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Patrice
Legrand
(Co-fondateur de Finance-Net,
éditeur de Boursorama)
La
fourmi face aux cigales
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Le
créateur nancéein de Boursorama,
au côté de Stéphane Mathieu,
a construit son succès grâce à une
gestion aussi rigoureuse qu'un hiver dans l'Est. Il
agace beaucoup ses concurrents... et il aime ça.
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Dans
un milieu, l'Internet, et un domaine, la Finance, où le luxe
et l'apparence font souvent bon ménage, Boursorama,
site roi de l'information financière sur l'Internet français,
a fait sienne la devise de Guy Roux, l'ex-entraîneur
d'Auxerre : "Pour réussir, faut pas gâcher". L'immeuble
où elle installée la jeune société,
dans une artère animée de Nancy à deux pas de la place Stanislas,
ne paie pas de mine. On remarque à peine une petite
étiquette apposée sur la sonnette où l'on peut lire
"Finance Net". L'équipe
est logée là, recluse
et discrète, loin des tumultes de la Nouvelle économie.
Discrétion et saine gestion
: deux qualités érigées en vertu aujourd'hui
dans l'Internet, alors qu'elles étaient considérées
comme des vices au début de l'année, période
pendant laquelle, selon Patrice Legrand, "on nous riait
au nez quand on disait qu'on était rentable et qu'on
n'avait pas envie de lever des sommes colossales pour rien".
Lui et Stéphane
Mathieu,
l'autre fondateur, en avaient
pourtant les moyens après avoir imposé leur site comme l'un
des piliers de l'Internet français : plus de 60 millions
de francs de chiffre d'affaires prévu cette année,
136 millions de pages vues et 1,242 million de visiteurs uniques
en novembre, 500.000 membres. Des chiffres qui donnent le
tournis même aux plus grands portails français.
Avec ses joues rosées, ses petits
lunettes et son visage rond comme celui d'un personnage de
Charles Schultz, Patrice Legrand fait mine d'esquiver le compliment
quand on énumère les chiffres. Mais il s'empresse
d'ajouter : "En plus, cette audience a été réalisée
sur une thématique, la finance. Nous, on ne fait pas nos pages
vues grâce à des requêtes sur le mot sexe comme
les grands portails", plastronne-t-il avec son accent
traînant.
En
1998, les deux hommes sentent un frémissement du marché
de la finance en ligne. Sans hésiter, il vont chercher
un directeur informatique pour réfléchir au projet de
leur vie : Boursorama. |
Ce sera le
seul accès d'immodestie lors de l'évocation
de son parcours, lui qui préfère systématiquement
se retrancher derrière "le travail de toute une
équipe et un timing parfait".
"En 1996, il était hors de question de lancer Boursorama.
Le marché n'était pas prêt et on n'aurait pas été rentable,
alors on a fait cela début 1998. Idem quand on a lancé
Finance-Net en 1996, on voulait toujours être en phase
avec un besoin des internautes."
Car avant
l'aventure Boursorama, il y eut Finance-net. Patrice Legrand
est alors en DESS de Finance à Nancy. Passionné par tout ce
qui touche à la chose boursière, il décide de
lancer un annuaire de la finance en ligne en compagnie d'un
ami, Stéphane Mathieu. Succès d'audience immédiat à
une époque où les grands sites français se comptent
sur les doigts d'une main. Mais l'audience ne leur suffit
pas, ils veulent également une société
rentable, quitte à ne pas se payer. "Si les recettes
s'élevaient à 3.000 francs certains mois, les
dépenses ne devaient jamais franchir ce seuil",
insiste Patrice Legrand. Au milieu de l'année 1998, les deux
hommes sentent un frémissement du marché de la finance en
ligne. Sans hésiter, il vont chercher un directeur informatique
pour réfléchir au projet de leur vie, Boursorama.
L'objectif
est de créér un site incluant tous les cours de Bourse, fiable,
efficace et rapide. Un pari peu aisé à l'époque et qui fait
dire à Patrice Legrand : "Contrairement à ce que les
gens imaginent en voyant la multitude de sites qui coexistent,
créer un site boursier ne se résume pas au branchement
d'un câble. C'est usant et on doit faire des sacrifices
24 heures sur 24." Le projet est d'autant plus risqué
que Boursorama se trouve dans un secteur où sévissent
déjà des prédateurs comme Les Echos ou
La Tribune. Mais les deux fondateurs n'en ont cure et misent
tout sur l'aspect communautaire de leur site, en incluant
un espace où les gens peuvent librement discuter de leur passion
pour la bourse. "Les forums, c'était notre idée fondatrice
et tous les outils que l'on s'est evertué à
développer par la suite devaient servir cette communauté
pour la rendre plus fidèle", s'enthousiame Patrice
Legrand, qui ajoute : "Chez nous, contrairement à
d'autres, la page d'aide est superflue. Les gens comprennent
tout de suite comment fonctionne le site!"
A l'automne
1999, l'audience, déjà solide, explose. La folie
internet est passée par là et l'engouement des boursicoteurs
est irrésistible. Pour mieux en discuter, tous se rendent
dans leur nouveau temple, "ce carrefour de toutes les
convoitises, cette cathédrale mégalomaniaque des appétits",
comme l'a décrit Daniel Schneidermann dans Le Monde.
"Dans l'Internet, la masse amène la masse", résume
plus prosaïquement Patrice Legrand. En novembre 1999,
fort de ce succès, les
deux fondateurs font une entorse à leur gestion en solitaire
en ouvrant 10% de leur capital à la banque allemande Net.IPO.
Suffisamment pour disposer d'argent frais et assez peu pour
ne pas avoir un actionnaire encombrant dans la place. On leur
proposait beaucoup plus, mais la folie qui s'est emparée du
milieu ne les effleure guère.
Patrice Legrand avoue même rétrospectivement
"être complètement passé à côté de l'euphorie boursière"
alors qu'étudiant, il jouait allègrement son argent de poche
sur quelques valeurs de la cote. "On était tellement immergé
qu'on n'a pas eu le temps, reconnaît-il. A la limite,
tant mieux, car je ne sais pas ce qui serait arrivé si on
avait été au coeur de ce délire."
"On
a rencontré beaucoup de monde, mais franchement, je ne
serais pas allé au boulot de la même façon si on avait
revendu." |
De toute façon,
il sait que cette spirale boursière est favorable à
sa société. Plus la Bourse monte, plus l'audience
grimpe, et plus Boursorama engrange des bénéfices.
Les propositions de rachat de sa société affluent
d'ailleurs à l'époque, même si Patrice Legrand reste discret
sur les montants et les acheteurs. "On a rencontré
beaucoup de monde, concède-t-il, mais franchement,
je ne serais pas allé au boulot de la même façon
si on avait revendu. D'autant qu'il fallait également
préserver l'exceptionnelle ambiance qui règnait,
et qui règne toujours, parmi nos salariés".
"Tant pis pour lui", disent les mauvaises langues
: fin mars, c'est le e-krach. Si la spéculation ne
joue plus, les boursicoteurs vont être moins enthousiastes,
pénalisant ainsi fortement des sites comme Boursorama.
Mauvais calcul, encore une fois. "Les gens ont eu au contraire
besoin de plus d'informations pour faire leur sélection. Notre
croissance a ainsi un peu ralenti mais ne s'est pas arrêtée.
Avec un Nasdaq qui perdait près de 50% dans le même
temps, c'est quand même pas mal", argumente Patrice
Legrand.
Ce succès
qui se prolonge agace la concurrence. Dans la presse, commencent
ainsi à fleurir des critiques sur ces forums qui seraient
"des nids de désinformations" et qui "tromperaient
le petit actionnaire sans défense". A cette simple
évocation, le fondateur de Boursorama, plutôt
calme, lève les bras au ciel, se trémousse sur son
siège, prêt à cracher son fiel, puis se
ravise soudainement en glissant, narquois, "ce n'est tout
de même pas sur Boursorama qu'il y a du délit d'initiés, que
je sache". Une allusion à peine voilée à l'affaire Carrefour/
Promodès, qui a éclaboussé quelques figures
du tout-Paris. Il n'ira toutefois pas plus loin sur "l'affaire
des forums", préférant effectuer
une pirouette convenue sur le thème "toutes les
critiques injustes nous rendent plus fort".
Solidement
ancrés dans leurs convictions, Patrice Legrand et son
équipe continuent leur route avec quelques projets,
plus ou moins bien définis, dans les cartons. L'international?
"Pourquoi pas, mais pas seul. On préfère être n°1
en France et loin devant que n°4 en Allemagne et en Angleterre".
La télévision interactive? "Peut-être, mais si on est rentable.
Si c'est pour enchaîner les pertes, on n'est pas d'accord
". Créér un autre site? "Non. Mais si on a le temps, on amènera
notre expérience dans d'autres projets." Finance-Net
vient notamment de prendre une participation dans Emilio.com,
une loterie en ligne, dont les fondateurs ont comme qualité
principale "d'être comme nous : ils ne jettent pas l'argent
par les fenêtres et sont rentables". Quant à avoir davantage
de temps libre, Patrice Legrand, dit ne "pas y penser
et ne pas vraiment en avoir envie". Ou alors pour aller un
peu plus souvent au stade Saint Symphorien, à Metz, voir jouer
son équipe de football favorite. Un club dont il se verrait
bien le mécène dans quelques années,
si l'aventure Boursorama est couronnée de succés,
et auquel il appliquerait sans nul doute ses recettes en matière
de gestion. Les stars n'ont plus qu'à bien se tenir.
[Jérôme
Batteau, JDNet]
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