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Philippe
Guillanton
(Directeur des opérations
de Yahoo Europe)
Votre
mission, si vous l'acceptez...
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Il
a basculé presque par hasard dans la Net economy
en 1996, quittant la presse pour rejoindre une start-up
américaine qui démarrait en Europe. Bien
lui en a pris : La start-up s'appelait Yahoo.
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"The
media opportunity of a lifetime". L'offre d'emploi publiée
dans Le Monde était peu explicite. Juste un petite phrase
: "Une star montante de l'Internet crée ses filiales européennes
et cherche un directeur commercial". Aucun logo, seulement
un contact à Londres. Philippe Guillanton est tombé dessus
par hasard, en juillet 1996. "J'étais dans le train, de retour
de Bruxelles. Je n'avais rien à faire et c'est le genre d'occasion
où vous épluchez un journal de A à Z. Cette annonce, j'aurais
très bien pu ne pas la voir. Je crois que j'aurais raté une
opportunité incroyable". La star montante, il va le découvrir
quelques semaines plus tard après avoir répondu à l'annonce,
c'est Yahoo, en train de constituer ses équipes pour son lancement
européen.
Philippe Guillanton a "tilté
sur le titre de directeur commercial ainsi que sur le mot
Internet. Et je voulais absolument aller dans une société
anglo-saxonne pour avoir des stock-options." Début octobre,
un recruteur lui présente la mission : créer des régies intégrées
en France, en Allemagne et en Angleterre. L'affaire se règle
en deux semaines, affirme-t-il. "Quelques jours avant, j'avais
lu dans Business Week un enquête qui les présentait comme
le média du 21ème siècle. Pour moi, c'était clair, et je n'ai
pas eu trop de concurrents : à l'époque, il était difficile
de convaincre des jeunes Européens de rejoindre une start-up
américaine dans l'Internet." Depuis, il a atteint tous ses
objectifs. Les titres? D'abord directeur commercial de Yahoo
Europe, il en est aujourd'hui à 34 ans le directeur des opérations
(couvrant huit pays et 400 personnes), après avoir été entre-temps
directeur général de Yahoo France. L'Internet? Les sites Yahoo
sont dans le peloton de tête de chaque pays (Yahoo France
revendique 380 millions de pages vues en novembre). Les stock-options?
Il n'en révèle évidemment pas le nombre, mais "je n'ai plus
d'inquiétudes à me faire pour le restant de mes jours", affirme-t-il.
"Je
n'avais pas du tout l'impression de prendre un risque,
même si en rentrant chez Yahoo, j'ai sacrifié quatre mois
de salaire. Ça s'est équilibré depuis
" |
Le grand saut
de 1996 n'était pourtant pas évident. Wanadoo venait de démarrer
et on comptait officiellement 70.000 internautes en France.
Philippe Guillanton occupait le poste de directeur de la publicité
internationale à L'Expansion, où il était entré sept ans auparavant.
Profil : un commercial dynamique et vibrionnant comme la presse
magazine en compte tant, le sens de l'humour en plus. A l'époque,
Internet n'évoque pas grand chose, Yahoo encore moins. "A
vrai dire, je ne savais même pas ce qu'était Yahoo quand il
est venu m'annoncer son départ, se rappelle Pierre Conte,
le directeur commercial du magazine à l'époque, aujourd'hui
président du directoire de la régie IP. On était tous assez
surpris." Philippe Guillanton, lui, est sûr de son choix.
"Je n'avais pas du tout l'impression de prendre un risque,
même si en rentrant chez Yahoo, j'ai sacrifié quatre mois
de salaire. Ça s'est équilibré depuis
"
A
L'Expansion, où il épluchait la presse américaine à la recherche
d'annonceurs potentiels, il s'était familiarisé avec le secteur
de l'Internet et disposait de l'une des trois connexions du
Groupe (il jure aujourd'hui que sa page de démarrage était
déjà yahoo.com). Mais le plongeon ne se fait pas sans douleur.
"La première année, j'ai vraiment ramé", avoue-t-il, même
s'il sourit au souvenir de cette jeune structure "où tout
le monde faisait tout et où il fallait s'occuper soi-même
de son PC". Si son premier voyage à Santa Clara, au siège
de Yahoo, est "une illumination", les "conference calls" en
anglais au milieu de la nuit sont plutôt des cauchemars. Deux
années sont consacrées à construire des régies intégrées dans
chaque pays, mettre en place des politiques tarifaires. Au-delà
du commercial, il découvre l'activité de commerce électronique
que Yahoo commence à mettre en place, ainsi que les outils
logiciels.
Et Yahoo grossit
vite. Très vite. En 1998, la division Europe abandonne son
organisation transversale et met en place des directions générales
locales. "J'ai pris la France en janvier 1999, on était 18.
Nous venons de recruter la 80ème personne." Il appréhende
de nouveaux domaines : la gestion, l'administratif, les ressources
humaines, mais toujours dans le cadre de l'organisation Yahoo.
"Nous avons une discipline stricte, notamment au niveau des
produits, que l'on ne peut pas modifier s'il y a un risque
de les faire sortir de la sphère Yahoo. L'avantage, c'est
que nous disposons d'une base de données consommateurs unique
au monde. Mais c'est parfois frustrant pour nos équipes locales,
même si je n'ai aucun état d'âme à les motiver." Le commercial
d'hier, regard perçant sous la mèche rousse, se métamorphose
en manager, prend de l'épaisseur et, paradoxalement, semble
plus lucide, plus serein.
Dans
l'affaire des enchères nazis, il s'est retrouvé
en première ligne. Normal, dit-il, le DG d'un pays est
aussi le porte-parole et le lobbyiste. |
"Il est très
intelligent et ne manie pas les clichés, confie encore Pierre
Conte. Mais il a parfois des opinions un peu tranchées." Quatre
ans après son grand plongeon, Philippe Guillanton affirme
en tout cas avoir conservé son énergie, bien qu'il travaille
70 heures par semaines, passe deux heures le dimanche à répondre
à ses mails ("sinon, le lundi matin, on est submergé et la
semaine est foutue") et ne part jamais en vacance sans son
PC. "Je n'aurais jamais cru être capable de tenir un rythme
pareil pendant quatre ans", avoue-t-il. Il voit ses enfants
le matin et le week-end, n'accepte plus de dîners en semaine.
Lui qui "se targuait d'avoir une oreille parfaite", selon
un ancien collègue, a peu de temps pour cultiver l'un de ses
talents cachés, le piano jazz.
Son année
2000 a été marquée par "l'affaire la plus préoccupante que
nous ayons eu à résoudre en France". Yahoo a été poursuivi
en justice pour avoir diffusé sur son service d'enchères américain
des ventes d'objets nazis. Le tribunal a condamné Yahoo Inc.
à mettre en place un système de filtrage empêchant l'internaute
français d'accéder à ces ventes. La société ne s'est pas encore
prononcée sur la position qu'elle allait adopter même si le
16 juin, Jerry Yang, cofondateur de l'entreprise californienne,
avait par avance opposé une fin de non-recevoir dans une interview
à Libération. Ses propos ont fait grand bruit, mais Philippe
Guillanton estime que " c'est pour défendre les principes
de développement d'Internet que Yahoo a pris le risque, certes
énorme, de passer pour le complice de nazillons dont on est
tous d'accord pour dire qu'ils font tache sur l'Internet".
Parce que "la manière dont les Américains réagissent est très
mal perçue en France", Philippe Guillanton s'est retrouvé
en première ligne. Normal, dit-il, le DG d'un pays est aussi
le porte-parole et le lobbyiste. Un nouveau rôle pour celui
qui a embauché récemment un deuxième juriste, spécialiste
du droit pénal (la France serait la seule filiale européenne
dans cette situation) et qui affirme qu'il n'a pas défendu
cette position à contre-cur.
A son
poste européen, Philippe Guillanton a pour mission d'aider
les patrons de filiales locales à s'organiser et acquérir
une relative indépendance, tout en composant avec les centres
de contrôle opérationnels, à Londres et aux Etats-Unis. Autre
défi pour Yahoo, la baisse du marché publicitaire et que la
Bourse a sévèrement sanctionnée. "Aujourd'hui, notre part
de marché est de 10% des revenus de la pub en ligne mondiale.
Il n'y a pas de raison que cela diminue." L'objectif est néanmoins
de diversifier les revenus (e-commerce, enchères, le service
Corporate Yahoo, qui licencie la suite logicielle pour les
intranets d'entreprises). Une quatrième source de revenus
est envisagée, les services payants (capacité de stockage
accrue, référencement plus rapide dans l'annuaire...) "C'est
pour ça que je pense que les inquiétudes des marchés sont
sérieusement exagérées", conclut Philippe Guillanton, qui
surveille pourtant le cours de Yahoo toutes les 5 minutes.
Les difficultés actuelles, dit-il, renforcent son enthousiasme,
"car on en sortira plus forts que nous ne l'étions il y a
un an quand on valait plus que Boeing. On pourra affronter
toutes les tempêtes. De toutes façons, si nous on ne s'en
sort pas, personne n'en sortira". Philippe Guillanton n'a
jamais douté.
[François
Bourboulon, JDNet]
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