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Jean-Baptiste Rudelle
(Kiwee)

L'heure de gloire a sonné


Alors que début 2000 tous les regards se focalisaient sur le Wap, Jean-Baptiste Rudelle a préféré jouer la carte du réalisme en lançant Kiwee, un site dédié aux utilisateurs de GSM. Loin de faire des plans sur la comète, il a forgé son projet en ne pensant qu'à une chose : quels sont les besoins actuels des Internautes ? Une question simple, mais radicale.

K-Mobiles, plus connue sous son nom commercial Kiwee, compte aujourd'hui plus de 700.000 utilisateurs inscrits et 20 millions de pages vues par mois. Une jolie performance pour un acteur né au mois de février dernier. Mais cette réussite ne doit pas grand chose au hasard. Jean-Baptiste Rudelle, le porteur du projet, aujourd'hui PDG d'une société de 40 salariés, est un véritable stratège. Ce passionné d'échec de 31 ans, qui a participé au championnat de France dans sa jeunesse, est un homme rompu à la prise de décision rapide. Entrepreneur dans l'âme, il sort de Supélec et choisit de faire ses premières armes dans le secteur technique chez Enercal puis chez Lucent. Il rejoint ensuite le consulting chez Roland Berger puis Arthur D Little. "Le consulting est une excellente école où j'ai beaucoup appris. Mais à la fin je finissais par trouver frustrant de ne pas pouvoir aller au bout des choses."

Parallèlement à son métier de consultant il crée une première société spécialisée dans le Call-Back. "J'étais distributeur d'une solution proposée par une société américaine, mais je n'avais pas de fonds propres. J'avais donc créé une SARL et je continuais à travailler parallèlement." La société disparaît mais l'expérience sera riche d'enseignement pour Jean-Baptiste Rudelle. Loin de renoncer à son désir de création d'entreprise, en 1998 il part donc dans la Sillicon Valley avec l'idée de créer une société de services liés à la téléphonie mobile. "Mais j'ai vite compris que les Etats-Unis étaient plutôt en retard pour le mobile et que le vrai marché était l'Europe". Jean-Baptiste Rudelle a alors déjà en tête son modèle économique : il veut offrir des services à valeur ajoutée aux utilisateurs de mobiles et les financer par un partage de revenus avec les opérateurs. "Dans le cadre de missions de consulting, j'ai travaillé avec de nombreux opérateurs télécoms et je connaissais particulièrement bien le modèle de Docomo au Japon. Là-bas, l'opérateur propose l'utilisation de sa plate-forme aux éditeurs de services et reverse 91% des revenus générés aux fournisseurs."

"A une époque où tout le monde ne jurait que par le Wap, nous misions sur le parc existant de GSM pour utiliser la fonction SMS. Je pense que nous avions raison trop tôt."

Malgré tout, Jean-Baptiste Rudelle ne croit pas dans la reproduction des modèles Internet pour la téléphonie mobile : "Sur le Web vous aviez beaucoup de services et peu d'utilisateurs. Pour le mobile en France et en Europe c'était exactement l'inverse !" Convaincu d'avoir une histoire à écrire, il se lance au cours de l'été 99. Il parvient à convaincre Jean Charbonnier et Francis Cohen, deux anciens collègues de chez Arthur D Little, de se joindre à lui. Les trois associés injectent la totalité de leurs économies et lancent la société K-Mobiles. C'est donc avec une mise de fonds d'un peu plus d'un million de francs que l'équipe se met au travail.. A l'époque la toute jeune société est hébergée dans une chambre de bonne de 10m². Rapidement cinq personnes sont embauchées. K- Mobiles déménage et est alors hébergé gracieusement par la société Expressit, dirigée par Sophie Davidas. "Elle nous a donné un super coup de pouce car nous ne pouvions rien louer à l'époque." La première pré-version du site est testée auprès de 300 personnes. Le service s'appelle alors "barbouze". "Nous avions arrêté le nom de Kiwee mais nous voulions rester très discrets. Il s'agissait de tester un jeu à base de Quizz via des SMS. Pour les cadeaux nous avions convaincu le BHV, dont les responsables avaient été amusés par notre idée."

Jean-Baptiste Rudelle et ses associés ont ensuite démarché une dizaine de petits fonds d'amorçage, et parviennent à convaincre deux investisseurs de les suivre pour un apport total de 2 millions de francs. "Nous n'avons pas tout de suite été compris par les investisseurs. A une époque où tout le monde ne jurait que par le Wap, nous misions sur le parc existant de GSM pour utiliser la fonction SMS. Je pense que nous avions raison trop tôt." Une deuxième levée d'amorçage complémentaire de 2 millions de francs est réalisée en février 2000 et au mois de mars le site devient opérationnel. Au programme : des jeux via SMS, des logos et des sonneries personnalisées. "L'idée des sonneries m'était déjà venue à l'époque où consultant. J'avais assisté à des focus group pour les opérateurs qui montraient que la sonnerie était devenue un véritable facteur de différenciation entre les utilisateurs de mobiles."

Du jour au lendemain, après le mois d'avril tourmenté pour les valeurs Internet, les investisseurs sont venus trouver Kiwee..

Cette simple idée marketing ressemble aujourd'hui à un véritable coup de génie, le phénomène de mode des sonneries originales est devenu une des meilleures sources de recrutement pour Kiwee. Mais cette croissance rapide ne se fait pas sans sueurs froides : "Je me souviens que l'un de nos meilleurs coups de pub a été un passage au journal de 20 heures de TF1 fin avril. Dix minutes avant le reportage, le serveur était planté. Nous l'avons redémarré en catastrophe et c'est in-extremis que nous pu relancer le site pour le journal !" Parallèlement les marchés financiers se sont inversés pour Kiwee. Du jour au lendemain, après le mois d'avril tourmenté pour les valeurs Internet, les investisseurs, désireux d'investir dans les services liés à la téléphonie mobile, sont venus trouver Kiwee.

Un retournement complet pour la jeune société. "Nous avons vécu des moments difficiles. Lors de notre première levée de fonds, nous arrivions au bout de notre trésorerie. A cette époque j'empruntais de l'argent à droite et à gauche pour faire vivre ma société." Ses associés le disent pragmatique, rapide dans ses décisions et surtout à l'écoute. "Il réfléchit vite et bouillonne d'idées, explique Francis Cohen. En outre, il n'a aucun problème d'ego et n'hésite pas à changer d'avis pour une bonne idée, même si elle ne vient pas de lui." Passionné de sports de glisses, Jean-Baptiste Rudelle se ménage des breaks d'une ou deux semaines chaque année pour changer d'air. "Nous sommes assez organisés pour cela aujourd'hui." Son mode de transport préféré pour rejoindre les nouveaux locaux de K-Mobiles, quai de Jemmapes à Paris : "Les rollers, surtout quand il pleut !", s'amuse Francis Cohen.

[Fabien Claire, JDNet]