Le projet de loi Perben et les NTIC
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
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Mardi 16 décembre 2003


par Arnaud Dimeglio
Avocat à la Cour
Docteur en droit
www.avocat-express.com

Contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser penser, le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, ne vise pas directement à adapter la justice à la cybercriminalité. Il consiste notamment à renforcer la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, telles que les réseaux mafieux ou terroristes, à améliorer la coopération judiciaire internationale, et instaure certaines procédures nouvelles comme le "plaider coupable".

Cependant, certaines dispositions intéressent l'adaptation de la procédure pénale aux moyens de télécommunications. Celles-ci sont relatives à l'interception de correspondances, l'infiltration, et la visioconférence.

édure d'interception de correspondances émises par la voie des télécommunications, est plus connue sous le nom d'"écoutes téléphoniques". Elle permet non seulement d'intercepter une conversation téléphonique, mais aussi, comme la jurisprudence et la doctrine le reconnaissent, un email. Cette procédure est actuellement prévue pour les personnes mises en examen, et strictement réglementée.

Le projet Perben étend cette procédure aux personnes faisant l'objet d'une enquête préliminaire, ou de flagrance, autrement dit suspectées d'avoir participées à une infraction mais pas encore mises en examen, c'est-à-dire au stade de l'instruction. Par rapport au dispositif actuel, le projet prévoit donc un renforcement des moyens d'enquête, et des pouvoirs de la police. L'article 706-96 nouveau du code de procédure pénale (CPP) relatif à cette extension, est cependant très limité : il ne concerne en effet que les personnes impliquées dans la commission d'une infraction en bande organisée, telle que visée par le projet, et dispose que seul le juge des libertés et de la détention, pourra autoriser de telles interceptions.

Concrètement, les personnes suspectées d'avoir commis une infraction en bande organisée, pourront ainsi faire l'objet d'écoutes téléphoniques, mais aussi, conformément à la jurisprudence, d'"écoutes électroniques".

De manière similaire, l'article 74-2 nouveau du CPP du projet, instaure une procédure d'écoute, pour les personnes "en fuite". A l'instar du précédent article, cette procédure sera applicable en phase d'enquête. Ce texte est très encadré, et ne concerne que les personnes faisant l'objet d'un mandat d'arrêt, ou qui ont été condamnées à une peine privative de liberté.

2) L'infiltration par des moyens de télécommunication
La procédure d'infiltration consiste pour un policier, spécialement habilité, à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs.

Le projet de loi instaure pour les infractions commises en bande organisées une procédure particulière d'infiltration : parmi les moyens dont pourront se servir les policiers, l'article 706-82 nouveau du CPP prévoit en effet "des moyens de télécommunication". D'après ce texte, l'officier de police pourrait ainsi, non seulement utiliser un téléphone, mais également, un accès à Internet.

Le texte institue également une procédure d'infiltration pour les délits douaniers notamment en matière de stupéfiants, de tabacs, d'alcool, et de contrefaçon de marque (article 67 bis nouveau du Code des douanes).

3) La visioconférence
La visioconférence permet à des personnes distantes de communiquer entre elles, par la voix et l'image, grâce à un procédé de télécommunication.

La loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 a introduit dans le code de procédure pénale un Titre 23 relatif à l'utilisation de moyens de télécommunications au cours de la procédure. L'article 706- 71 du CPP dont il est issu, permet l'utilisation de la visioconférence, au stade de l'enquête ou de l'instruction, pour l'audition, l'interrogatoire ou la confrontation de personnes géographiquement distantes. Cet article autorise également la visioconférence pour l'assistance d'un interprète. La loi Perben du 9 septembre 2002 est venue élargir ce dispositif aux mesures de prolongation des gardes à vue, et de la retenue judiciaire.

Le projet de loi Perben étend à nouveau le domaine de l'article 706-71 du CPP en prévoyant son application devant la juridiction de jugement, pour l'audition des témoins, des parties civiles et des experts, ainsi que l'interrogatoire du prévenu devant le tribunal de police. La visioconférence pourra également être utilisée devant le juge d'instruction pour l'audition, l'interrogatoire, et la détention provisoire d'une personne détenue. L'avocat de la personne intéressée pourra de même bénéficier de la visioconférence au lieu de la juridiction compétente, ou dans les locaux de détention.

Enfin, le projet améliore la procédure de visioconférence dans le cadre de l'entraide judiciaire. Les autorités françaises pourront en effet procéder par visioconférence à un interrogatoire, une audition ou une confrontation d'une personne située à l'étranger (article 694-5 nouveau du CPP).

En conclusion, le projet Perben constitue une étape supplémentaire vers l'adaptation de notre justice aux moyens de télécommunication, et la création du "tribunal du futur". Il reste encore très éloigné des nombreuses innovations attendues dans le domaine de la cybercriminalité. Mais l'adoption prochaine de la loi sur la confiance dans l'économie numérique, et du projet de loi Villepin relatif à l'approbation de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité, viendront, à n'en pas douter, compléter ce dispositif.

[arnaud.dimeglio@wanadoo.fr]

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[Rédaction, JDNet]