous inspire le plus en Europe ?
Le modèle suédois est très abouti. Sur le plan culturel,
c'est très différent car la plupart des données tombent dans le domaine
public et deviennent alors accessibles à tous, notamment par Internet.
Ainsi, la plupart des courriers adressés à un ministère sont mis en ligne,
avec la réponse qui y a été apportée. Le cas de la Belgique est intéressant
également : la distribution d'une carte d'identité numérique a été lancée,
et devrait être terminée d'ici une année. La Commission européenne est
assez active sur le sujet : à l'occasion d'une réunion intergouvernementale
en Italie au mois de juillet, j'ai suggéré qu'une réunion informelle des
principales agences des pays membres de l'UE soit organisée de manière
récurrente pour se consacrer aux partages d'expériences.
Quelle est la dernière
e-démarche administrative que vous avez personnellement réalisé
?
La déclaration de revenus sur impots.gouv.fr. C'est la
deuxième année consécutive que je me soumets à cet exercice et je trouve
vraiment le service excellent. J'ai dû demander un nouveau certificat
car j'étais entretemps passé du Mac au PC. Je n'ai rencontré qu'un souci
très minime au cours de la procédure en ligne : sur une page, les données
que j'avais saisies ne s'affichaient plus lorsque je revenais sur cette
page et j'ignorais si elles avaient été prises en compte ou non. Finalement,
cela s'est très bien passé. La preuve : je viens de recevoir mon avis
d'imposition (sourire).
Jacques Sauret,
43 ans, a d'abord enseigné à l'École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort.
Puis il a piloté la division de l'informatique et des nouvelles technologies
à la direction de la sécurité sociale du ministère des Affaires sociales
entre 1995 et 2000. Il a notamment mis en place le dispositif de la carte
Sesam Vitale, dont il a rédigé les textes fondateurs en tant que chef du
service "Division Informatique et des nouvelles technologies" à la Direction
générale de la sécurité sociale du ministère de la Solidarité. A partir
de mars 2000, Jacques Sauret a dirigé le groupement d'intérêt public Modernisation
des déclarations sociales, qui développe les services de net-entreprises.fr.
Poste qu'il a occupé jusq'u'à sa nomination à la direction
de l'Adae en mai dernier.
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