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Bilan et projet "La
puissance publique s'est contentée de courir après l'événement"
Le Journal
du Net. Il est communément admis que les nouvelles technologies
et Internet en particulier sont un enjeu décisif pour
les dix années à venir, aussi bien pour notre économie,
nos entreprises que pour la société française dans son
ensemble. Partagez-vous cette analyse ?
Jacques Chirac.
J'ai eu l'occasion d'évoquer à plusieurs reprises, ces
dernières années, l'enjeu capital que représente la
diffusion des technologies de l'information dans notre
pays en termes de croissance, d'innovation, d'emplois,
d'accès au savoir et d'influence culturelle dans le
monde. Durant les sept dernières années, la France a
changé, elle a progressé, mais elle n'a pas comblé son
retard. Nous conservons un taux de connexion à Internet
de nos foyers inférieur de 40% à la moyenne européenne.
L'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne
se sont appropriés beaucoup plus vite que nous ces innovations.
Quant aux Etats-Unis et aux pays nordiques, comme vous
le savez, plus de la moitié de leur population est connectée.
Il n'y a en France ni carte
d'identité électronique, ni possibilité de voter par
Internet, ni paiement d'impôts en ligne
Comparé aux
actions menées par nos voisins, le bilan de la France
reste très moyen. C'est avant tout le dynamisme des
Français qui a porté les progrès de l'Internet. La puissance
publique n'a pas su dessiner une vision politique, elle
s'est contentée de courir après l'événement.
C'est
pourquoi je souhaite que le prochain quinquennat soit
celui d'un nouvel élan pour l'entrée de la France dans
la société de l'information. Je veux porter le projet
d'une "France numérique", profondément modernisée, autour
de trois priorités :
- l'accès de tous les Français à l'Internet à haut débit
et la poursuite de la baisse des tarifs de l'Internet
;
- un plan national d'équipement en ordinateurs pour
les foyers, les écoles et les universités ;
- la primauté donnée dans la recherche française et
européenne aux technologies de l'information, au même
titre que les sciences du vivant et de l'environnement.
Il y a
deux ans, les responsables politiques se sont intéressés
de près au phénomène. Vous avez vous-même rencontré
à plusieurs reprises les professionnels du secteur ou
visité des entreprises. Aujourd'hui, cet intérêt semble
moindre. Est-ce simplement une impression ?
Si "l'euphorie
internet" est un peu retombée, je persiste à croire
que l'appropriation des technologies de l'information
représente un défi majeur à relever pour notre pays
dans les cinq années à venir. L'enjeu est économique,
mais aussi culturel. Mon intérêt pour cette question
n'a pas diminué. Au contraire, je crois qu'il y a désormais
urgence à agir.
D'une façon
générale, quelle est votre vision de l'apport des nouvelles
technologies au développement de la France et de l'Europe
?
Les technologies
de l'information peuvent nous apporter des bienfaits
dans presque tous les domaines de la vie quotidienne.
La communication, évidemment qui ne cesse de se développer,
quelles que soient les distances. La santé aussi : soigner
à distance, dans les meilleures conditions, c'est désormais
possible. L'accès au savoir et à la culture : l'ordinateur
communiquant devient l'encyclopédie universelle du XXIe
siècle.
La France et l'Europe, la France
en Europe, peuvent et doivent en faire leur domaine
d'excellence. Nos équipes de chercheurs, nos entrepreneurs,
nos travailleurs qualifiés sont nos premiers atouts.
Nous avons les moyens, ensemble, de faire des nouvelles
technologies une chance économique, mais également un
moteur de coopération, un projet d'unité. Le développement
de ces projets de recherche nécessite que nous travaillions
ensemble : public et privé, pays voisins en Europe.
Ceci est d'autant plus légitime
que nous sommes porteurs d'un message : la conciliation
de l'avancée du progrès et du respect de l'homme. Les
nouvelles technologies, quel que soit leur domaine d'application,
posent des questions éthiques : du respect de la vie
privée à la protection intellectuelle et artistique,
des limites à apporter à la liberté d'expression. Je
suis convaincu que l'Europe est porteuse d'une réponse
originale à ces questions.
Parce que je crois
que le progrès de la science n'a de sens que s'il se
fait dans le respect et même l'approfondissement de
la démocratie, l'Europe doit s'engager pleinement dans
la voie de cette conciliation au niveau international.
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de l'interview >>
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