Liberté d'expression
contre droit des marques Par le Journal du Net (Benchmark Group) URL : http://www.journaldunet.com/juridique/juridique030723.shtml Lancer l'impression Mercredi 23 juillet 2003
Danone ayant annoncé la fermeture de deux de ses usines en France, deux sites Web intitulés "jeboycottedanone.com" - et ".net" - avaient été créés, critiquant Danone et reproduisant et parodiant sa marque. Danone décidait de réagir sur le plan judiciaire et gagnait en référé sur le terrain de la contrefaçon de marque. Elle gagnait ensuite, au fond, devant le Tribunal de grande instance de Paris. Pour ce dernier, le créateur et le responsable des sites avaient en effet commis des actes de contrefaçon en imitant les marques de la société. De manière contestable, le Tribunal décidait ainsi de restreindre de manière très importante le droit de critiquer, de parodier, voire, tout simplement, de citer une marque.
Cette décision était très attendue, tant le jugement du Tribunal était controversé. En décidant de débouter Danone, la Cour s'est placée dans un courant désormais dominant selon lequel le droit des marques doit être strictement confiné à la sphère commerciale et la liberté d'expression, sans être absolue, ne doit être réprimée qu'en cas d'abus dans l'exercice de cette liberté. 1 Le droit des marques
est confiné à la sphère commerciale Restait à savoir si, en vertu de ces textes, la citation, la parodie ou la critique d'une marque était possible. La jurisprudence a tout d'abord exclu que la simple citation d'une marque puisse être sanctionnée. Ainsi, la Cour d'appel de Paris a précisé, dans une décision de 1974, que "le seul fait pour un auteur de citer une marque de médicament dans son livre ( ) ne saurait constituer une atteinte". Puis, le 22 février 1995, le Tribunal de grande instance de Paris avait jugé que "l'usage [d'une marque] dans un but d'information ne constitue pas une contrefaçon". Pour ce qui concerne la parodie et la critique, c'est le fameux arrêt "Guignols de l'info" du 12 juillet 2000 qui a définitivement exclu une éventuelle sanction pour contrefaçon. Dans cette affaire, alors que la marque Peugeot s'était vue critiquée et parodiée, la Cour de cassation a considéré que les propos de l'émission de télévision ne créaient "pas de risque de confusion entre la réalité et l'uvre satirique". Mais c'est très récemment, dans les affaires "Esso" et "Areva", que la Cour d'appel a explicité le critère utilisé antérieurement. Dans ces affaires, Greenpeace avait parodié et violemment critiqué ces deux marques. Or, la Cour a écarté la contrefaçon en expliquant que le litige était "étranger à la vie des affaires, et à la compétition entre entreprises commerciales". Pour les juges, le débat public ou politique, par opposition au discours commercial, ne saurait être limité par le droit des marques. La décision "jeboycottedanone" ne fait aujourd'hui que se ranger à cette doctrine. 2. Seul l'abus de la
liberté d'expression peut être réprimé Pour ce qui est de la critique d'une marque, la jurisprudence a posé le critère de cet abus : celui du but poursuivi par l'auteur du discours. Si ce but est légitime, alors, l'auteur peut se retrancher derrière sa liberté d'expression. Mais, s'il ne l'est pas, l'entreprise victime du discours pourra demander réparation du préjudice subi en vertu de l'article 1382 du Code civil. La jurisprudence a en outre tracé les contours de ce qu'il faut entendre par "but légitime". Ainsi, lorsque le but poursuivi est polémique ou critique, s'il est de participer au débat public, les juges ne sanctionneront pas le discours. Dans un arrêt du 22 mai 2002 relatif à la marque "Camel", la Cour d'appel de Paris a par exemple considéré que "le fait d'attirer l'attention du public sur la nocivité d'un produit ne constitue pas un abus de la liberté d'expression, dès lors que la santé publique, but légitime s'il en fut, est en jeu.". En revanche, les juges ont plusieurs fois considéré que le but cessait d'être légitime lorsqu'il consistait à dénigrer les produits d'une société. Ainsi, dans un arrêt de 1997, la Cour de cassation a précisé qu'une campagne de presse dénigrante devait être sanctionnée sur l'article 1382 du Code civil, même en l'absence de tout rapport de concurrence ou commercial entre l'auteur du discours et la victime. En définitive, la décision rendue en appel dans l'affaire "jeboycottedanone" n'est donc pas réellement une surprise. En filigrane, la Cour semble avoir examiné l'intention manifestée par le créateur et le responsable des sites "jeboycottedanone", et avoir conclu que cette intention n'était pas celle de dénigrer, mais de participer au débat public. [Rédaction, JDNet] |
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