Pierre Briançon : "Pour Messier, le Net n'a été qu'un moyen de faire gonfler son cours de Bourse"
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/0211/021106messier.shtml
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Mercredi 6 novembre 2002

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"Messier Story",
par Pierre Briançon, Grasset, 413 pages, 19,90 euros.
Bonnes feuilles (1/3) Comment Internet est venu à J2M

Dossier JDNet
Vivendi Universal : l'heure des cessions

Alors
que Vivendi Universal - et ses nouveaux dirigeants - ne manque pas une occasion de faire parler de lui, de projets de cession en procès d'actionnaires, son ancien maître (du monde) se fait aussi discret que possible. Prélude peut-être à une offensive médiatique accompagnant la parution prochaine d'un livre qui porterait sa signature. En attendant, c'est dans les pages de celui que vient de lui consacrer le journaliste Pierre Briançon que l'on commence à découvrir les vrais dessous de l'aventure du premier "reality-patron" qu'ait connu la France, celui dont presque tous les faits et gestes ont été soigneusement médiatisés (et jamais à l'insu de son plein gré...). "Pendant six ans, Jean-Marie Messier a séduit, parlé, manipulé, joué, manoeuvré à la tête d'un groupe français qui n'aurait pas existé sans lui, et dont il a voulu faire le premier groupe mondial de la communication, écrit Pierre Briançon. (...) Six ans à la tête du premier groupe privé français, et six, mois, à la fin, pour y perdre la boussole". Ce sont ces six ans - et ces six mois -, mais aussi le parcours qui a conduit Messier au coeur du cyclone que ce livre, fruit d'une longue enquête, raconte.

Convergence, tuyaux, contenus… Messier était le roi des "e-concepts". Est-ce qu'il savait vraiment de quoi il parlait ?
Pas au début, mais il apprend vite... Le concept, chez lui, n'a jamais posé problème. Ce qui lui a manqué, c'est une perception concrète, vivante, de la réalité de la net-économie et du nouveau modèle d'entrepreneur qu'elle exigeait. Un groupe aussi protéiforme que la vieille Générale des Eaux pouvait-il générer en son sein une culture de "start-up" ? Sans doute pas. Mais le plus sérieux est sans doute que le Net, pour Messier, n'a dans le fond jamais été qu'un moyen de faire gonfler son cours de Bourse. Derrière les concepts et les présentations "Powerpoint", derrière les envolées lyriques sur les nouvelles manières de consommer la musique ou le cinéma, le but a toujours été de se constituer, grâce à un cours de Bourse dopé par le ".com", une monnaie d'acquisition en vue de "deals" toujours possibles...

Sans bulle, aurait-on eu Vivendi Universal, J6M, son ascension et sa chute ?
L'ascension n'aurait pas été jusqu'à Paris-Match, et la chute aurait sans doute été plus discrète. Sans la bulle, Messier n'aurait pas pu racheter un studio hollywoodien avec ses seuls actifs français. On peut aussi envisager des scénarios alternatifs : quid par exemple d'une stratégie européenne (plutôt que transatlantique) qui aurait pu oeuvrer à constituer un grand groupe continental autour d'un Canal Plus dont les problèmes financiers auraient été détectés à temps ? D'une part, ce n'est pas seulement "la bulle" qui explique la sur-médiatisation de Messier : c'est aussi la nature même de l'industrie dans laquelle il voulait lancer Vivendi. D'autre part, la bulle n'est pas seule en cause : la personnalité de Messier a évidemment joué un rôle central dans sa chute. Dans ce livre, j'essaie justement de distinguer, dans cette histoire, la part de l'époque et la part des propres qualités, des défauts ou des insuffisances psychologiques et caractérielles du personnage Messier.

Au final, Jean-Marie Messier... Trop mégalo, trop dépensier, trop solitaire, trop maladroit ou trop en avance ? [NDLR : nous avions posé la même question aux lecteurs du JDNet dans un sondage en ligne en septembre]
Mégalo et dépensier : c'est ce que j'appelle son complexe d'enfant gâté (rien n'est trop cher, dès lors que j'ai envie de quelque chose...). Solitaire assurément - c'est son déficit principal de PDG, entouré de courtisans ou de maires du palais plutôt que de vrais managers. Maladroit à l'évidence, comme un Le Trouhadec saisi trop tardivement par la débauche. En avance ? Sur quoi ?

[François Bourboulon, JDNet]