La synergie de la décarbonation et de la digitalisation

Le monde fait face à deux mouvements majeurs qui vont avoir une incidence sur son évolution : les conséquences du changement climatique d'une part, et la digitalisation de l'économie et des interactions humaines d'autre part. Or il y a là une convergence : les technologies digitales émergent comme des acteurs essentiels pour une transition énergétique et climatique.

Réconcilier croissance économique et impératif écologique

L’accord de Paris fixe des objectifs nécessaires mais ambitieux pour limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici à la fin du siècle. En termes concrets, cela revient à baisser les émissions des gaz à effet de serre de 4 à 5 % par an – rythme atteint uniquement l’année du Covid, et aucun pays n’a atteint cette cible l’année dernière à l’exception de la Chine et du Royaume-Uni.

Nous sommes donc loin du compte et, en simplifiant l’enjeu, les deux options qui sont discutées sur la place publique sont la décroissance ou l’innovation. La décroissance ne peut être que subie car, si elle n’est pas fondamentalement désirable, elle ne sera pas désirée par le plus grand nombre quitte à la subir encore plus durement plus tard. À l’inverse, l’innovation et la croissance ont permis des avancées exceptionnelles en matière de santé, d’accès alimentaire ou de logement, de mobilité ou d’infrastructures. Avec certains déséquilibres mais avec certitude.

De fait, l’innovation technologique est plus que jamais nécessaire, et représente une opportunité d’investissement considérable. Certaines de ces innovations, encore à un stade préliminaire de leur développement, nécessiteront du temps avant de se concrétiser, comme les petits réacteurs nucléaires modulaires, plus flexibles et économiques, l’hydrogène pour l’aviation, ou encore les alternatives aux matériaux plastiques. D’autres innovations peuvent avoir un impact positif dès maintenant sous réserve qu’elles se déploient rapidement, auprès du plus grand nombre, ce qui est la caractéristique intrinsèque du digital.

L’innovation digitale comme accélérateur de la transition

Les outils digitaux et l’intelligence artificielle offrent un potentiel immense pour transformer nos économies et accélérer leur décarbonation. Ils permettent d’optimiser les infrastructures énergétiques en limitant les déperditions, de favoriser le réemploi et le recyclage grâce à des plateformes numériques, ou encore d’automatiser et rendre plus efficaces les processus industriels. Dans les transports, la mobilité connectée améliore la gestion des flux routiers, aériens et maritimes, tandis que dans la construction et l’immobilier, le numérique optimise l’usage des matériaux, renforce l’efficacité énergétique et introduit la maintenance prédictive. Enfin, dans la finance et l’assurance, l’intégration des données climatiques oriente les investissements vers des choix plus responsables.

L’apport de l’intelligence artificielle est en cela décisif car peut s’attaquer à des systèmes complexes, avec une multitude de paramètres, et ce plus rapidement et à moindre coût.

Et cela va s’accélérer avec une plus grande maturité des SLM (petits modèles de langage) moins énergivores que les LLM (grands modèles de langage) comme ChatGPT, davantage de production d’énergie décarbonée, et enfin davantage de productivité grâce à l’IA agentique. Ces progrès ont déjà débuté.

L’innovation des modèles d’affaires et financiers

La transformation des industries et de nos habitudes de consommation ne sera pas uniquement le fruit d’avancées technologiques. Il faut aussi que ces innovations se déploient rapidement et touchent le plus grand nombre. Pour ce faire, quelques exemples à succès ces dernières années sont encourageants et éclairants. Des sociétés comme Enpal ou 1Komma5 en Allemagne ou Beem en France, ont su rendre les panneaux solaires à la fois accessibles et désirables, soit par un financement en leasing soit par un la mise à disposition en grandes surfaces spécialisées à un coût attractif. Et dans les deux cas, une connexion digitale directe avec les consommateurs est essentielle pour leur permettre de visualiser les bénéfices de leur nouvelle installation solaire. Il en va de même avec la décentralisation de la production électrique, qu’il s’agisse de panneaux solaires, de pompes à chaleur ou d’éoliennes. Cette transformation peut donner naissance à de nouveaux schémas de financement ou de revente, de gré à gré ou via le modèle energy-as-a-service.

Il y a fort à parier que les entrepreneurs de la blockchain, de l’intégration de la modélisation paramétrique grâce à l’IA, du micro-financement ou de la valorisation des biens de seconde main, sauront développer de nouveaux modèles d’affaires attractifs pour les entreprises et les consommateurs.

Décarboner et capturer le carbone

Si la décarbonation de nos économies est primordiale, cela ne suffira pas : il faut également favoriser les technologies qui capturent les émissions de carbone et autres gaz à effet de serre, actuelles et passées. En effet si la biosphère et les océans captent naturellement environ 40 % des émissions, le reste finit dans l’atmosphère, et ce pour des milliers d’années.

Les technologies de capture de carbone se divisent principalement en deux catégories : la capture à la source et la capture atmosphérique. Certains systèmes de capture directe de l’air sont encore récents, souvent trop chers et leur cycle complet énergétique n’est généralement pas favorable. En revanche des solutions de captation à la source d’émission ont une viabilité économique atteignable quand elles sont bien modélisées tout en valorisant le carbone récupéré.

Parallèlement, des solutions basées sur un modèle économique circulaire durable peuvent être mises en œuvre immédiatement. C’est le cas du reboisement réalisé dans des zones stratégiques ou de l’utilisation du biochar, produit par la pyrolyse de matières organiques, qui séquestre du carbone tout en améliorant la qualité des sols. Les technologies BECCS (BioEnergy Carbon Capture Storage), qui s’appuient sur l’électro-chimie, offrent également des perspectives prometteuses en combinant capture de CO2 et rendement énergétique durable.

La décarbonation et la capture carbone sont à un tournant décisif. Tout est affaire d’approche holistique, de complémentarité des solutions mises en œuvre dont le pilotage optimisé ne se fera pas sans investir dans les technologies digitales et l’IA qui permettent d’aller plus vite, de façon moins coûteuse, plus efficace et plus équitable.