par Etienne Papin
Avocat
Cabinet Salans
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Free
vient de dévoiler son offre de télévision par ADSL
(Lire l'article
du JDN du 28/11/03). Premier parmi les candidats
déclarés à commercialiser ce type de services, Free
inaugure ainsi ce qui était depuis longtemps anticipé
mais non encore réellement effectif : la "convergence".
Sous ce terme est résumé le fait qu'avec l'évolution
des techniques, le type de réseau de télécommunication
utilisé (téléphonique, hertzien, câblé) ne conditionne
plus le type d'utilisation que l'on peut en faire (voix,
données, images, son). A terme, tout type de réseau
pourra acheminer tout type de contenu.
La télévision par ADSL
est certainement l'exemple le plus frappant de cette
convergence : le réseau téléphonique va permettre d'acheminer
voix (service téléphonique traditionnel), données (Internet)
et contenus audiovisuels (radio et télévision). Mais
ce qui est aujourd'hui techniquement effectif est loin
d'être juridiquement organisé. Des régimes juridiques
spécifiques s'appliquent toujours aux opérateurs selon
qu'ils sont des opérateurs de télécommunications, des
câblo-opérateurs ou des fournisseurs de bouquets satellites.
Ces différences de statuts
doivent disparaître à terme, à la faveur de la transposition
en droit français du "paquet télécoms", ensemble de
six directives adoptées en 2002 pour remettre à plat
le droit des réseaux de télécommunications dans les
Etats membres de l'Union européenne. Cependant, alors
que les directives auraient dû être transposées avant
le 25 juillet 2003, le projet de loi de transposition
n'a été déposé à l'Assemblée Nationale que le 31 juillet
2003. Son adoption définitive n'interviendra vraisemblablement
pas avant le second semestre 2004.
En attendant, la situation
transitoire dans laquelle nous nous trouvons pose de
nombreuses difficultés aux acteurs du secteur confrontés
à des différences de statuts juridiques. Aujourd'hui,
les câblo-opérateurs font les plus ouvertement entendre
leurs craintes face au développement de la télévision
par ADSL dans un cadre réglementaire non achevé.
En effet, le régime juridique
des câblo-opérateurs remonte à une époque où le câble
était conçu comme le seul mode alternatif de diffusion
de la télévision, à côté du réseau hertzien. Ceci explique
un certain nombre de contraintes dans le statut des
câblo-opérateurs.
Ainsi, les câblo-opérateurs
sont soumis à un double régime d'autorisation pour l'établissement
et pour l'exploitation de leur réseau. D'une part, ce
sont les communes qui doivent en premier lieu autoriser
l'établissement du réseau sur leur territoire et conclure
ensuite une convention avec la société exploitant le
réseau câblé. Ensuite, l'exploitation du réseau est
autorisée par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel
sur proposition des communes (art. 34 de la loi du 30
septembre 1986).
L'activité de distribution
de services audiovisuels par câble est également soumise
à certaines obligations qui tiennent principalement
à la volonté du législateur de garantir le respect du
pluralisme. Ainsi, en application de la loi du 30 septembre
1986 qui leur est applicable, les câblo-opérateur sont
soumis au contrôle du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel
(CSA) qui a notamment pour mission de vérifier que l'offre
de "chaînes" des câblo-opérateurs est conforme à l'intérêt
du public au regard notamment de la variété des services
proposés, de l'équilibre économique des relations contractuelles
avec les éditeurs de services. Il s'agit pour le CSA
d'exercer un contrôle "qualitatif" sur la composition
du bouquet de chaînes distribuées par le câblo-opérateur
(art. 34 de la loi du 30 septembre 1986).
Autre restriction mise à la
charge des câblo-opérateurs, la limitation de leur nombre
maximum d'abonnés : une même société titulaire d'une
autorisation d'exploitation d'un réseau câblé ne peut
pas desservir plus de 8 millions de personnes (art.
41 de la loi du 30 septembre 1986). La suppression de
cette contrainte est cependant en cours de discussion
au Parlement.
Enfin, ces distributeurs de
services audiovisuels assument une obligation dit de
"must carry" signifiant qu'ils doivent distribuer sur
leur réseau l'ensemble des chaînes hertziennes en clair.
Cette mesure, qui a également vocation à s'appliquer
à la télévision numérique terrestre (TNT), est perçue
par les câblo-opérateurs comme une mesure discriminatoire.
Cette obligation de "must carry", qui peut se concevoir
lorsque les chaînes hertziennes sont au nombre de six,
est nécessairement beaucoup plus contraignante avec
la future TNT qui verra le nombre de chaînes disponibles
augmenter considérablement (art. 34 de la loi du 30
septembre 1986).
Même si la loi du 30 septembre
1986 ne définit pas ce qu'est la "télévision par câble",
il faut reconnaître que les textes qui régissent la
distribution de services de télévision par câble n'ont
pas été conçus pour s'appliquer aux réseaux de télécommunications,
nouvellement appelés à délivrer un contenu audiovisuel.
A ce jour, les opérateurs ADSL
qui proposent ou proposeront dans un avenir proche la
télévision par ADSL, sur un réseau établi et exploité
par eux, appartiennent donc uniquement à la catégorie
des opérateurs de télécommunications et relèvent, à
ce titre, du Code des postes et télécommunications.
En conséquence, aucune des obligations précitées applicables
aux câblo-opérateurs n'est applicable aux opérateurs
ADSL au titre du Code des postes et télécommunications.
Les propos tenus dernièrement
par le président de l'Autorité de Régulation des Télécommunications
(ART) indiquent plutôt la bienveillance du régulateur
pour le développement de la télévision par ADSL dans
cet environnement réglementaire "allégé". En effet,
l'offre de télévision par ADSL est vue comme un moyen
de développer la concurrence sur le marché de la téléphonie
grand public et de permettre aux opérateurs qui s'engagent
dans le dégroupage de la boucle locale de France Telecom
d'accélérer leur retour sur investissement.
Par le téléphone, l'hertzien
numérique et analogique, le câble et le satellite, les
bouquets TV frappent aux portes des particuliers. Dans
un secteur où la concurrence se développe, la réglementation
doit avoir pour objectif de créer les conditions de
cette concurrence, non de la fausser. C'est en ayant
ceci à l'esprit que législateur et régulateurs doivent
piloter le lancement de la télévision sur ADSL.
[epapin@salans.com]
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