Monnaie électronique : l'événement caché
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
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Mardi 10 juin 2003


par Etienne Wéry,
Avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles,
Cabinet Ulys
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Paiements électroniques : ce que change la LSQ (02/04/03)

L'arrêté ministériel du 10 janvier 2003 porte homologation du règlement n° 2002-13 du Comité de la réglementation bancaire et financière. Sous cette appellation un peu rébarbative se cache un événement important puisque ce faisant, le droit français s'est aligné sur les directives européennes en matière de monnaie électronique.

Des établissements de crédit aux établissements de monnaie électronique européenne
La directive du 20 mars 2000 définit l'établissement de crédit comme "une entreprise dont l'activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte". Elle leur impose un ensemble de règles extrêmement strictes, dont le but principal est d'assurer la transparence, d'éviter le blanchiment et de lutter contre les risques d'insolvabilité.

Le législateur européen s'est ensuite ému du sort des institutions émettrices de monnaie électronique. Concurrentes des établissements de crédit, elles sont souvent de plus petite taille, de sorte que le cadre juridique très lourd des établissements de crédit a été jugé disproportionné. Le 18 septembre 2000, l'Union a donc adopté la directive 2000/46 concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements. Simultanément la définition de directive 2000/12 a été complétée.

Les établissements de crédit en droit français
L'article 511-1 CMF stipule que les établissements de crédit sont des personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque au sens de l'article L. 311-1. C'est donc par le biais de leurs activités (désignées sous le terme générique "d'opérations de banques") que la loi définit les établissements de crédit. Ces activités sont, elles aussi, définies : elles comprennent (i) la réception de fonds du public, (ii) les opérations de crédit, ainsi que (iii) la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement.

Pour exercer leur activité, les établissements de crédit doivent être préalablement agréés. L'agrément leur est octroyé en précisant la qualité : banque, banque mutualiste ou coopérative, caisse de crédit municipal, société financière ou institution financière spécialisée. Seules les banques, les banques mutualistes ou coopératives et les caisses de crédit municipal sont habilitées d'une façon générale à recevoir du public des fonds à vue ou à moins de deux ans de terme.

L'agrément constitue un prix important à payer pour accéder aux opérations de banques. Mais le jeu en vaut la chandelle : le précieux sésame ouvre en effet les portes d'un marché protégé puisque les établissements de crédit ont reçu le monopole des opérations de banque. Conformément aux articles aux articles 511-5 à 511-8, il est en effet interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel, ou de recevoir du public des fonds à vue ou à moins de deux ans de terme. Des dispositions pénales sanctionnent la violation de cette interdiction.

Un mécanisme européen prévoit, pour les établissements agréés, la possibilité d'étendre leurs activités en dehors de leur pays d'origine selon un régime assoupli.

Les nouvelles dispositions relatives à la monnaie électronique
Présentation générale du règlement.
Le règlement distingue deux types d'établissements :
1. L'établissement émetteur : "un établissement de crédit débiteur de la créance incorporée dans l'instrument électronique (…)" ;
2. L'établissement distributeur : "un établissement de crédit offrant à la clientèle un service de chargement, de rechargement ou d'encaissement (…)".

Tous les deux sont soumis au titre Ier du règlement (dispositions générales relatives à la monnaie électronique). S'ils limitent leur activité à l'émission, la mise à la disposition du public ou la gestion de monnaie électronique, ces établissements sont qualifiés "d'établissements de monnaie électronique" et sont alors soumis au titre II (régime prudentiel). Il faut raisonner a contrario et comprendre que s'ils ne limitent pas leurs activités de la sorte, ces établissements sont des établissements de crédit au sens plein du terme, soumis dès lors au corps juridique complet de ces établissements.

Quelques principes phares relatifs à la monnaie électronique
Au terme de l'arrêté, la monnaie électronique est composée d'unités de valeur, dites unités de monnaie électronique. Chacune constitue un titre de créance incorporé dans un instrument électronique et accepté comme moyen de paiement, au sens de l'article L. 311-3 du code monétaire et financier, par des tiers autres que l'émetteur. La monnaie électronique est émise contre la remise de fonds. Elle ne peut être émise pour une valeur supérieure à celle des fonds reçus en contrepartie.

Clef de voûte du régime légal européen, la remboursabilité implique que le porteur de monnaie électronique peut, pendant la période de validité, exiger de l'émetteur qu'il le rembourse à la valeur nominale en pièces et en billets de banque ou par virement à un compte sans autres frais que ceux qui sont strictement nécessaires à la réalisation de l'opération. Le contrat peut néanmoins prévoir pour le remboursement un montant minimal, qui ne peut être supérieur à 10 €. En tout état de cause, le contrat doit établir clairement les conditions de remboursement. Le droit français a repris cette obligation (article 3 de l'arrêté), y compris dans l'hypothèse d'une cessation d'activité de l'établissement. Le remboursement a lieu en espèces ou sur un compte selon le souhait du porteur, mais au-delà de 30 € le remboursement en espèces donne lieu à l'identification du porteur.

Le règlement distingue les instruments selon que le porteur est identifié ou non. En effet, les unités de monnaie électronique incorporées dans un instrument qui ne permet pas l'identification du porteur ne peuvent excéder à aucun moment 150 €. Les contrats conclus avec les porteurs et les accepteurs prévoient que les paiements unitaires ou fractionnés effectués au moyen de ce type d'instrument ne peuvent excéder 30 € par opération. L'établissement émetteur ou distributeur qui effectue une opération de chargement ou de rechargement d'un tel instrument par espèces, pour un montant supérieur à 30 €, relève l'identité de la personne qui lui demande la réalisation de l'opération, sauf si cette personne est un client dudit établissement. Il tient l'identité de cette personne à la disposition des établissements émetteur ou distributeur concernés, des autorités de contrôle bancaire et du service mentionné à l'article L. 562-4 du code monétaire et financier pendant deux ans.

Allant plus loin, le règlement introduit le principe de traçabilité : l'établissement émetteur doit assurer la traçabilité pendant deux ans des chargements et des encaissements des unités de monnaie électronique, et veiller à disposer de moyens lui permettant d'assurer en cas d'atteintes à la sécurité de tout ou partie du système, la traçabilité des transactions suspectes. Lorsque le dispositif mis en oeuvre permet que les mêmes unités de monnaie électronique soient utilisées successivement pour des transactions distinctes, l'établissement émetteur assure la traçabilité pendant deux ans de l'ensemble des transactions réalisées. Les établissements distributeurs apportent le concours nécessaire à l'établissement émetteur pour assurer cette traçabilité.

Pour prévenir le blanchiment, les établissements émetteur et distributeur mettent en place un système automatisé de surveillance des transactions inhabituelles ayant comme support la monnaie électronique. Les établissements distributeurs communiquent à l'établissement émetteur les anomalies constatées ayant un lien avec la circulation de la monnaie électronique. L'établissement émetteur peut prendre des dispositions visant à s'assurer que les établissements distributeurs appliquent les normes de sécurité et de vigilance définies.

Le régime prudentiel des établissements de monnaie électronique
Les établissements de monnaie électronique sont en partie dispensés du respect des instruments techniques de surveillance prudentielle applicables aux établissements de crédit, mais ils ne sont pas libres pour autant de fonctionner à leur guise.

Tout d'abord, nous avons vu que pour être qualifiés d'établissement de monnaie électronique, ils doivent limiter leurs activités commerciales.

Ensuite, ils supportent des contraintes quant à leur mode de fonctionnement. Signalons notamment qu'ils ne peuvent détenir de participations que dans certaines sociétés liées à leur activité, et que le règlement impose des exigences en matière de capital initial, de fonds propres permanents et de limitation des placements, et crée également les outils de contrôle ad hoc. Le but est évidemment de limiter autant que possible les risques d'insolvabilité des établissements.

[etienne.wery@ulys.net]

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[Rédaction, JDNet]