Benchmark
Capital est une firme de capital-risque née dans la Silicon
Valley en 1995, qui s'est rapidement établie comme un financier
majeur d'Internet et du commerce électronique. La firme
gère plus de 1,4 milliard de dollars d'investissements
et son portefeuille comprend près de 80 sociétés
dont eBay, l'un des investissements les plus profitables dans
l'histoire du capital-risque. Benchmark
(rien à voir avec Benchmark Group, l'éditeur
du JDNet) a annoncé le 7 mars dernier la création
de son fonds européen, Benchmark Europe, dont le Français
Eric Archambeau a été nommé General Partner.
La création de ce fonds annonce l'arrivée imminente
en Europe des plus importants investisseurs américains.
Propos recueillis par Samuel Kissous
le 04 avril 2000
.
JDNet.
Benchmark
vient d'annoncer la création de son fonds européen.
Qu'est-ce qui a motivé cette décision?
Eric Archambeau. Les VC de la Silicon Valley voient depuis
plusieurs années des équipes européennes
venir chercher de l'argent. Mais, depuis un ou deux ans, ce sont
des sociétés de très bonne qualité
qui viennent. En regardant de plus près le marché
européen, on a l'impression qu'un point d'inflexion vient
d'être passé: être entrepreneur a cessé
d'être un "stygma". C'est OK d'être entrepreneur
aujourd'hui en Europe. Les jeunes des grandes écoles veulent
maintenant aller dans des start-ups. En outre, pour la première
fois en Europe, on a la possibilité d'attirer également
des managers plus expérimentés.
Quel
est le montant total du fonds?
Ce fonds a attiré un grand intérêt, mais nous
voulons le garder dans des limites raisonnables, soit moins d'un
milliard de dollars, pour être en mesure d'investir rapidement.
Il fera probablement un peu plus de 500 millions de dollars, mais
nous pourrions lever beaucoup plus si nous le voulions.
Où
seront vos bureaux?
A Londres, pour des raisons logistiques et fiscales. Le fonds
sera géré avec la même philosophie que celle
en vigueur chez Benchmark aux Etats-Unis, à savoir un equal
partnership (des General Partners gèrent le fonds sans
hiérarchie entre eux), avec pour commencer deux General
Partners, George Coelho et moi-même.
Quelle
est votre stratégie d'investissement?
Benchmark a créé le "company building", qui
consiste à investir dans une société à
un stade très précoce et à l'accompagner.
C'est le principe d'entrepreneurs en résidence, avec des
jeunes ou des CEO de sociétés du portefeuille qui
sont incubés jusqu'au lancement. Par exemple, Ariba a été
incubée chez Benchmark. Nous accompagnons des Américains
qui veulent aller en Europe ou des Européens qu'on connait
déjà. Nous serons rapidement sur les quatre grands
marchés de l'Angleterre, l'Allemagne, la France, et la
Scandinavie.
Quels
seront les montants d'investissement sur chaque dossier?
Les sociétés ont besoin de pas mal d'argent dès
le début... Les investissements initiaux seront entre 3
et 7 millions de dollars, et pourront aller de 10 a 15 millions
au cours de la vie de la société.
Avez-vous
déjà réalisé des investissements en
Europe?
On
pourrait clore quelques investissements, officiellement ce n'est
pas encore fait. Nous ne sommes pas vraiment installés
et on regarde déjà sérieusement une bonne
dizaine d'entreprises. Il y a une activité très
intéressante en Europe.
Quelle
est la démarche à
suivre pour quelqu'un qui veut vous présenter un dossier
?
La
même que celle qui existe aux USA. Pour les dossiers "early
stage", on va regarder la combinaison d'un marché avec
un bon timing, une bonne opportunité, et un avantage comparatif
qui peut se maintenir à long terme avec des marges significatives.
Il faut en outre un bon "fit" avec l'équipe.
J'ai vu des dossiers qui avaient tout mais où l'on n'a
pas investi car on ne sentait pas l'équipe. Pour présenter
un dossier, mieux vaut avoir une référence de quelqu'un
que l'on connait dans l'une de nos sociétés. On
a souvent pas le temps de répondre à toutes les
demandes, simplement parce qu'on est submergé.
Pensez-vous
que les autres fonds américains tels que KPCB ou Séquoia
vont bientôt s'installer en Europe ?
Tous les grands fonds de capital-risque sont intéressés
par l'Europe. La façon dont cela va se concrétiser
sera différente pour chacun.
Comment
envisagez-vous la relation entre Benchmark et les fonds de capital-risque
européens déjà établis comme 3i ou
Apax ?
Dans la Silicon Valley, vous pouvez être
partenaires le matin et concurrents l'après-midi. Sur certains
dossiers nous serons complémentaires et sur d'autres, concurrents.
Qu'est-ce
qui fait la spécificité de Benchmark par rapport
à ces autres fonds ?
On pense que ce qu'on fait est assez différent. Aujourd'hui
en Europe il existe des incubateurs qui aident à passer
de 0 à 100 et des grandes firmes de capital-risque qui
permettent de passer de 100 a 1000, peu font comme nous le continuum:
de 0 a 1000. Nous apportons très vite une capacité
à grossir: accès au capital, recrutement, rolodex
énorme...
Rolodex?
Notre carnet d'adresses... Un réseau de relations exceptionnel
aide à passer les embuches... Si ça marche bien, la
société va croitre vite avec ce réseau d'influence.
Comment
concilier l'expansion internationale avec le souci de s'impliquer
dans les dossiers et l'effet de réseau dont vous parlez
?
Au cours de l'année et demie passée, un réseau
d'influence a été établi en Europe. Cela
a été préparé. On va créer
tout ce soutien qui existe déjà de manière
très développée aux Etats-Unis. Nous sommes
très confiants dans notre capacité à recréer
au cours de 2000-2001 les outils nécessaires.
Quels
types de sociétés Internet vous semblent les plus
prometteuses ?
Quand on commence à parler des choses qui réussissent,
c'est déjà trop tard !
Avez-vous
le sentiment que les capitaux-risqueurs présents dans les
jeunes sociétés poussent à des introductions
en Bourse prématurées ?
Benchmark n'a pas besoin de rajouter une plume a son chapeau.
L'accès en Bourse est une source de financement supplémentaire.
Lorsqu'une société a l'opportunité de conquérir
un marché nouveau et prometteur, ce n'est pas trop tôt
pour aller en Bourse. Je parle de sociétés de grande
qualité et non pas de sociétés qui sont numéro
4 sur leur secteur ou qui occupent une niche étroite. La
résistance d'eBay ou d'Ariba sur le Nasdaq est significative,
par rapport à d'autres valeurs qui s'écroulent.
Les grandes firmes de capital-risque ont passé le besoin
de "track record" boursier.
Comment
sont perçus les Français dans la Silicon Valley?
On distingue ceux qui sont là depuis longtemps et les Francais
qui sont vraiment Francais, tout juste sortis de l'avion... Des
Français comme Alain Rossman ou Eric Benhamou sont très
bien considérés. Ce sont des gens brillants avec
un coté Léonard de Vinci, une couverture large des
choses. Ceux qui sortent à peine d'Air France pour lever
des capitaux sont considérés comme étriqués,
très orientés sur la technologie, avec un manque
de connaissance flagrant du marché US. Toutefois, les jeunes
de moins de 30 ans, surtout dans l'Internet, sont d'un autre calibre.
Comment
êtes-vous devenu VC ?
Ca fait longtemps que j'en avais envie mais je voulais faire le
tour du sujet par le coté opérationnel. Après
la vente de Trading Dynamics à Ariba, j'ai été
recruté par Atlas Venture pour lancer leur activité
sur la côte Ouest, c'est-à-dire faire l'inverse de
ce que je fais maintenant. Ce qui me plait dans cette activité,
c'est la diversité des dossiers et la capacité d'influencer
de jeunes sociétés qui peuvent devenir des acteurs
majeurs.
Avant de
rejoindre Benchmark, Eric Archambeau etait General Partner du
fonds de capital-risque AtlasVenture. Il a été PDG
et co-fondateur de RightPoint (aujourd'hui DataMind), racheté
par e.piphany, et de Trading Dynamics, acquise par Ariba. Il a
également travaillé chez VLSI Technology à
San Jose et Matra Hachette à Paris. Il a reçu un
Master d'Ingénierie Electrique de l'Université de
Berkeley, un diplôme d'ingénierie électrique
à Stanford, un doctorat en informatique de l'Université
de Grenoble et un MBA de l'Université de Santa Clara.