Contrairement
à ce que son intitulé pourrait laisser penser, le projet
de loi portant adaptation de la justice aux évolutions
de la criminalité, ne vise pas directement à adapter
la justice à la cybercriminalité. Il consiste notamment
à renforcer la lutte contre la délinquance et la criminalité
organisées, telles que les réseaux mafieux ou terroristes,
à améliorer la coopération judiciaire internationale,
et instaure certaines procédures nouvelles comme le
"plaider coupable".
Cependant, certaines dispositions
intéressent l'adaptation de la procédure pénale aux
moyens de télécommunications. Celles-ci sont relatives
à l'interception de correspondances, l'infiltration,
et la visioconférence.
1)
L'interception de correspondances
La procédure d'interception
de correspondances émises par la voie des
télécommunications, est plus connue sous le nom d'"écoutes
téléphoniques". Elle permet non seulement d'intercepter
une conversation téléphonique, mais aussi, comme la
jurisprudence et la doctrine le reconnaissent, un email.
Cette procédure est actuellement prévue pour les personnes
mises en examen, et strictement réglementée.
Le projet Perben étend cette
procédure aux personnes faisant l'objet d'une enquête
préliminaire, ou de flagrance, autrement dit suspectées
d'avoir participées à une infraction mais pas encore
mises en examen, c'est-à-dire au stade de l'instruction.
Par rapport au dispositif actuel, le projet prévoit
donc un renforcement des moyens d'enquête, et des pouvoirs
de la police. L'article 706-96 nouveau du code de procédure
pénale (CPP) relatif à cette extension, est cependant
très limité : il ne concerne en effet que les personnes
impliquées dans la commission d'une infraction en bande
organisée, telle que visée par le projet, et dispose
que seul le juge des libertés et de la détention, pourra
autoriser de telles interceptions.
Concrètement, les personnes
suspectées d'avoir commis une infraction en bande organisée,
pourront ainsi faire l'objet d'écoutes téléphoniques,
mais aussi, conformément à la jurisprudence, d'"écoutes
électroniques".
De manière similaire, l'article
74-2 nouveau du CPP du projet, instaure une procédure
d'écoute, pour les personnes "en fuite". A l'instar
du précédent article, cette procédure sera applicable
en phase d'enquête. Ce texte est très encadré, et ne
concerne que les personnes faisant l'objet d'un mandat
d'arrêt, ou qui ont été condamnées à une peine privative
de liberté.
2) L'infiltration
par des moyens de télécommunication
La procédure d'infiltration
consiste pour un policier, spécialement habilité, à
surveiller des personnes suspectées de commettre un
crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces
personnes comme un de leurs coauteurs, complices ou
receleurs.
Le projet de loi instaure pour
les infractions commises en bande organisées une procédure
particulière d'infiltration : parmi les moyens dont
pourront se servir les policiers, l'article 706-82 nouveau
du CPP prévoit en effet "des moyens de télécommunication".
D'après ce texte, l'officier de police pourrait ainsi,
non seulement utiliser un téléphone, mais également,
un accès à Internet.
Le texte institue également
une procédure d'infiltration pour les délits douaniers
notamment en matière de stupéfiants, de tabacs, d'alcool,
et de contrefaçon de marque (article 67 bis nouveau
du Code des douanes).
3)
La visioconférence
La visioconférence permet à
des personnes distantes de communiquer entre elles,
par la voix et l'image, grâce à un procédé de télécommunication.
La loi sur la sécurité quotidienne
du 15 novembre 2001 a introduit dans le code de procédure
pénale un Titre 23 relatif à l'utilisation de moyens
de télécommunications au cours de la procédure. L'article
706- 71 du CPP dont il est issu, permet l'utilisation
de la visioconférence, au stade de l'enquête ou de l'instruction,
pour l'audition, l'interrogatoire ou la confrontation
de personnes géographiquement distantes. Cet article
autorise également la visioconférence pour l'assistance
d'un interprète. La loi Perben du 9 septembre 2002 est
venue élargir ce dispositif aux mesures de prolongation
des gardes à vue, et de la retenue judiciaire.
Le projet de loi Perben étend
à nouveau le domaine de l'article 706-71 du CPP en prévoyant
son application devant la juridiction de jugement, pour
l'audition des témoins, des parties civiles et des experts,
ainsi que l'interrogatoire du prévenu devant le tribunal
de police. La visioconférence pourra également être
utilisée devant le juge d'instruction pour l'audition,
l'interrogatoire, et la détention provisoire d'une personne
détenue. L'avocat de la personne intéressée pourra de
même bénéficier de la visioconférence au lieu de la
juridiction compétente, ou dans les locaux de détention.
Enfin, le projet améliore la
procédure de visioconférence dans le cadre de l'entraide
judiciaire. Les autorités françaises pourront en effet
procéder par visioconférence à un interrogatoire, une
audition ou une confrontation d'une personne située
à l'étranger (article 694-5 nouveau du CPP).
En conclusion, le projet Perben
constitue une étape supplémentaire vers l'adaptation
de notre justice aux moyens de télécommunication, et
la création du "tribunal du futur". Il reste encore
très éloigné des nombreuses innovations attendues dans
le domaine de la cybercriminalité. Mais l'adoption prochaine
de la loi sur la confiance dans l'économie numérique,
et du projet de loi Villepin relatif à l'approbation
de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité,
viendront, à n'en pas douter, compléter ce dispositif.
[arnaud.dimeglio@wanadoo.fr]
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