La publication, la semaine dernière, des pré-résultats
européens de MMXI/MediaMetrix a lancé le dossier
balbutiant de la mesure d'audience sur le Web européen
et français. Face à NetValue/Sofres et en attendant
l'extension internationale de de son concurrent américain,
Nielsen Netratings (avec Médiamétrie en France?),
le leader américain de la mesure d'audience compte s'imposer
rapidement. Depuis aoôt 1999, Arielle Dinard est directrice générale
de MMXI Europe BV, la joint-venture de deux sociétés d'études
européennes, GfK (Allemagne) et Ipsos (France), et de MediaMetrix.
Propos recueillis par Rémi
Carlioz
le 27 octobre 1999
.
JDNet : Qui est MediaMetrix?
Arielle Dinard : A l'origine, Tod Johnson a créé
The NPD Group,
qui est devenu l'un des dix plus importants cabinets de recherche
et d'analyse marketing aux USA. Il développait notamment un système
qui permettait de mesurer l'utilisation des logiciels (Word, Excel,
etc.). De là est née l'idée de l'appliquer à Internet et MediaMetrix
Inc. est née, en tant que structure à part, indépendante de The
NPD Group. Aujourd'hui, la société comprend plus de 100 personnes,
réparties à New-York dans la "Silicon Alley", à Atlanta
pour ce qui est des services clients et à Union Dale, Long Island
pour le centre de production.
Qui sont les clients de Mediametrix?
Nous avons aux Etats-Unis environ 500 clients. Agences de Pub,
éditeurs de sites, sociétés de e-commerce, analystes financiers
pour la cotation des entreprises, sociétés de conseils en stratégie,
annonceurs... la gamme est très vaste. A cela il convient d'ajouter
des acteurs traditionnels, intéressés par ce qui se passe sur
Internet.
Pouvez-vous nous fournir quelques
données chiffrées sur Media Metrix Inc. ?
La société a fait au troisième trimestre 1999 5,5 millions de
dollars de chiffre d'affaires. Sur l'année, c'est difficile à
calculer car la progression est constante. Nous venons de faire
une "follow on IPO", une seconde introduction en Bourse, et MediaMetrix
est valorisée à peu près un milliard de dollars, plus d'ailleurs
comme une société Internet que comme un cabinet d'études. Nous
réinvestissons systématiquement 25% de nos revenus en R&D et en
développement pour améliorer nos produits. Nous travaillons à
titre d'exemple sur les problématiques de convergence, sur les
outils nomades comme le téléphone ou les assistants personnels.
Aux Etats-Unis, notre panel est composé de 50.000 personnes (domicile
et bureaux) et nous analysons 22.000 sites.
D'où est venue la création de MMXI
Europe?
Les 500 clients que nous avons aux Etats-Unis ont émis le souhait
de pouvoir bénéficier d'un standard de mesure international, une
unité de mesure commune qui soit fiable, exhaustive et indépendante.
Cela a correspondu à notre introduction en Bourse en mai 1999
qui nous a permis de financer notre développement international.
Il y a 15 jours nous avons annoncé l'ouverture du Canada, puis
de l'Australie. Aujourd'hui notre joint venture européenne. Nous
avions déjà depuis 1997 un accord préalable de licence en Suède
avec Sifo.
Comment est organisée la structure
européenne? MMXI Europe BV est donc une société
de droit néerlandais, une joint venture entre Media Metrix, GfK
Gruppe -leader allemand dans le domaine de l'information professionnelle
et de la recherche marketing- et Ipsos, leader dans le domaine
des études publicitaires de médias et d'opinion. La présidente
de MediaMetrix Inc. est Mary Ann Packo, le chief executive officer
Tod Johnson. Il y a sinon au board européen, à qui je rapporte,
Gerhard Kirschner de GfK et Didier Truchot de Ipsos. Je suis directrice
générale pour l'Europe et la France, il y a pour l'heure un directeur
général Allemagne, un pour la Grande-Bretagne et Richard Windle,
directeur de la recherche. Notre siège est à Londres. Il y a donc
trois sociétés de plein droit. L'an prochain, nous en ouvrirons
d'autres, puis 22 pays européens en tout.
Quels produits allez-vous proposer
au marché européen et français ?
Parlons des produits existants aux Etats-Unis, ce sont les mêmes.
Il s'agit d'un "ranking" mensuel de couverture et de
pénétration qui intègre différents indicateurs: le nombre de visiteurs
uniques, la composition socio-démographique, la pénétration, la
fréquence, la durée, etc. Nous intervenons selon différentes manières,
soit par extension (.com, .fr, .de etc) soit par consolidation
des différentes propriétés. Egalement par catégorie, médias par
exemple, avec les difficultés qui peuvent naître du classement
de Yahoo finance à titre d'illustration. Nous mesurons l'intégralité
de l'univers numérique, qu'il s'agisse du Web bien sûr, mais aussi
des services en ligne, des systèmes propriétaires tels qu'AOL
ou T-Online, des logiciels, de l'équipement, des applications
interactives, etc.
Notre "flagship", notre vaisseau amiral (nous n'avons pas encore
trouvé les traductions françaises pour tous ces produits), c'est
le Web Report mensuel. Il y a aussi le trend report
trimestriel, qui indique par exemple les sites qui grimpent -ou
qui chutent- le plus vite. Nous avons aussi un rapport démographique
trimestriel, un weekly flash, un affinity report,
un retention report, etc.
Quels sont alors vos outils d'analyse
?
Ce qui est important c'est que nous ne faisons pas appel à la
mémoire, mais à l'instantané. Notre méthode de panel nous permet
de savoir qui est derrière l'ordinateur, comment il consomme,
quand, quoi, etc. C'est complémentaire d'une approche de serveur
logs (fichiers d'enregistrement de ce qui s'est passé sur le serveur).
Nous, nous ne couplons pas les deux approches, et nous concentrons
sur le qualitatif. Notre système "Q Metrics" est quasiment sociologique.
Qui est derrière l'ordinateur, c'est ça qui vaut de l'argent aujourd'hui.
Et pourquoi ne pas faire appel à des
cookies plutôt qu'à des panels?
L'approche est résolument différente. Pour les cookies, il faut
l'accord des sites, pour le panel, il faut l'accord des gens.
Nous, nous sommes côté clients, et le panel nous permet de mesurer
même les sites qui ne le souhaitent pas. Et puis le panel permet
de mesurer bien autre choses que l'Internet stricto sensu. Si
vous êtes sur le Journal du Net, que vous passez une demi-heure
sur Word pour taper un texte, puis revenez sur le JDNet, nous,
nous enlevons le temps que vous avez passé sur Word.
Techniquement comment cela fonctionne-t-il?
C'est un petit logiciel directement installé sur le système d'exploitation
de l'utilisateur. Cela nous permet d'avoir une capture seconde
par seconde, clic par clic. Par exemple, nous savons qu'un homme
de 22 ans a passé onze minutes sur tel site de telle heure à telle
heure, et qu'il a consulté tant de pages.
Comment avez-vous constitué
vos panels ?
Nous avons démarré le recrutement en juillet. Nos panels sont
composés de 3.000 personnes par pays, c'est-à-dire aujourd'hui
de 10.000 personnes en Europe environ (France, Allemagne et Grande-Bretagne).
Nous avons les plus gros panels de toute l'Europe. C'est une masse
confortable de départ. Mais ils sont destinés à évoluer. Vers
le bureau tout d'abord, et pas uniquement vers les foyers. Vers
le "Q Metrics ensuite", vers plus de qualitatif.
Est-ce à l'échelle de la population
internaute française un ratio comparable au ratio américain?
Je ne me suis pas réellement posée la question. Mais le calcul
est simple. Aux Etats-Unis, nous avons un panel de 50.000 pour
une population internaute de 60 millions environ. Cela fait 1
pour 1.200. En France, 3.000 pour 4 millions d'internautes, cela
fait 1 pour 1.300. Vous voyez, c'est comparable, et ce n'est qu'une
base de départ.
Dans le classement
alphabétique que vous avez réalisé, il y a des surprises,
comme l'absence de Caramail, et parfois la même adresse en .com
et .net par exemple. N'est-ce pas compter deux fois la même chose?
Non. Des surprises, oui il y en a. Mais nous avons publié un top
25. Les "grands absents" auxquels vous pensez peuvent
être 26 ou 27ème. Quant aux extensions en .com et .net par exemple,
nous faisons bien sûr une dé-duplication. Il y a différents niveaux
d'agrégation. Il faut au préalable regarder si les adresses renvoient
ou non sur le même contenu. Barnes and Noble par exemple a déposé
toutes les orthographes et toutes les prononciations de son nom.
Nous effectuons évidemment un "cleaning" des pseudos
pour consolider à un niveau d'intégration supérieur. Mais ensuite,
c'est au client aussi de choisir en fonction de sa propre réalité
commerciale et marketing. S'il considère qu'un .com et un .fr
correspondent à deux produits différents, nous les comptabilisons
comme deux produits séparés. Si c'est le même produit, nous agrégeons.
Vous avez déjà des chiffres sur le
marché français? Nous avons réalisé ce que nous
appelons une étude de calage, c'est-à-dire 17.000 interviews téléphoniques
par sélection aléatoire des numéros. Les résultats préliminaires
font apparaître différents éléments. Sur 24 millions de foyers
français, 28,5% des foyers sont équipés en micro-ordinateurs.
Sur ces mêmes foyers équipés, 25,2% (1.729.000) sont équipés d'Internet,
soit 7,2% des foyers français. Sur ceux qui ne sont pas équipés
Internet (5.122.000 foyers), 18,5% ont l'intention de s'équiper
dans les six mois (soit 950.000). Sur un mois, en France un internaute
consomme 7,2 jours distincts d'utilisation en moyenne, 173 pages
différentes, 22,9 minutes par jour d'utilisation et 2,8 heures
par mois. Enfin, la composition démographique des internautes
est à 64% composée d'hommes de plus de 18 ans, à 27% de femmes
de plus de 18 ans, et à 9% d'enfants de 2 à 17 ans.
Considérez vous en France que vous
arrivez sur un terrain "vierge"?
Non, non, il y a d'autres sociétés. Regardez Net Value, ils ont
un bon logiciel de capture. Mais je me permets d'émettre des doutes
sur la taille des panels. Nous sommes dans un domaine mathématique,
où la taille est cruciale. En juillet, nous avions déjà des chiffres
sur un panel de 500 internautes. Mais jamais nous nous serions
permis de les sortir. Aujourd'hui nous n'avons même pas communiqué
de chiffres, juste un classement alphabétique. Nous ne le ferons
que lorsque nous pourrons le faire avec sérieux, précisément.
Mais les sociétés françaises ont eu le mérite au moins de contribuer
à une reconnaissance de l'utilité du panel.
Et aux USA, par rapport à Nielsen/Netratings
par exemple?
Idem, leurs panels sont plus petits, et ne prennent pas ou peu
en compte les bureaux. Ils ont qui plus est une approche très
publicitaire, sur l'audience des bannières. Nous nous sommes aperçus
que l'approche panel n'est pas fiable en la matière, car il s'agit
d'un marché beaucoup trop segmenté. Mais nous allons fournir nos
propres outils pour la pub, c'est notamment le sens du rachat
de AdRelevance.
En France, combien coôtent vos produits
?
40.000 euros par an (262.000 francs environ) et par pays. Pour
cela, vous avez le Web Report (Key measures report
et trend report), le rapport démographique, l'interface
et la formation. Vous bénéficiez d'une information globale, pas
uniquement sur votre site ou secteur. Nous refusons de segmenter
nos bases, et avons fait le choix d'en diffuser l'intégralité.
Le rapport européen est à 12.000 euros. (Aux USA, le produit
est à 54.000 dollars NDLR)
Qui sont vont clients potentiels en
France ?
Les mêmes qu'aux USA, ceux que je citais au début.
Vous en avez déjà ?
Oui, mais il est trop tôt pour dire lesquels. Mais nous avons
deux très gros clients qui viennent de signer au niveau européen.
Vous avez une grosse responsabilité
économique. Vos chiffres vont être examinés à la loupe...
Oui c'est une lourde responsabilité. Ce sont nos chiffres qui
sont utilisés par les analystes pour la cotation des sociétés.
Par les annonceurs, par les régies, etc. C'est pour cela que nous
faisons cela avec sérieux, et que nous nous sommes associés à
chaque fois avec des partenaires locaux -Ipsos en l'occurrence-
connus pour leur expertise et leur réactivité. Nos panels sont
recrutés rigoureusement.
Est-ce que vous publiez tous les sites,
ou , par exemple retirez-vous les sites "adultes"?
Non, tous les sites. C'est une autre forme de responsabilité,
puisque nous publions donc l'URL en même temps. Mais nous ne retirons
rien. Aux USA, Porncity ou Whitehouse (pas la Maison Blanche)
arrivent régulièrement dans les Tops.
Pas en France ?
Non, mais en Allemagne oui. Le ranking des adolescents allemands
nous a révélé bien des surprises!
A part ces sites, quelles sont vos
premières conclusions d'une comparaison d'un pays à l'autre? Rapidement
et de manière caricaturale, on remarque que la France est très
"communautaire". C'est encore un peu Woodstock! En Allemagne,
on trouve dès le Top 25 des sites boursiers ou financiers. En
Grande-Bretagne des sites de e-commerce. Ce qui me chagrine un
peu à titre personnel -en tant qu'ancienne "femme de presse"-,
c'est qu'aucun site de média n'arrive dansle groupe de tête en
France.
Alors à quand les premiers chiffres
?
Fin novembre pour les chiffres d'octobre.
Sur quels sites aimez-vous aller ?
Sur Canal
Ipsos... Non, sérieusement, pas parce que nous sommes associés,
parce que j'aime bien leur traitement de l'actualité. Sinon, c'est
difficile. Depuis six mois, je n'ai pas de temps pour surfer.
A part sur les sites que nous classons bien sûr. J'aimais aller
sur les sites de designers de meubles, de bijoux, de déco. J'aime
les nouvelles tendances.
Vous achetez sur le Net?
Oui, sur Amazon, des livres que je ne trouve pas ailleurs.
Qu'est ce que vous aimez dans Internet
?
Le côté "on repart à zéro". Je viens de la presse que j'adore,
mais les positions sont figées depuis longtemps. Les nouveaux
venus ont du mal à se positionner. Pas sur Internet, où l'on peut
recréer des leaders.
Et que n'aimez vous pas ?
Le côté "cow boy". C'est le dernier qui parle qui a raison. On
publie des infos non validées. Moi, mon métier, c'est de faire
des chiffres justes.
Arielle Dinard, 33 ans, a passé sept ans chez Havas
Régies où elle a été directrice de clientèle après avoir occupé
la fonction de directrice marketing. Puis trois ans chez Publicitas
Promotion Network (PPN), régie internationale de presse où, en
tant que directrice marketing, elle s'est consacrée au redéploiement
du réseau international -USA, Amérique Latine, Asie - ainsi qu'au
développement de partenariats stratégiques en Europe pour devenir
ensuite directrice générale des sociétés françaises de PPN.