Philippe
Nieuwbourg (Cabinet de conseil Marcom Generation) : "
"Microsoft-Navision aura du mal à déloger Sage""
Par le JDNet
Solutions (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/solutions/itws/020513_it_nieuwbourg_navision.shtml
Microsoft vient d'annoncer le rachat
de Navision, qui fait suite à celui de Great Plains en janvier
2001. Cette deuxième acquisition renforce sa présence
sur le marché des ERP en Europe et dans le monde. Philippe
Nieuwbourg, analyste et directeur associé chez Marcom
Generation interprète ce rachat comme la confirmation de
l'offensive de Microsoft sur les applicatifs professionels - un marché
où Bill Gates a longtemps juré ne pas vouloir s'impliquer.
Comme toujours, Microsoft compte devenir très rapidement leader,
mais les choses pourraient ne pas être aussi simples.
[Après cet entretien, Navision a tenu à apporter
les précisions suivantes:
"Les solutions Navision sont distribuées dans 30 pays incluant
la totalité des pays européens. Dans chacun de ces pays, nous sommes
représentés par une filiale (à l'image de la filiale
française) comprenant une équipe technique chargée de veiller notamment
à la localisation des solutions Navision ainsi qu'à la cohérence de
leurs évolutions avec les différentes contraintes locales qu'elles
soient d'ordre réglementaire ou culturel. Les solutions Navision sont
donc d'ores et déjà adaptées aux différents systèmes fiscaux et Navision
n'aura pas de travail de localisation à fournir ... il s'agira de
maintenir dans ce domaine une vigilance constante - ce qu'elle s'emploie
à faire depuis toujours - et donc en aucun cas de revoir systématiquement
l'interface du logiciel".]
Propos recueillis par Nicolas Six le 13/05/2002
Le marché
de l'ERP va-t-il être écrasé par Microsoft ?
Philippe Nieuwboug:
C'est en tout cas l'objectif de Microsoft. Partout où le
géant du logiciel débarque, c'est un peu la politique
du rouleau compresseur. Un rouleau compresseur, c'est lent mais
efficace. Il y aura donc des victimes dans les années qui
viennent, et comme toujours ce seront les plus vulnérables.
Dans trois ans, l'offre de Microsoft sera mûre, et le marché
aura un peu changé.
Qui en
pâtira ?
Toutes les petites entreprises qui se partagent
les restes du gâteau. En France, ce sont de petits éditeurs
comme Adonix, Segid ou Generix. Ils seront les premiers touchés.
Mais il ne faut pas oublier que le marché est dominé
par un géant qui sera bien difficile à détrôner.
Sage détient en effet 80% du marché des ERP ; il a
les reins solides et une clientèle très satisfaite
de ses services. Microsoft va devoir mettre les bouchées
doubles pour le détrôner.
L'arrivé
de Microsoft va-t-elle faire baisser les tarifs des ERP, et rendre
le marché moins rentable pour Sage ?
Probablement. Il est même fort possible
que Microsoft utilise sa puissance financière pour faire
un peu de 'dumping'. D'autant plus que la notion de bénéfices
est très floue dans le domaine des logiciels. Mais je ne
pense pas que cela menace pour autant les positions de Sage. D'une
part, Sage est financièrement solide. D'autre part, lorsqu'une
entreprise achète des licences d'ERP, elle ne s'oriente pas
immédiatement vers l'offre la moins chère. Elle regarde
avant tout les fonctionnalités du logiciel. Et dans ce domaine,
Sage a une avance considérable. Et un grand capital confiance.
Que manque-t-il
au nouveau tandem Microsoft-Navision pour concurrencer Sage ?
Microsoft maîtrise l'art du marketing
et de la communication, Navision est crédible dans le domaine
de la politique commerciale. Mais le logiciel de la société
danoise n'est pas distribué partout en Europe et dans le
monde : il n'est pas adpaté à tous les systèmes
fiscaux. Pour pouvoir distribuer ses logiciels, la nouvelle entité
devra fournir un énorme travail de localisation, d'adaptation
aux normes de chaque pays. De même, Navision va devoir lutter
pour préserver l'adaptativité de son logiciel. Jusqu'à
présent, ses solutions étaient très souples
et très paramétrables. Mais les choses vont changer
: Microsoft n'a jamais été un grand promoteur de la
souplesse. Le géant de Seattle a pris l'habitude de réduire
les posibilités de paramétrage de ses offres au maximum
pour pouvoir proposer ses logiciels dans des packs, des ensembles
de solutions standardisées. C'est là que se trouve
l'immense défi que Microsoft et Navision vont devoir relever :
réussir à concilier personnalisation et standardisation.
L'objectif ? Proposer des offres adaptées aux régimes
fiscaux radicalement différents de chaque pays, ce qui suppose
de revoir systématiquement l'interface du logiciel. Et parvenir
à garder et à étoffer une clientèle
qui appréciait la souplesse des solutions de Navision.
L'absorption
de Navision va donc être mouvementée ?
Le choc des cultures
d'entreprise devrait avoir des répercussions jusque dans
la politique commerciale du nouvel ensemble. Jusqu'à présent,
Navision distribuait ses solutions via des intégrateurs.
Microsoft va probablement imposer ses méthodes, qui consistent
à aller directement chez le client. Je ne serais pas surpris
si certains commerciaux quittaient l'entreprise...
Faut-il
croire Microsoft lorsqu'il annonce de grandes perspectives de croissance
sur ce marché ?
Non. Il est vrai que toutes les PME ne
sont pas équipées de progiciels d'ERP. Mais toutes
les entreprises moyennes - la cible de Navision - sont équipées
de tous les logiciels dont elles ont besoin, quitte à en
utiliser plusieurs et à les faire cohabiter. Le marché
des ERP est donc un marché de renouvellement et, encore une
fois, il va falloir que Microsoft déploie des arguements
commerciaux très solides pour gagner des parts de marché.
Le rachat
de Navision est-il redondant avec le rachat de Great Plain en janvier
2001 ?
Assurément pas. Great Plain est surtout présent sur
les marchés anglo-saxons, et il mise sur la séduction
des petites entreprises. Navision est une société
fortement implantée en Europe, et elle vise les entreprises
de taille moyenne. Les deux offres continueront de cohabiter : Microsoft
vendra Navision et Great Plains en Europe et aux Etats-Unis. Il
y a d'ailleurs fort à parier que les deux entreprises garderont
une certaine forme d'autonomie : Microsoft veut éviter d'être
une fois de plus attaqué pour ses positions monopolisitques.
Et il faut rappeler qu'en 2001 déjà, la justice avait
examiné de près le rachat de Great Plains.
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