Mercredi 21 novembre 2001

Zebank dans l'impasse....
Par le Journal du Net
URL : http://www.journaldunet.com/dossiers/zebank/zebank.shtml

1. Novembre 2000 : le temps presse

Nous sommes le mercredi 29 novembre 2000. Pour Philippe Jaffré, président du conseil de surveillance de Zebank depuis deux mois, et Olivier de Montety, président du directoire, c'est le baptême du feu. Les deux hommes vont présenter dans les locaux du Groupe Arnault, à Paris, la première version opérationnelle du site de Zebank. Après quinze mois de tâtonnements, le patron de LVMH montre quelques signes d'impatience sur le dossier Zebank.

Zebank en dates

Juillet 1999 : Chahram Becharat, le PDG d'Europ@web veut lancer un courtier en ligne. Quatre hommes sont recrutés pour cadrer le projet : Olivier de Montety et Frédéric Viviani (issus de Fimatex), Bernard Hauzy (Paribas Affaires Industrielles) et Mark Barry (Banque Morgan). La structure est dotée de 110 millions d'euros.
Janvier 2000 : le projet démarre sous le nom ZeProject, un "focus group" géant sur le Web qui vise à recueillir l'avis des internautes et à entamer la communication.
Février 2000 : Dexia rejoint le projet à hauteur de 20 % du capital.
Mars 2000 : Zebank obtient l'agrément bancaire du Comité des Etablissements de Crédit et des Entreprises d'Investissement.
Septembre 2000 : Philippe Jaffré est nommé Président du Conseil de Surveillance de Zebank.
Novembre 2000 : les premiers tests opérationnels du site débutent.
Février 2001 : après plusieurs annonces égrainées depuis le printemps 2000, Zebank démarre ses activités commerciales.
Juin 2001 : Zebank reçoit un nouvel apport de 65 millions d'euros. La banque revendique 35 000 comptes ouverts.
Septembre 2001 : La banque revendique 80 000 comptes ouverts.
Octobre 2001 : "Les Echos" révèlent que Zebank est à la recherche d'un repreneur.

Lancé au cours de l'été 1999, sous l'étiquette Zeproject, le chantier de la banque virtuelle accumule les retards malgré un budget initial de 110 millions d'euros (721 millions de francs). Sur cette manne, 80 % proviennent d'Europ@web (le fonds Internet de Bernard Arnault) et 20 % de Dexia. La banque, dirigée par Pierre Richard, a rejoint le projet en février 2000 au grand soulagement de Bernard Arnault qui sait combien le milieu bancaire français est un club très fermé.

Si Bernard Arnault veut "voir", c'est que les mois qui s'écoulent jouent contre Zebank. En lançant un projet de banque virtuelle en 1999, le patron le LVMH a fait un calcul sur le temps : démarrer en amont sur le marché de la finance en ligne afin de prendre de vitesse les banques traditionnelles. Le temps venu, Bernard Arnault compte leur proposer le dossier. Avec un an de retard sur le projet, la stratégie devient de plus en plus difficile à tenir. En cette fin 2000, une grande partie des acteurs français de la finance disposent déjà d'une offre Internet.

Mais le patron de LVMH estime que des portes de sortie subsistent. Une dizaine de jours avant cette rencontre avec Philippe Jaffré et Olivier de Montety, Zebank a d'ailleurs bénéficié d'un traitement particulier. Le 21 novembre 2000, Suez annonce son arrivée au capital d'Europ@web. En apportant 300 milllions d'euros, le groupe de Gérard Mestrallet vient d'entrer à hauteur de 30% dans le fonds Internet. Trois participations sont exclues de l'accord : eLuxury, LibertySurf et Zebank.

Sur ces trois sociétés, Bernard Arnault préfère garder les coudées franches. Si pour eLuxury l'explication est évidente (le portail dédié au luxe est une vitrine stratégique pour les métiers de LVMH), pour LibertySurf et Zebank les raisons sont à trouver dans l'objectif assigné à ces participations et ce, dès leur création. Tout comme Zebank, le FAI LibertySurf est destiné à être cédé. Tout comme Zebank avec Dexia, LibertySurf est partagé avec un autre investisseur de poids, le distributeur britannique Kingfisher. Deux mois après l'accord Europ@web-Suez, LibertySurf sera vendu à Tiscali. Pour Zebank, faute de lancement commercial, Bernard Arnault devra patienter.

Les causes de ce retard sont à trouver en grande partie dans le volet technique du projet et dans sa gestion en interne. La banque en ligne, qui est alors présentée aux partenaires potentiels comme une "hyperbanque" (une marque déposée par Zebank), veut être présente sur tous les segments de la finance en ligne : Bourse, crédit, assurance, épargne.... Or proposer une palette aussi large de produits revient à interfacer un méandre d'univers informatiques hétérogènes.

Ces difficultés seront d'ailleurs reconnues par Olivier de Montety en février 2001 dans une interview au JDNet. Le président du directoire admet alors que la banque a rencontré un "écueil de nature technique" pendant son développement car, "pour offrir l'ensemble des services financiers sur le même site, nous devions faire cohabiter plusieurs types de logiciels". Géré par Sema, le chantier technique de Zebank va déraper au fil des mois pour une addition totale qui serait supérieure à 7,6 millions d'euros (50 millions de francs).

En cette fin novembre 2000, l'équilibre informatique de l'hyperbanque reste encore précaire. Le jour de la démonstration à Bernard Arnault, ordre est donné aux 120 salariés de Zebank de ne pas solliciter, d'une manière ou d'une autre, le système informatique afin d'éviter le moindre "plantage" technique. La démonstration se déroulera finalement bien. Et, malgré le retard sur le projet, Philippe Jaffré et Olivier de Montety, appuyés par Nicolas Bazire, le DG du groupe Arnault en charge des investissements Internet, réussissent à convaincre Bernard Arnault de continuer l'aventure. Le lancement commercial aura donc bel et bien lieu.

2. Décembre 2000 : vers le lancement commercial

Les difficultés techniques rencontrées par Zebank ne sont qu'un premier "écueil". D'autres signaux vont virer au rouge pour le projet sans que les actionnaires ne s'en aperçoivent. Quelques semaines après cette démonstration, fin 2000, Arthur Andersen rend un rapport d'audit commandé par la future banque en ligne. Ce rapport final doit valider le lancement commercial de la banque, prévu pour début 2001. Le verdict des auditeurs est sans appel : Zebank doit revoir sa copie avant d'ouvrir, les procédures de gestion de la relation client étant notamment jugées approximatives (traitement des dossiers, des opérations, suivi des ordres, des litiges...).

Philippe Jaffré

En choisissant de s'appuyer l'année dernière sur Philippe Jaffré, Bernard Arnault a négocié un tournant dans sa stratégie Internet. Après la période "start-up mania", l'arrivée de l'ancien PDG d'Elf-Aquitaine semblait sonner l'heure des premiers arbitrages parmi les investissements Internet du Groupe Arnault. Le débarquement de Philippe Jaffré dans la sphère Arnault s'est réalisé en deux temps. En septembre 2000, il est nommé Président du Conseil de Surveillance de Zebank. Trois mois plus tard, en décembre, il remplace Chahram Becharat et devient PDG de la filiale commune Europ@web-Suez.

Cette double nomination mettra fin à la traversée du désert de Philippe Jaffré. En octobre 1999, alors qu'il quitte la présidence d'Elf suite à l'OPE de TotalFina, l'homme suscite une vague d'indignation dans les médias et la classe politique. Philippe Jaffré abandonne la tête du groupe pétrolier avec un plan de stock-options d'environ 200 millions de francs. Avant de rejoindre Elf, Philippe Jaffré était directeur général du Crédit Agricole de 1988 à 1993. Auparavant, de 1978 à 1988, cet énarque était haut fonctionnaire à la direction du Trésor du ministère de l'Economie et des finances et conseiller du ministre pour la politique monétaire et financière et les privatisations.

Malgré tout, l'audit est mis de côté, le lancement commercial est maintenu. "A la suite de ce rapport d'audit enterré, une partie de l'équipe dirigeante de Zebank va masquer aux actionnaires, souvent par omission, son entêtement et sa dérive", explique un ancien collaborateur de la banque. Un point de vue que ne partage pas Olivier de Montety, contacté par le JDNet. "Les actionnaires de Zebank ont toujours été informés des rapports d'audit. Dexia, qui dispose d'une expertise bancaire évidente, a toujours été associé aux audits que nous avons menés en interne."

Un autre signal d'alerte va se déclencher début 2001. Quelques semaines avant le lancement officiel du site, le bilan de la phase "friends and family" est alarmiste. Destinée à roder la banque en ligne, cette phase offre la possibilité à environ 10 000 prospects, recrutés grâce à ZeProject, de tester Zebank. Au total, à peine des 10 % de ces contacts, pourtant issus d'une cible de prédilection, ouvrent un compte.

En interne, parmi l'équipe dirigeante, certaines personnes s'interrogent sur l'opportunité d'un lancement commercial soutenu par un plan de communication. Pour la même hauteur d'investissement, quelques cadres suggèrent d'acquérir un réseau physique de taille moyenne et doté d'un portefeuille client ou de se rapprocher d'un acteur de poids. Axa (qui cherche à lancer sa banque en ligne), Auchan et Carrefour (intéressés par un service financier en marque blanche) ont montré des signes d'intérêt.

La direction préfère rester sur le schéma initial. Le lancement commercial et les campagnes de communication associées se préparent. "C'est tout le décalage dans la gestion de Zebank, explique un ancien banquier de la place parisienne. L'équipe a continué à appliquer le grand principe de la Nouvelle économie qui faisait recette avant l'e-krach : une logique de croissance forcée du nombre de clients afin de gonfler la valorisation. Mais, quand les sorties boursières et les rapprochements deviennent des voies sans issue, cette logique condamne par avance l'entreprise".

A partir de février 2001, Zebank part donc à la conquête de sa clientèle. Pour y arriver, les moyens mis en œuvre sont impressionnants : les prévisionnels du budget 2001 tablent sur un investissement d'environ 50 millions d'euros (330 millions de francs) sur le marketing et le commercial. L'équivalent du budget annuel publicitaire de Coca-Cola France, deux fois celui de la Société générale. Tout au long de l'année, le coût d'acquisition client ne va cesser de flamber face à des taux de recrutement plus faibles qu'escomptés.

L'équipe de Zebank, qui visait au lancement la barre des 150 000 clients pour la fin 2001, corrige le tir en juin 2001 pour ramener ses objectifs à 60 000 clients. Le coût d'acquisition client, qui naviguait à l'origine dans la zone des 450 euros, passe à 1 000 euros et plus. Des chiffres que la direction de la banque en ligne ne souhaite pas commenter. "Zebank est une société privée et nous ne sommes tenus de communiquer nos données financières qu'à nos actionnaires et à nos autorités de tutelle."

3. Février 2001 : place au recrutement actif

La marche forcée sur le recrutement client se reflète dans la mise en place de plusieurs dizaines d'opérations commerciales et promotionnelles en parallèle. Entre la carte Visa Premier gratuite, les chèques cadeaux à 100, 500 puis à 1 000 francs et les offres de parrainage à 250 francs, le télescopage commercial entre les différentes initiatives devient inévitable.

Certains partenaires supports de ces opérations vont menacer de se retirer après avoir découvert que l'hyperbanque proposait ailleurs des offres plus alléchantes. D'autres partenaires vont renégocier leur commission (à la base entre 150 et 400 francs par compte ouvert) en s'apercevant que le client qui ouvre un compte chez Zebank touche lui, en guise de bienvenue, un montant deux fois plus élevé que leur propre marge.

Olivier de Montety

Homme clef de Zebank, Olivier de Montety a rejoint le projet dès le début, en 1999, sous l'impulsion de Chahram Becharat. Le président d'Europ@web veut alors lancer un courtier en ligne face au succès rencontré par les brokers aux Etats-Unis. En planchant sur ce projet, l'équipe de base (constituée d'anciens de Paribas, de la Banque Morgan et de Fimatex) imagine finalement une banque en ligne dotée d'un ensemble de produits financiers.

Avant de rejoindre Zebank, Olivier de Montety travaillait depuis 1988 pour le Groupe Fimat, propriété de la Société générale. Entré en tant que broker junior, il y fera carrière jusqu'en 1999. Alors qu'il est directeur des marchés dérivés d'indices et de la clientèle individuelle, il est ainsi nommé responsable du développement.
En 1995, Olivier de Montety participe au lancement du courtier en ligne Fimatex. Il dirigera Fimatex en France jusqu'en 1999 avant de rejoindre, sur le départ, Zebank.

En aval de ces opérations commerciales, se trouve la gestion des dossiers d'ouverture de compte. Un des points sensibles soulignés par l'audit d'Arthur Andersen. La réglementation française bancaire en vigueur est à ce sujet très précise. Un établissement détenteur d'une licence d'exploitation doit demander deux documents à son futur client afin d'ouvrir une numéro de compte : une photocopie de sa pièce d'identité et un original de quittance justifiant d'un domicile fixe en France.

Si dans le cadre d'un réseau bancaire traditionnel cette procédure est sécurisée par un contact "physique" entre le conseiller et le futur client, dans le cadre d'une banque dématérialisée les problèmes potentiels grimpent en flèche. Entre les dossiers incomplets et les photocopies indéchiffrables reçues par courrier, les taux de déchet sur certaines opérations de recrutement auraient atteint chez Zebank les 70 %.

Autre problème : le dépôt d'ouverture de compte, normalement de 1 000 francs. Au fil des opérations commerciales grand public, de plus en plus de dossiers d'ouverture transmis par courrier vont arriver sans dépôt ou avec des chèques de dix francs, un franc voire zéro franc. "Nous n'avons rencontré ce genre de problèmes de qualité de dossiers clients que sur une seule opération commerciale en juin dernier, rétorque Olivier de Montety. La banque est un secteur d'activité très structuré et les procédures chez Zebank sont à ce sujet très précises."

"Dans la logique de recrutement à tout prix, les procédures de base du monde bancaire n'ont pas été respectées, souligne pourtant un ancien salarié de Zebank. Les dossiers ont été traités à la va-vite plutôt que de réclamer les pièces manquantes, de peur de faire fuir les nouveaux clients." Ces failles dans les procédures de contrôle vont attirer des clients aux motivations très particulières. Des fichés "Banque de France", qui n'ont théoriquement plus le droit d'ouvrir un compte dans un établissement bancaire, vont tenter de profiter de l'aubaine pour réintégrer une banque traditionnelle. Parmi ses refus, Zebank aurait ainsi brassé jusqu'à 63 % de clients "fichés".

D'autres clients, qui flairent la bonne affaire, vont tenter de cumuler les opérations commerciales à 1 000 francs en ouvrant plusieurs comptes, sans dépôt d'ouverture. Cette situation va émouvoir certains responsables de l'hyperbanque qui, dans plusieurs notes internes, soulignent les dangers de ce laxisme sur la vérification des dossiers d'ouverture. En pratique, une telle situation peut aboutir sur un retrait de l'agrément bancaire du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'onvestissement.

La stratégie d'expansion commerciale est dans le même temps soutenue par plusieurs projets de développement menés en interne. Zebank explore ainsi la mise en place d'un réseau de DAB (distributeurs automatiques de billets) ou étudie un accord avec la société américaine Paypal qui propose une solution de paiement en ligne par mails. Une grande partie de l'équipe de l'hyperbanque va également travailler pendant un mois, en février 2001, sur un projet "révolutionnaire" initié par Philippe Jaffré.

Baptisé ZeCompte, ce projet veut mettre en place le premier compte courant français rémunéré, à 3 % net d'impôts. Une offre interdite par la réglementation bancaire mais qui peut offrir à Zebank un produit d'appel remarqué. Pour contourner la législation, la banque imagine un montage financier basé sur un dépôt à terme et un découvert en compte. Après plusieurs semaines de développement, le projet ZeCompte sera finalement abandonné. Les conseillers juridiques estimant que les risques encourus face au CRBF (Comité de la réglementation bancaire et financière) sont trop importants.

D'autres projets vont être mis de côté au fil du temps, à l'instar des développements internationaux de la banque en ligne. Les deux bureaux européens de Zebank, lancés courant 2000 en Espagne et au Royaume-Uni, vont être fermés début 2001 sur l'ordre direct de Bernard Arnault qui souhaite que Zebank se focalise sur le marché français pour aller plus vite. Jusqu'à 50 personnes travailleront au bureau londonien de Zebank dans le but d'aller chasser sur les terres d'Egg, la banque virtuelle britannique. En quelques mois d'existence, les deux filiales européennnes auraient "brûlé" 23 millions d'euros (150 millions de francs).

4. Mai 2001 : zizanie et "cash-burning"

Zebank en chiffres

Fonds levés : 175 millions d'euros en deux tranches (110 millions en 1999 et 65 millions en juin 2001).
Actionnaires : 80 % du capital est détenu par la Financière Agache et Montaigne Participations (deux holdings de Bernard Arnault) et 20 % par Dexia.
Effectifs (oct. 2001) : 310 personnes dont 80 sur Tours.
Budget prévisionnel 2001 en marketing et commercial : 50 millions d'euros.
Coût d'acquisition client : supérieur à 1 000 euros (sur la base des 45 000 clients recrutés en septembre 2001, le coût est de 1 110 euros par client).
Activité commerciale (oct. 2001) :
80 000 comptes ouverts pour 45 000 clients. Le nombre de comptes avec virement de salaire serait de 500.
Niveau actuel de trésorerie : moins de 50 millions d'euros, soit quatre mois d'activité.

Dès le mois de mai 2001, le train de vie de Zebank contraint ses dirigeants à négocier une nouvelle augmentation de capital. Début juin, la banque en ligne, qui compte alors 210 salariés dans son siège parisien, reçoit un nouvel apport de 65 millions d'euros (426 millions de francs). Ce montant porte à un total de 175 millions d'euros (1,15 milliard de francs) les investissements consentis par Bernard Arnault et Dexia.

Dans la foulée, la direction de la banque en ligne présente à la presse, fin juin, un premier bilan après quatre mois d'activité commerciale. Zebank dispose officiellement de 17 000 clients inscrits pour 35 000 comptes ouverts avec un encours moyen de 4 000 euros par client. Philippe Jaffré, dans une interview au JDNet, parle alors "d'un succès commercial et technique". Ces chiffres officiels, qui traduisent une montée en puissance, masquent une situation moins glorieuse qu'il n'y paraît. La très grande majorité des comptes ouverts s'avèrent "dormants", les clients ayant réalisé, pour opération unique, le retrait du chèque de bienvenue. En juin 2001, environ 500 comptes, dont 200 pour les employés de Zebank, seraient ainsi réellement actifs, c'est-à-dire avec virement automatique du salaire.

Cette situation n'empêche pas la banque en ligne d'investir en implantant son service client à Tours pendant l'été avec, à la clef, le transfert de 80 salariés parisiens. L'opération, finalisée en septembre, se fait sur fond de haute tension en interne. Parmi l'équipe de direction, depuis le printemps, une dizaine de collaborateurs ont claqué la porte ou ont été remerciés. Une hémorragie qui s'explique par la guerre de tranchées que se livrent deux groupes au sein de la direction.

D'un côté l'équipe en place, partisane de la croissance accélérée ; de l'autre une équipe constituée majoritairement d'anciens de la finance qui prônent une logique industrielle et transparente. La plupart d'entre eux ont aujourd'hui quitté l'aventure Zebank. "L'ambiance chez Zebank était tendue bien avant l'ouverture commerciale du site, explique l'un d'entre eux. Le point de départ remonte à juin 2000. A l'époque, par mégarde, un des membres de la direction a transmis à tous les salariés par mail le plan de stock-options et la grille des salaires de toute l'entreprise. Les surprises étaient nombreuses. Beaucoup de salariés se sont alors aperçus que le discours de l'équipe dirigeante était double. Il y avait le discours officiel et puis la réalité".

Le 15 septembre dernier, Philippe Jaffré et Olivier de Montety sont contraints de renégocier un nouvel apport de fonds. Mais Bernard Arnault ne souhaite plus remettre au pot. Alors que le "nettoyage" du portefeuille d'Europ@web se termine, le patron de LVMH préfère limiter les prises de risque quelques jours après les attentats de New York. Les menaces sur le secteur du luxe sont lourdes en cas de contraction sur le marché américain.

Une activité
sous haute surveillance

La dématérialisation des activités bancaires et ses risques inhérents sont depuis longtemps scrutés par la Banque de France. En janvier 2001, Jean-Claude Trichet, Gouverneur de la Banque de France et Président de la Commission bancaire, a publié un Livre blanc intitulé "Internet, quelles conséquences prudentielles ?". Ce Livre blanc a été initié suite aux problèmes constatés aux Etats-Unis avec certains services financiers en ligne (blanchiment d'argent, pratiques commerciales litigieuses, vérification de l'identité des clients...). Outre les aspects techniques et juridiques, le document se penche sur les risques financiers des activités bancaires Internet qui, placées sous la logique de la valorisation par le nombre de comptes ouverts, ne garantissent pas toujours une activité pérenne.

La direction de la surveillance générale des systèmes bancaires est notamment très sensible à la guerre des taux que se sont livrés les acteurs de la banque en ligne depuis le début 2001. "Des taux, explique-t-on, qui rendent de facto ces activités non rentables." Face à la phase de consolidation enclenchée sur ce marché depuis quelques mois, les autorités de surveillance bancaire et financière rappellent que les particuliers bénéficient, en cas de fermeture d'un établissement, d'un fonds de garantie couvrant les dépôts à hauteur de 70.000 euros.

Aux yeux de Bernard Arnault, la banque en ligne ne peut plus espérer s'imposer à moins de la recapitaliser sur des gros volumes. Pendant l'été, un concurrent, le groupe belgo-néerlandais Fortis, a d'ailleurs préféré jeter l'éponge sur sa propre banque en ligne, eBanking.fr. Quelques semaines plus tard, c'est BNP-Paribas qui lève le pied sur Banque directe. Mieux vaut dans ces conditions chercher une porte de sortie par le haut plutôt que de risquer un crash industriel.

5. Octobre 2001 : à la recherche d'un adossement

Philippe Jaffré prend son bâton de pèlerin pour proposer le dossier Zebank aux acteurs financiers européens. Malgré sa connaissance du secteur bancaire (de 1988 à 1993, l'homme était directeur général du Crédit Agricole), l'ancien PDG d'Elf-Aquitaine n'arrivera pas à convaincre un établissement de la place parisienne. La banque italienne San Paolo, qui cherche à prendre pied en France, étudiera plus attentivement le dossier avant, finalement, de se renoncer. Le 5 octobre, la mise en vente de Zebank est révélée par "Les Echos". Un porte-parole du Groupe Arnault commente alors l'affaire en parlant d'un "schéma d'adossement". L'arrivée d'un nouvel actionnaire au capital de la banque en ligne, évoquée de façon récurrente depuis fin 2000, revient au premier plan.

Fin octobre, le "schéma d'adossement" vire au plan de sauvetage. Zebank fait un nouveau point sur le nombre de comptes ouverts et annonce 80 000 comptes en gestion pour 45 000 clients. Derrière cette vitrine, se cache une situation financière bien plus périlleuse. La banque disposerait d'une trésorerie inférieure à 50 millions d'euros soit, au rythme actuel des dépenses, moins de quatre mois d'autonomie. Conséquences directes : les premiers licenciements sont annoncés en interne et les tensions se multiplient avec les partenaires commerciaux. Olivier de Montety préfère parler d'un "turn-over naturel" dans une société qui a "grandi très vite et qui a des phases de respiration".

Le 8 novembre, Zebank lance à contrecœur un partenariat "Euromonopoly" avec McDonald's. Le jeu permet aux clients de la chaîne de restaurants de gagner un des 200 000 comptes crédités de 75 euros. Mais quelques semaines avant le début de cette opération, préparée depuis des mois, la banque en ligne a tenté d'arrêter la machine. Son niveau de trésorerie ne lui permettrait plus d'assurer l'ouverture des comptes des lauréats. McDonald's aurait alors menacé de faire jouer la clause de 10 millions de francs d'indemnité prévue en cas de rupture de contrat.

De son côté Avenir Télécom, lui-même en proie à des difficultés financières, se préparerait à attaquer en justice la banque en ligne pour un litige commercial qui porterait sur plusieurs millions de francs. En juillet dernier, la branche FAI d'Avenir Télécom, Net-Up, avait lancé une opération marketing conjointe avec Zebank. Les nouveaux clients de la banque en ligne se voyaient offrir un forfait Internet de 5 heures par mois pendant un an, une carte Visa et des avoirs de 400 francs sur le compte courant et de 100 francs sur le livret à 5,10 %. Avenir Télécom ne serait pas le seul partenaire dans ce cas.

La fin de l'année s'annonce mouvementée pour la banque en ligne, désormais contrainte à trouver rapidement une solution. Bernard Arnault, qui en matière de stratégie Internet a fait preuve très tôt d'une "passion créatrice" (1), a toujours la puissance financière de recapitaliser à nouveau l'entreprise afin de rendre le dossier plus séduisant pour un futur partenaire. Reste à savoir si la patron de LVMH, après les déconvenues rencontrées sur la plupart des investissements d'Europ@web, a encore la volonté de sauver Zebank.

La "solidarité de place" qui joue traditionnellement au profit des établissements défaillants et qui veut que les banques françaises se portent au secours de ses canards boîteux ne devrait pas jouer : Zebank n'est pas du cru, sa taille est jugée insignifiante et les banquiers se referaient volontiers une image de rigueur sur le dos d'un acteur "virtuel". Reste la carte européenne : le groupe italien Generali mais aussi la grande soeur britannique de Zebank, Egg, seraient déjà en train d'étudier le dossier. Egg, la banque virtuelle qui approche des rives de la rentabilité. Mais qui a ouvert, elle, en octobre 1998.

[Ludovic Desautez, JDNet]

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