JDN. En décembre 2002,
vous aviez revendiqué pour le CSA une "compétence"
dans le domaine de la télé Adsl. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Francis Beck.
Il n'y a rien de changé et il n'y a pas de conflit avec d'autres autorités
de régulation. Nous nous occupons de la régulation des contenus, quel
que soit le support ou le mode de transport, et l'ART s'occupe de la régulation
du contenant. Mais il est vrai que la télé Adsl est confrontée à quelques
problèmes juridiques dans la mesure où nous sommes dans un cadre en mutation
dû au retard de la transposition du paquet télécoms.
Ce
texte vous satisfait-il en l'état actuel ?
Ce qu'on connaît de la première version telle qu'elle a
été approuvée en Conseil des ministres nous satisfait pour l'essentiel.
Il faut aussi suivre la loi sur l'économie numérique, dans laquelle les
sénateurs ont fait entrer des éléments de la transposition du paquet télécoms.
Sur le fond, la philosophie est de ne plus confier au CSA les compétences
sur les seuls services de radio et de télévision, mais sur tous les supports,
y compris donc les réseaux télécoms: Adsl, haut débit mobile, 3G et autres
développements ultérieurs. Pour l'Adsl, le problème est de savoir si l'on
peut dès maintenant anticiper ce régime en interprétant la loi de 1986
sur les réseaux câblés. C'est pour cela que nous avons interrogé le gouvernement
pour savoir si on devait ou non considérer qu'un réseau télécoms sur Adsl
distribuant de la télé devait être traité comme un réseau câblé, avec
les obligations des opérateurs de réseaux câblés comme le must-carry [NDLR
: l'obligation de diffuser les chaînes hertziennes normalement reçues
dans la zone]. C'est la question juridique majeure aujourd'hui.
La lenteur des diverses
transpositions complique les dossiers. Quand tout cela va-t-il se stabiliser
selon vous ?
On entend dire que la transposition devrait être faite
à la fin du premier semestre 2004, éventuellement par ordonnance, et normalement,
le cadre juridique devrait être stabilisé dans les six mois à venir. On
a donc une période transitoire de quelques mois à gérer, ce qui n'est
pas extrêmement difficile, ni insurmontable. Surtout s'agissant d'une
innovation technologique sur un marché émergent, pour lequel on ne va
évidemment pas pouvoir élaborer dès le premier jour un régime juridique
qui couvrirait tous les aspects du sujet.
On peut donc laisser
les acteurs agir à leur guise ?
Non, je dis que le cadre juridique n'a pas besoin d'entrer
dans tous les détails d'une organisation de la régulation au moment où
démarre un nouveau mode de distribution. Pour le satellite par exemple,
le législateur est intervenu plusieurs années après le démarrage des premières
offres. Cela dit, il y a quelques principes qu'il faut appliquer, ceux
qui s'appliquent à tous les distributeurs de services audiovisuels sur
tous les supports (obligation de diversité et de pluralisme, de protection
de l'enfance etc.) pour lesquels nous avons des outils juridiques déjà
opérationnels.
Comment faites-vous
respecter ces obligations ?
L'article 1er de la loi de 1986 sur la liberté de communication
donne au CSA la possibilité d'adresser au distributeur des recommandations
pour le respect des principes de la loi. Le CSA est plus particulièrement
chargé de veiller à la qualité et à la diversité des programmes et au
développement de la production. Je pense aussi à l'article 15 sur
la protection de l'enfance et de l'adolescence, que les distributeurs
sur Adsl doivent respecter. Par exemple, pour la chaine XXL, nous allons
voir comment Free respectera les principes de protection de l'enfance,
de verrouillage, d'horaires de diffusion, etc..
Vous avez déjà rencontré
les représentants de Free ?
On va le faire. Ils nous ont officiellement annoncé leur
offre et on doit les voir dans quelques jours.
Et les autres acteurs
?
Nous avons déjà rencontré les gens de TPSL et ceux de France
Telécom qui nous ont présenté leurs différentes offres. Mais tout
n'est pas sur la place publique, puisqu'un certain nombre de documents
sont couverts par le secret commercial. Nous veillons à faire respecter
nos principes de base en fonction de ce qui apparaît. Nous n'entrons pas
dans une régulation bureaucratique et tatillonne où il faudrait remplir
des papiers en x formulaires avant le démarrage des nouveaux services.
Mais dès que les services démarrent, on regarde s'ils respectent les principes
généraux que nous sommes chargés de faire appliquer.
En dehors du must-carry,
y a-t-il d'autres zones d'ombre ?
Il y a une question sur laquelle je m'étonne de ne pas
avoir entendu beaucoup de réactions ou commentaires. Dans la chaîne de
valeur de la propriété intellectuelle, tous les ayants droit ne cèdent
leurs doit que pour des utilisations sur des supports déterminés, sur
des territoires déterminés et pour une durée déterminée. Lorsque Free
reprend une chaîne de télévision sur Adsl, les détenteurs de droits -
les producteurs et la chaîne - considèrent-ils que ce sont les droits
de communication par câble qui s'appliquent, et dans ce cas la télévision
sur Adsl se place d'elle-même par le jeu des acteurs privés dans le cadre
du régime du câble. Ou bien est-ce que ce sont des droits détenus au titre
d'exploitation tous supports? Je ne suis pas sûr que ce soit le cas pour
beaucoup de chaînes. Il y a là un élément de régulation par le jeu des
relations de propriété intellectuelle qu'il sera intéressant de mettre
sur la table. Si Free distribue sur Adsl des chaînes de télé pour lesquelles
les producteurs ont donné uniquement les droits câble et satellite, la
chaîne est-elle conforme à ce qu'a vendu le producteur ? Il faut donc
étudier ce que font les acteurs privés, les auteurs, les interprètes,
les producteurs au regard de l'exploitation de leurs droits sur les différents
supports de diffusion. C'est un problème de droit privé extrêmement complexe
à résoudre.
Vous allez interroger
Free à ce sujet ?
Cela ne nous concerne pas directement, mais on va bien
sûr leur poser la question. C'est en tout cas aux acteurs du privé de
réguler cela entre eux.
On dit souvent que
la télé Adsl pourrait représenter une menace pour la TNT. Qu'en pensez-vous
?
La TNT est d'abord destinée à augmenter l'offre de programmes
gratuits, qui devrait tripler, puisqu'on passerait de cinq chaînes à une
quinzaine. Si le calendrier est respecté, la TNT pourra toucher 35% des
foyers en décembre 2004 et 60% en décembre 2005, soit 15 millions de foyers.
On n'est donc pas du tout dans les ordres de grandeur des taux de pénétration
de la télé Adsl, soit quelques centaines de milliers à l'horizon 2005.
La TNT est plus démocratique.
Il
ne vous a pas échappé que l'un des principaux promoteurs de la télé Adsl
est le PDG de TF1, ardent adversaire de la TNT. Considérez-vous son projet
Adsl comme une simple manuvre de diversion ?
TF1 a quand même déposé
des dossiers pour la TNT : la chaîne va être reprise en simulcast, ils
ont demandé une chaîne bonus pour LCI et trois projets de chaînes ont
été retenus. Au total, dans la TNT, TF1 contrôlera cinq chaînes. Mais
cela va surtout permettre à TF1 et M6 de bénéficier d'une prolongation
de cinq ans de leur autorisation hertzienne sur le réseau analogique.
Car les autorisations de TF1 et de M6 données en 1987 arrivaient à échéance
en 2007 et il fallait les remettre en concurrence alors que jusqu'à présent,
il s'agissait toujours de reconductions permises par la loi. Dans le système
de la TNT, la loi a prévu que le fait d'aller en simulcast leur donnait
cinq ans de plus pour l'autorisation analogique actuelle. Il n'est pas
indifférent pour eux d'être encore tranquilles pendant cinq ans, jusqu'en
2012. Ils iront donc sur la TNT, même en traînant des pieds, car c'est
de leur intérêt d'y aller.
Pour en revenir à
la télé Adsl, que pensez-vous du conflit entre Free et TF1 ?
Dans le paquet télécoms, le législateur nous donnera une
compétence explicite pour régler les litiges entre éditeurs et distributeurs.
Nous pourrons être saisis de difficultés de ce type et ce sera à nous
de veiller que les relations s'effectuent sur des bases objectives, transparentes
et non-discriminatoires. En tout état de cause, le droit commun de la
concurrence peut s'appliquer aujourd'hui. C'est pour cela que Free est
allé voir le conseil de la concurrence, et celui-ci va nous demander notre
avis.
N'est-il pas paradoxal
que Free vienne vous voir après avoir lancé son offre, alors que TPS et
France Telecom sont déjà venus vous voir ? Est-ce une différence de culture
entre gens de l'Internet et gens de l'audiovisuel ?
Pas uniquement. Les gens de TPS, nous les connaissons
depuis le début et nous sommes en permanence en relation pour des négociations
sur des conventions de nouvelles chaînes ou des avenants sur des chaînes
existantes, ou pour des litiges entre chaînes et distributeurs. Dans l'Internet,
c'est un peu différent. Nous avons depuis quelques années un groupe "nouveaux
médias" qui rencontre les organisations professionnelles, AFA, Acsel,
etc. En revanche, nous n'avions aucune raison particulière de voir les
opérateurs eux-mêmes.
Vous suivez aussi les
projets sur IP comme celui de Numéricâble ?
Ils nous informent de leurs offres. Mais c'est en réalité
assez simple car s'ils distribuent des services à destination du PC, ils
offrent des chaînes déjà connues de nos services. La question intéressante
se posera lorsqu'on aura des chaînes 100% IP ou 100% Adsl, qui ne seront
pas distribuées par ailleurs.
Cela pourrait arriver
vite
La viabilité économique de telles chaînes n'a pour l'instant
pas été prouvée. Ça peut revenir, surtout avec les modèles low-cost,
mais à ce moment-là, on aura le cadre du paquet télécoms, qui dit que
nous régulons les services de télévision sur tous les réseaux. Et un service
de télévision, quel que soit le réseau, devra être conventionné avec le
CSA ou simplement déclaré s'il fait moins de 150.000 euros
de chiffre d'affaires.
Quelle est votre analyse
de l'offre audiovisuelle sur Internet?
En matière de télévision stricto censu, c'est à dire diffusion
d'un flux continu, je crois que les développements à court terme sont
limités. Les gens qui veulent plein de chaînes ont déjà le câble ou le
satellite. Et puis il y a la question des droits de propriété intellectuelle.
Pour diffuser un programme, un éditeur de chaînes doit disposer des droits
de propriété intellectuelle qu'il aura achetés chez un producteur qui
lui-même les aura achetés chez des auteurs. Et ces droits répondent à
ces conditions de support, sont très souvent territorialisés et ont une
durée limitée dans le temps. Donc les détenteurs actuels sont réticents
à les laisser exploiter librement sur Internet. On n'est pas sur des réseaux
virtuels fermés comme l'Adsl, mais sur des réseaux accessibles dans le
monde entier avec les risques de piraterie inhérents.
Donc ce n'est pas un
marché porteur à vos yeux ?
Regardez le marché américain, qui est toujours en avance
et doté d'une vraie base économique de téléspectateurs : on n'y voit pas
de killer application en la matière. Je ne vois pas les télés strictement
Internet percer, sinon sur des niches hyper-pointues. Mais alors, les
gens seront abonnés et devront payer.
Vous
croyez en la Video On Demand ?
Je pense que sur la
VOD et tous les services à la demande, il y a sûrement une compétence
distinctive pour l'Internet par rapport aux autres modes de distribution
de la télé. Aux Etats-Unis, le câble en fait beaucoup, mais pas en France.
Le satellite non plus. Donc pour l'Internet en France, les contenus audiovisuels
en VOD peuvent être une killer-application.
Vous
suivez aussi les développements en matière de multimédia mobile ?
Dans les colloques pour l'instant
Mais ce sont surtout des
contenus à la demande, qui relèvent de la correspondance privée. Lorsqu'un
abonné Internet ou mobile va chercher un contenu dans un catalogue, celui-ci
est envoyé de point à point. Ce qui pose par ailleurs le problème de l'encadrement
du peer-to-peer. Ainsi, j'entends les professionnels de la musique ou
du cinéma s'en prendre aux fournisseurs d'accès, qu'ils jugent responsables
de provoquer des échanges illégaux. Mais, encore une fois, c'est de la
correspondance privée.
Le développement de
la piraterie, qui touche aussi les programmes audiovisuels, est-il de
votre ressort ?
Nous avons une responsabilité générale sur le développement
de la production audiovisuelle nationale, donc la piraterie peut à un
certain moment porter atteinte à ces objectifs. Mais il faudrait que son
développement affaiblisse les capacités de production nationale et le
maintien de la diversité culturelle. Je ne suis pas sûr que beaucoup de
séries françaises fassent l'objet d'une piraterie telle que cela affaiblisse
notre potentiel de production nationale.
Selon vous, qu'est-ce
que les nouvelles technologies ont apporté au secteur audiovisuel ?
L'apport fondamental de la convergence, c'est qu'on voit
à coté des médias de masse se développer des services personnalisés, individualisés,
où le consommateur acquiert une liberté de choix beaucoup plus grande,
notamment avec l'interactivité. Cette évolution des médias de masse vers
des médias personnalisés correspond à l'air du temps.
Quels sont vos sites
préférés ?
Les sites de commerce électronique. Je ne vais pas en
citer parce que ce serait de la publicité clandestine, mais je fais beaucoup
de voyages, je consomme beaucoup de produits culturels et j'envoie de
temps en temps des fleurs
Qu'aimez-vous dans
l'Internet?
La rapidité de l'accès à l'infirmation et l'ouverture
que ça donne sur l'immensité de ce qui est disponible dans le monde.
Et qu'y détestez-vous
?
Le spamming.