JDNet Solutions. Comment
vous situez-vous dans le débat qui oppose actuellement Apple
et MPEG LA ?
Olivier Amato: Le paiement des codeurs-décodeurs
actuellement en vigueur me semble légitime. En revanche, le fait
de faire payer 2 cents par heure de diffusion aux créateurs de
contenu est irréaliste à mon sens. Qui va pouvoir contrôler
ce qui est effectivement codé et doit ouvrir des droits aux ayant-droits
? Si les propositions de MPEG
LA étaient mises en application, il est en tout cas certain
que les fournisseurs de contenu se tourneraient vers les solutions propriètaires
qui ne seraient pas assujeties aux règles de MPEG-4 : RealNetworks
annonçant le support de cette norme et Apple
la supportant d'ores et déjà nativement, c'est donc Microsoft
et son Windows Media Player qui serait gagnant dans l'affaire.
La question de la gestion des droits numériques
(Digital Rights Management) est une pomme de discorde entre les grands
éditeurs de streaming - Apple, Microsoft et RealNetworks-, qui
tentent d'imposer leurs logiciels respectifs au marché. Que peut-on
attendre des organismes de standardisation ?
Effectivement, le DRM est l'un des points sensibles du streaming.
Pour comprendre les enjeux, il faut rappeler qu'il existe aujourd'hui
trois courants parallèles. Le premier, poussé par Microsoft,
Content Guard et Intel entre autres, est
basé sur un dérivé de XML - baptisé XRML.
RealNetworks de son côté, tente de promouvoir son propre
système de gestion, également dérivé de XML,
XMCL, soutenu notamment par Adobe, IBM ou encore America OnLine. Entre
ces deux chemins privatifs, il y a une troisième voie, publique
elle, qui est proposée par l'organisation MPEG
: IPMP (Intellectual Property Management and Protection). Et l'enjeu est
relativement simple : celui qui imposera son système de gestion
des droits deviendra de facto le fournisseur de player dominant.
Quelles sont les chances d'IPMP par rapport aux
solutions de RealNetworks et de Microsoft ?
Le problème pour le moment
d' IPMP c'est qu'il ne gère que les droits d'accès, et pas
le cryptage des données, qui constitue pourtant une dimension essentielle
des DRM. En la matière, les techniques les plus avancées
sont celles de Microsoft, qui souffrent toutefois d'un problème
à ma connaissance, puisque cette solution ne fonctionne que pour
le streaming on-demand (via téléchargement, ndlr) et non
pour le streaming live.
Si le débat est vif autour de ce sujet
entre les professionnels, quel est son impact pour les internautes aujourd'hui
?
Il y a très peu de contenu vidéo
actuellement - hors des contenus X - qui sont payants sur le Web.
Mais cela deviendra le cas à n'en pas douter dès que la
technique permettra d'offrir une qualité visuelle et sonore comparable
à celle de la télévision. En d'autres termes, la
bataille actuelle se mène en prévision des enjeux de demain.
Quelle est la conséquence du support récent
de MPEG 4 par les éditeurs de streaming pour les éditeurs
de contenus, et, en bout de chaîne, pour les internautes ?
L'intérêt de l'implémentation
de MPEG-4 par les grands éditeurs tient en un mot : intéropérabilité.
Si MPEG-4 se répand parmi les professionnels, ce que nous souhaitons
bien entendu, cela va nous permettre de dissocier le choix des encodeurs,
de celui des serveurs de streaming et des players; ce qui est aujourd'hui
impossible. On pourra ainsi choisir ces différents éléments
non parce qu'ils sont conçus pour fonctionner ensemble, mais parce
qu'ils sont techniquement plus ou moins bons. Le support généralisé
de MPEG-4 jouerait un rôle de stimulus entre des solutions concurrentes,
qui profitera en dernière instance aux internautes.
Est-ce que l'adoption de
MPEG-4 signifie à terme la disparition de MPEG-2 ?
Il
est difficile de répondre à cette question aujourd'hui.
Ce que je peux dire, c'est que certains constructeurs de set-top box étudient
déjà sérieusement MPEG-4, et envisagent de s'en servir
pour améliorer la qualité d'encodage et les performances
de streaming. A titre d'exemple, une diffusion broadcast nécessite
de 4 à 7 Mbt/s de bande passante, et les opérateurs satellitaires
cherchent à diminuer ce taux. Avec des besoins de bande passante
inférieur de 30% à MPEG-2 à qualité équivalente,
MPEG-4 représente une alternative intéressante. Le même
raisonnement est applicable aux fournisseurs de services pour la téléphonie
mobile.
Question performances justement, quelle sont celles
de MPEG-4 ? On parle parfois de taux de 5 à 15 fois inférieurs
à ceux de MPEG-2 : est-ce réaliste ?
Non, il faut
être sérieux. On peut
raisonnablement estimer que MPEG-4 permet d'obtenir avec 2,5 ou 3 Mbt/s
de bande passante une qualité équivalente à celle
qu'on obtient à 4 Mbt/s en MPEG-2, soit moins de 50% d'amélioration.
Si on compare maintenant MPEG-4 à Real Player ou à Media
Player, on reste 20% en deça des performances de RealNetworks et
de Microsoft.
Comment
cela se fait-il ?
Les players propriétaires
ne subissent pas les mêmes contraintes techniques que les normes
ouvertes. Celles-ci, comme MPEG-4, doivent par définition concilier
des impératifs et des spécifications hétérogènes,
ce qui limite par contrecoup inévitablement leurs performances.
En revanche, elles présentent d'autres intérêts, dont
celui notamment de l'intéropérabilité que j'ai mentionné
tout à l'heure.
Que
puis-je attendre en tant qu'internaute de l'implémentation de MPEG-4
à court terme ?
Pas grand chose
dans l'immédiat, pour les particuliers qui disposent de connexions
à Internet par modem 56 Kbp/s ou même de connexion ADSL.
Ou plus exactement, pas d'une qualité VHS dans un avenir proche.
La plupart des fichiers qui circulent aujourd'hui sur le Web sont encore
encodés en MPEG-1, une norme déjà conçue au
départ pour fonctionner de façon optimale avec un débit
minimum d'environ 1,5 Mbt/s...Ce que MPEG-4 apporte, encore une fois,
c'est un progrès par rapport aux normes précédentes,
mais on avance à petit pas.
Quelles
sont les prochaines échéances importantes pour le streaming
?
J'en vois
au moins trois. La première est le support natif de MPEG-4 par
RealNetworks, qui est prévu avec la version 9 de Real Player. On
peut souhaiter que Microsoft se joigne également au mouvement,
mais cela semble pour le moins compromis pour l'instant. La seconde
concerne le lancement de la plate-forme de streaming de Microsoft - Corona.
On en attend notamment une amélioration nette de la qualité
sonore avec l'intégration d'un codec audio 5.1. mais ici encore
tout dépendra de la bande passante disponible. On sait qu'il faut
encore actuellement au moins 64 Kbt/s pour obtenir un son de qualité
MP3 pour la partie audio, et entre 800 Kbt/s et 1 Mbt/s pour atteindre
une qualité visuelle comparable à celle du VHS en plein
écran. Dernier point enfin, on attend beaucoup de JVT (Join Video
Team), une technologie conjointement mise au point par l'ITU et par MPEG,
qui devrait faire partie intégrante de MPEG-4 dans moins d'un an.
Si JVT, qui est directement issu de H26L, débouche, cette technique
améliorera de 30 à 40% les performances actuelles de MPEG-4.
A lire également, notre dossier consacré au streaming :
Streaming,
en attendant les hauts débits.
Avant de rejoindre
les équipes de Canalweb en 2000, Olivier Amato a été
directeur technique chez Pointe Noire Production pendant un an. Jusque-là,
il travaillait comme monteur-truquiste vidéo en free-lance, depuis
1990.
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