JDNet.
Le premier phénomène lié à l'Internet a été ce qu'on
a appelé la Nouvelle économie, avec ses excès et ses
dérives, mais qui a aussi permis un essor de l'esprit
d'entreprise en France. Avec le recul, comment jugez-vous
cette période ? Que faut-il en retenir à votre sens
?
Jacques Chirac.
Cette période aura permis de prouver à tous ceux qui
en doutaient que les Français, et les jeunes en particulier,
ont envie d'entreprendre. Les obstacles ne sont pas
culturels comme cela était parfois avancé. Ils sont
administratifs, financiers, fiscaux. Les perspectives
d'expansion et de gains - osons le dire - ont été suffisamment
extraordinaires dans ce secteur durant cette période
pour ne pas dissuader les créateurs d'entreprise de
se lancer dans l'aventure. La prise de risque pouvant
être récompensée - et largement -, elle méritait d'être
tentée.
Je suis donc plus que jamais
convaincu de l'importance de libérer les initiatives
afin que la créativité, l'imagination, le dynamisme
de nos entrepreneurs puissent se déployer dans tous
les secteurs économiques. Cela implique un allègement
important des obstacles et des contraintes. Je souhaite
réunir les partenaires sociaux pour organiser un "Grenelle
des simplifications administratives". Je suis également
favorable à la création d'un médiateur des entreprises
dans chaque département. Un soutien actif à la création
d'entreprise est également nécessaire.
Cela
suppose, enfin et surtout, que la réussite professionnelle
et financière ne soit plus suspectée et donc pénalisée,
honteuse et découragée.
Comment
aujourd'hui accompagner et favoriser la création d'entreprises
dans le domaine de la high-tech ? Les pouvoirs publics
doivent-ils jouer un rôle ?
Comme je viens
de le dire, le rôle d'accompagnement des pouvoirs publics
dans la création d'entreprise doit être significatif
puisqu'il s'agit d'alléger tout ce qui empêche "le passage
à l'acte". Nous avons du travail pour leur être aussi
favorable que nos voisins européens, car, selon le dernier
rapport sur la compétitivité et l'innovation de la Commission
européenne, la France est particulièrement mal placée
en termes d'environnement pour la création d'entreprise
: sur les quinze pays de l'Union, nous sommes derniers
pour le financement, avant-derniers pour l'information
et la formation, et derniers pour les procédures administratives.
J'ai indiqué ma volonté d'engager
un effort massif en faveur de la création d'entreprises,
avec comme objectif "un million d'entreprises en plus"
sur cinq ans. Je compte relever le défi en appliquant
le principe "Pas de taxes, ni de charges avant le premier
euro de chiffre d'affaires". Il faut donner de nouveaux
droits aux entrepreneurs. Dans notre pays, plus on prend
de risques, moins on est protégé. Il serait souhaitable
notamment que les créateurs d'entreprises puissent bénéficier
de l'assurance-chômage et qu'une distinction puisse
être faite entre leur patrimoine privé et le patrimoine
affecté à l'entreprise.
Des efforts importants doivent
également être faits pour dégager des financements,
ce sont eux qui ont permis le formidable boom que nous
avons connus sous la génération start up. Je veux renforcer
les incitations fiscales pour orienter l'épargne de
proximité vers l'investissement dans les nouvelles entreprises.
Il faut élargir le dispositif de la loi Madelin en favorisant
les investisseurs providentiels, les business angels.
Je souhaite plus généralement
ramener la fiscalité des entreprises françaises au niveau
de la moyenne européenne et assouplir par la négociation
les 35 heures pour les salariés qui le souhaitent. Ainsi
nos entreprises cesseront d'être pénalisées dans la
compétition internationale, et l'emploi ne se délocalisera
plus à l'étranger. La
fiscalité française doit être juste et non confiscatoire.
Je souhaite une réforme de grande ampleur de l'impôt
sur le revenu et celle des mécanismes d'intéressement
au bénéfice des créateurs d'entreprises ou de leurs
salariés.
Si, dans la high tech, les
entreprises nouvelles bénéficieront de ce plan général,
elles devront faire par ailleurs l'objet d'une attention
toute particulière, en raison des enjeux colossaux de
ce domaine pour le dynamisme de notre économie dans
les années à venir. Seul un Plan de mobilisation nationale
pour l'innovation nous permettra de le relever. Outre
un effort significatif en faveur de la recherche publique
et privée - l'objectif étant de consacrer dans
dix ans 3 % du PIB à la recherche développement,
soit un effort supplémentaire de 50 % par rapport
à la situation actuelle -, ce plan devra prévoir
un statut de la jeune entreprise innovante qui est avide
de meilleures relations entre entreprises et chercheurs
publics.
Aujourd'hui,
les nouvelles technologies s'installent dans toute l'économie,
dans tous les processus de production, de décision et
d'information. Quel jugement portez-vous sur ce phénomène
de "e-transformation"?
Il est encore un peu tôt pour
en tirer toutes les conséquences. Elles sont diverses
selon les secteurs. Mais les évolutions sont en marche,
rien ne pourra stopper ce mouvement. La France doit
avancer au rythme du monde. Il faudra seulement que
les pouvoirs publics veillent à en corriger au fur et
à mesure les éventuels effets pervers - je pense
par exemple à la cybersurveillance des salariés -
en instaurant une régulation adéquate.
Pour les
entreprises, l'e-transformation est aussi synonyme d'investissements,
en une période pas forcément favorable. Que peut faire
la puissance publique, en France comme en Europe, pour
favoriser la compétitivité, le dynamisme, l'amélioration
des infrastructures technologiques ou des savoir-faire?
C'est ce grand
plan de mobilisation nationale pour l'innovation dont
j'ai parlé qui doit permettre de redynamiser les investissements
technologiques. J'ai l'ambition de faire de la France
le premier pays en Europe pour l'innovation. Je veux
qu'on puisse venir s'installer en France pour créer
de l'activité et des emplois. Je suis sûr qu'une telle
ambition est partagée par les Français qui voient tous
les bénéfices pour eux-mêmes et pour l'image de notre
pays.
La
recherche privée doit être favorisée ; le statut de
la jeune entreprise innovante qui consacre la moitié
de ses dépenses en recherche le permettra. L'investissement
dans la recherche publique ne doit pas pour autant être
ralenti. Il peut compenser les difficultés des entreprises
en période de ralentissement. Il peut et doit surtout
leur profiter grâce à un resserrement des liens avec
les entreprises. Il est grand temps, dans le monde de
la recherche comme ailleurs, de faire tomber les murs
étanches et souvent idéologiques qui séparent privé
et public. Le combat pour l'innovation doit au contraire
être l'occasion de voir ensemble la France en grand.
Comment
assurer la formation permanente des salariés qui doivent
en évoluer et progresser dans leur savoir-faire et leur
carrière ?
Il s'agit d'un
autre aspect de l'investissement dans l'avenir de notre
pays. La
formation permanente doit permettre aux salariés qui
n'ont pas d'emploi d'en retrouver un, certes. Mais notre
ambition doit être plus grande. Je propose la création
d'une véritable "assurance emploi". Elle concernera
l'ensemble des salariés afin qu'ils puissent progresser
tout au long de leur vie professionnelle et envisager
l'avenir avec sérénité, quelles que soient les mutations
économiques ou technologiques que rencontreront leurs
employeurs. Ainsi un "compte personnel de formation
professionnelle" sera ouvert à chaque Français et lui
permettra de se former tout au long de sa vie active,
sur la base d'un accord de branche ou d'entreprise.
Les structures de la formation continue devront s'y
adapter.
Quels aménagements
réglementaires pourraient favoriser les nouvelles façons
de travailler que permettent les nouvelles technologies
et auxquelles aspirent les Français, le télétravail
notammentt ?
L'introduction
des nouvelles technologies peut être facteur d'épanouissement
mais aussi, dans de nombreux cas, de bouleversement
dans le travail et de stress. Pour certains, travailler
à la maison est une souplesse ; pour d'autres c'est
une astreinte insupportable.
Le constater sans en tirer
toutes les conséquences dans l'organisation du travail,
c'est se priver de tirer tous les bénéfices des technologies
de l'information. Autrement dit, je souhaite que les
entreprises fassent preuve de souplesse, en s'adaptant
aux situations particulières, et non d'une flexibilité
aveugle, qui se ferait au détriment de la vie du salarié.
Il est désormais indispensable d'adapter nos règles
sociales à l'avènement de la société numérique. La méthode
s'impose d'elle-même : c'est celle du dialogue social.
Car lui seul permet la prise en compte de la variété
des situations, des entreprises comme des salariés.
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de l'interview >>
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