Interviews

Chahram Becharat
Directeur général
Europ@web

Le bras armé de Bernard Arnault dans l'Internet, c'est Europ@web, la structure qui multiplie les prises de participations dans les start-ups du Web. Avec quelle logique ? C'est ce qu'explique au JDNet le très courtisé Chahram Becharat...

Propos recueillis par Rémi Carlioz le 24 mars 2000 .
(Chahram Becharat était accompagné de Pierre Louette, directeur général incubation France d'Europ@web).

JDNet: Nous avons voulu inviter l'un de vos associés à notre Forum sur le capital-risque, mais il m'a répondu que vous n'étiez pas un groupe de capital-risque...
Chahram Becharat: Il a raison. Nous avons effectivement beaucoup de différences avec un fonds. Dans un fonds, il est déjà inscrit presque génétiquement que vos investissements ne sont pas sur le long terme. C'est tout le contraire de notre volonté!

Mais vous avez fait du capital-risque, non ?
A la création d'Europ@web, il y a pu avoir confusion avec le métier d'investisseur des holdings personnelles de Bernard Arnault. Internet était au départ considéré dans une logique essentiellement financière, sans oublier, dès le début, une volonté de comprendre en profondeur les évolutions qui s'engageaient. Mais la constitution d'Europ@web a répondu à une logique de création d'un groupe Internet diversifié, à vocation globale et qui couvre différents secteurs et zones géographiques.

S'il y a confusion, c'est peut-être aussi que vous ne communiquez pas énormément...
Nous avons des axes privilégiés, dont certains sont bien visibles. N'oubliez pas que nous n'avons que huit mois et que déjà, les axes de notre action sont, me semble-t-il, bien identifiés.

Ces axes, quels sont-ils?
Nous avons la volonté de créer un groupe avec une vision très globale, de b’tir un groupe industriel avec des participations stratégiques dans des secteurs à fort potentiel. Nous sommes présents en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, au Brésil, au Japon, aux USA sur la Côte Est et Ouest surtout, et bientôt en Chine. Notre renforcement dans ces zones géographiques se fait simultanément et nous recrutons parallèlement, dans neuf pays, de vrais talents. Notre vision, celle qui a inspiré nos activités depuis l'été, c'est de constituer un acteur industriel de premier plan, dans une Nouvelle économie -dans l'économie tout court en fait- qui rassemble des entreprises à très fort potentiel de création de valeur, chacune séparément, et ensemble, par leur proximité au sein d'une même famille.

Vous insistez sur la vision globale d'Europ@web, quelle est-elle ?
Outre ce que je viens de décrire, nous n'avons a priori pas vocation à nous focaliser sur des micro-marchés. Les exemples sont clairs: Liberty Surf recouvre à la fois une activité de portail, d'accès et de communauté, ce dans plusieurs pays, en France, Grande-Bretagne et Espagne, avec une montée en puissance de la Scandinavie, et une volonté de se développer en Allemagne et Italie. Ze Bank est lancée dès le départ dans trois pays. Aucland est déjà paneuropéen. Peoplesound a un contenu universel. C'est ce que je veux dire lorsque nous évoquons une vision globale. Nous n'avons pas de business model franco-français.

Quelle est votre implication une fois vos investissements effectués?
C'est là encore l'une des différences avec des fonds de capital-risque. J'évoquais l'horizon de temps qui diffère, il y a également l'implication opérationnelle. Nous avons monté Ze Bank à partir de zéro, Liberty Surf avec des partenaires et racheté Aucland majoritairement, entre autres. C'est une logique d'entrepreneur. C'est tout le contraire d'une logique financière !

Jamais ?
Evidemment, derrière nous ne faisons pas cela pour la seule beauté du geste. Mais nous visons la perennité. Nous ne sommes pas du tout dans la logique de mettre des billes partout en se disant que deux succès sur dix couvriront les huit échecs. Certes, nous sommes exposés au risque, mais nous ne sommes pas dans une logique d'acceptation de ce risque. Et ici, les questions sur la crainte de l'impact d'une correction boursière ne sont pas redoutées, dans la mesure où nous sommes là pour durer, et non dans une optique de profit à court terme.

Quelle est l'enveloppe d'investissement dont dispose Europ@web?
Au départ, c'était 500 millions d'euros de capital. En fait, si l'on prend en compte le Groupe Arnault et les différentes holdings, c'est plus que cela. Il convient d'intégrer différentes variables, qui vont des liquidités des participations aux IPO. Clairement, pour les différents projets que nous développons, nous disposerons de bien plus de 500 millions d'euros.

Avez-vous les moyens?
Europ@web a reçu de très nombreuses demandes d'investisseurs qui souhaitaient entrer dans notre capital. Nous n'en avons pas ressenti le besoin. Nous visons plutôt une introduction en Bourse avant la fin de l'année.

Combien êtes-vous ?
Cela change tous les jours. Nous sommes environ 25 ici au niveau de la holding, et 50 dans le monde. Mais nous faisons en permanence de très forts recrutements, et serons 100 environ d'ici la fin 2000.

Combien recevez-vous ou examinez-vous de dossiers?
700 depuis juillet 1999. Nous avons autour de 40 participations stratégiques. Il faut en rajouter 30 autres si l'on finalise tout ce pour quoi la décision a été prise, en création ou en investissement.

Quels business models privilégiez-vous?
On pourrait distinguer quatre axes stratégiques. L'e-commerce lorsque l'Internet change les relations avec le consommateur, parce qu'il y a par exemple une novation dans la transaction, ou un nouveau produit digital, ainsi que les cas où l'équation économique justifie une présence marchande sur l'Internet (Ze Bank, Leisure Planet, Alafolie.com, Wine & Co) entrent dans cet axe.

Mais sur ce secteur, ne multipliez-vous pas les investissements dans des sociétés concurrentes?
Si vous pensez à la musique avec MP3.com, Peoplesound ou Musigzag, cela se jsutifie car c'est pour nous un axe important dans ce qu'il apporte de nouveau par la transaction digitale. Mais nous n'avons pas vocation à multiplier les risques de concurrence. Nous ne sommes pas présents dans les mêmes proportions, ni dans des configurations similaires, et les business models sont plus complémentaires que concurrents. Certes, l'envie de créer des ponts viendra naturellement lorsque cela a du sens. Mais nous avons une règle stricte en interne, celle d'exposer les entités aux réalités des marchés concurrentiels. Chaque entité doit tenir la route en elle-même. Quand on voit un accord Aucland/Liberty Surf, c'est un vrai accord, même si la proximité des bureaux est une réalité physique. Rien n'interdit non plus des accords hors groupe. C'est un écosystème ouvert. Certes, à offres égales, cela va plus vite, et la logique de groupe fonctionne à plein.

Le deuxième axe de développement?
C'est l'aspect -incarné par le groupe Liberty Surf- accès, trafic et communautés. Liberty Surf est un peu notre "navire amiral". Il y a d'autres développements. Je pense en particulier à Moonfruit en Grande-Bretagne, un outil de deuxième génération de création de communautés, presque du BtoB.

Vous faites entrer Aucland dans cet axe?
Non, Aucland fait plutôt partie du troisième axe de développement, tout ce qui concerne l'organisation de marchés électroniques. Cela comprend donc l'art et les enchères, par exemple. Ce pôle regroupe des activités très concrètes qui tendent à restructurer -ou à destructurer- des pans entiers de l'économie traditionnelle. Les Etats-Unis nous servent un peu à cet égard de laboratoire de Recherche & Développement. Je pense à des modèles comme Mercata, un précurseur du group buying, ou BigVine, une market place de "barter". On trouve aussi au sein de ce groupe AdOnSale, le premier site européen de tarification dynamique des espaces publicitaires.

Et le dernier pôle?
Il regroupe toutes les activités qui servent de "liant" dans cette optique de grand groupe industriel à vocation globale, dans des domaines qui couvrent les infrastructures, les services, les technologies. Ces sociétés ont un sens en elles-mêmes, et servent à d'autres sociétés du groupe. Nous nous concentrons sur la création de valeur dans chacune des entreprises et dans une "surcouche" entre ces mêmes entreprises. AXS Télécom par exemple ajoute un maillon à la chaîne de valeur mais peut également servir à l'ensemble des sociétés du groupe. Autres exemples: iMediation ou NetValue.

Vous intéressez-vous au B to B?
Clairement oui, dans au moins trois des quatre axes que je viens de vous décrire. Dans l'e-commerce, oui, dans l'organisation des marchés, oui, avec iCollector ou AdOnSale, et le dernier pôle est essentiellement -voire à 100%- du BtoB. Nous avons également un axe de développement très fort au sein de sociétés qui organisent les marchés autour de la logistique des marchands. Mais nous n'avons pas vocation à faire entrer une activité dans telle ou telle case.

Revenons sur votre implication dans les sociétés en termes de management...
Suivants les situations, cela peut couvrir quasiment tout, des recrutements aux choix technologiques en passant par les décisions stratégiques et opérationnelles, voire au choix des prestataires. Nous avons une base d'expérience de plus en plus renforcée. Cela signifie que des gens ont une expérience précise dans des domaines clés, et que nous avons une expérience cumulée au bénéfice de tous. Nous sommes organisés comme un groupe industriel avec des directions financière, technique, stratégique. Cela nous confère des effets d'échelle très importants. C'est un point majeur dans la mesure où nous sommes à un stade de développement où gagner du temps est fondamental.

Travaillez-vous sur les nouveaux supports tels que le Wap, la TV interactive, etc.
Bien sûr, c'est un axe de développement très fort pour nous, et nous allons rapidement proposer une série d'offres Wap, entre autres. Des sociétés comme Ze Bank ou Aucland s'y prêtent, d'autres sociétés sur d'autres supports aussi. Nous avons là à la fois une réflexion opérationnelle et une réflexion sur les synergies industrielles au niveau du groupe en ce domaine.

Des synergies existent-elles entre Europ@web et LVMH?
LVMH est très agressif sur les développements Internet, je pense par exemple à Sephora.com qui constitue un exemple remarquable, ou à eLuxury pour qui nous avons fortement participé à la réflexion. D'autres synergies sont possibles avec LVMH. Pour Kingfisher c'est la même chose. Nous, nous sommes une vraie "boîte à outils" Internet, tandis que Kingfisher a une vraie présence physique forte. C'est du vrai click-and-mortar. Je pourrais multiplier les exemples de passerelles opérationnelles. Ainsi dans le vin, nous avons vocation à devenir un marchand global.

Quels sites consultez-vous à titre personnel?
A titre personnel, des sites d'information comme la Tribune ou The Industry Standard.

Achetez-vous en ligne?
Oui, cela m'arrive, à deux niveaux. Le premier est une discipline que je m'oblige à respecter, pour tester les sites. Le second est d'un usage beaucoup plus classique, j'achète des livres, des CD, des voyages, etc.

Qu'est-ce qui vous séduit dans le Net?
L'émergence d'un phénomène global et cette "nouvelle révolution industrielle". Le Net participe à la création d'une nouvelle économie, créatrice de valeur et de richesse. C'est aussi une nouvelle façon de dynamiser les gens. Le Net me plaît aussi en ce qu'il s'attaque à certaines choses sacrées, en bousculant des évidences. Ce côté iconoclaste me séduit.

Ce qui vous rebute?
L'aspect "greed" m'insupporte, cette avidité, l'aspect "tous-les-requins-de-la-terre.com". L'app’t du gain peut être positif lorsqu'il attire les meilleurs talents, mais pas les forts en gueule ou ceux uniquement attirés par les sirènes. Là où je prends un vrai plaisir, c'est à rencontrer des gens comme notamment Pierre Besnainou (Liberty Surf, NDLR), Gilles Ghesquière (Nomade.fr, NDLR) ou Olivier de Montéty (Ze Bank, NDLR)... Mais je pourrais citer tous les entrepreneurs qui travaillent avec nous. Ils dirigent des vrais projets, solides et leaders, sans tomber dans ce côté "greed" justement.

Chahram Becharat -33 ans- est directeur général d'Europ@web. Entre 1994 et 1999 il a occupé au sein de LVMH/Groupe Bernard Arnault, les fonctions de chargé de mission auprès de Bernard Arnault (acquisitions, investissements et stratégie des marchés émergents), administrateur de DFS, administrateur de Sephora, directeur de la branche distribution sélective. De 1989 à 1992, il a été analyste financier à Londres chez Morgan Stanley.
Chahram Becharat est diplômé de l'Ecole Polytechnique (X86, et non 89 comme écrit précédemment) et de Harvard Business School (1992-1994). Marié, deux enfants, il est amateur d'art et de gastronomie, joueur de tennis et nageur assidu.





 

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