Le site dédié
aux femmes Aufeminin.com
devrait être introduit sur le Nouveau marché le 18
juillet. La société procèdera par une augmentation
de capital de 2.631.579 actions à un prix compris entre
7,60 et 8,60 euros. 90% des titres seront offerts dans le cadre
du placement garanti réservé aux institutionnels.
La société pourrait ainsi être valorisée
à près de 400 millions de francs. Le site, déjà
installé en France, Espagne et Italie, compte réaliser
cette année un chiffre d'affaires de 15 millions de francs
(5 millions déjà réalisés au premier
semestre) pour un résultat net négatif de 72 millions.
A l'heure actuelle, la majorité des revenus provient de
la publicité (le site a enregistré 11,5 millions
de pages vues en juin). La société compte être
rentable à l'horizon 2002 avec un chiffre d'affaires de
230 millions de francs, pour un résultat net de 7 millions,
provenant à 55% de la publicité et à 45%
du e-commerce. Marc-Antoine Dubanton, fondateur de la société
avec Anne Sophie Pastel, explique la finalité de l'introduction
en Bourse ainsi que le fonctionnement d'Aufeminin.
Propos recueillis par Jérôme
Batteau le 13 juillet 2000
.
JDNet:
Vous
êtes une pure dotcom avec de lourdes pertes, une rentabilité
consolidée à l'horizon 2003 et un modèle
basé au départ sur la publicité. L'introduction
en Bourse en ce moment semble un pari difficile...
Marc-Antoine
Dubanton. C'est vrai que le marché est assez excessif.
Je n'ai pas compris il y a quatre mois pourquoi les valeurs Internet
suscitaient autant de passions, et je ne comprend pas non plus
pourquoi elles sont autant rejetées maintenant. On estime
donc que l'offre aux particuliers ne sera pas vraiment bonne,
puisque tout le monde recommande de rester à l'écart
des dotcom. En revanche, le placement garanti, qui porte sur 90%
des titres, semble bien marcher. Les investisseurs institutionnels
nous font confiance et savent qu'à terme, notre projet
est porteur. J'estime d'ailleurs qu'on aurait pu faire un placement
privé, car les institutionnels sont encore friands d'Internet,
quoiqu'on en dise. On ne se fait donc pas trop de souci même
si le cours baisse les premiers jours, car dans six mois, les
particuliers reviendront sur ce type de valeur. En revanche, un
report d'introduction nous gênerait, mais plus pour des
raisons morales que financières. On n'a en effet pas envie
de recommencer le processus à zéro dans la mesure
où c'est une épreuve épuisante (Sourire).
Mais
la date du 19 juillet est-elle bien choisie alors que Wanadoo,
qui s'introduit le même jour, va cristalliser l'attention
?
Je
ne pense pas que l'arrivée de Wanadoo perturbera notre
opération. Les fonds institutionnels qui vont acheter du
Aufeminin.com sont des fonds spécialisés dans les
smallcaps. Ces investisseurs ne sont pas les mêmes que ceux
de Wanadoo et le préjudice sera donc moindre.
Vous
disiez que vous auriez pu réaliser un placement privé.
Mais alors pourquoi aller en Bourse?
Pour
la visiblité. Cela crédibilise notre société
auprès des différents acteurs avec lesquels nous
négocions. Dior, qui fait de la publicité chez nous,
ainsi que d'autres partenaires prestigieux ne veulent en effet
pas s'engager auprès de n'importe qui. La Bourse est donc
un élément majeur pour crédibiliser notre
offre. Par ailleurs, nous prenons en même temps un peu d'avance
puisqu'aucun site de ce type n'est coté en France.
Vous
devriez quand même lever 20 millions d'euros. A quoi servira
cette somme?
Principalement
à des investissements marketing et publicitaires. Cette
année, 69 millions de francs devraient être utilisés
à ces fins. L'autre pan d'investissement sera l'international.
On a ouvert des sites en Italie en mai et en Espagne en juin.
Il s'agira donc de consolider l'activité. L' Allemagne,
où nous pensons ouvrir un filiale, n'a en revanche pas
été inclue dans le business-plan, ni en terme d'investissements
ni en terme de revenus. Quant à l'Angleterre, on n'a pas
vraiment l'intention d'y aller. Déjà, parce que
cela coûte très cher en recrutement et en frais d'installation,
et ensuite parce que le marché est saturé. Les sites
américains, très développés, ont en
effet un net avantage là-bas.
Vous
prévoyez de réaliser 600 millions de francs de chiffre
d'affaires en 2003. Cela paraît très ambitieux...
Déjà
je voudrais signaler que notre valorisation n'est aucunement liée
à ce chiffre. Par ailleurs, dans la mesure où nous
tablons sur 45% de revenus issus du e-commerce en 2003, il faut
prendre en compte le fait que, comme nous vendons directement
sur notre site, nous intégrons dans le chiffre d'affaires
le prix total de la vente et non pas les commissions prises aux
marchands. Quant à votre question, je vous livrerai un
chiffre. En France, cette année, le marché publicitaire
en direction des femmes représente 40 milliards de francs.
En 2003, il sera de plus de 50 milliards de francs [NDLR : et
non 100 milliards de francs comme indiqué précédemment]
. En ne captant qu'une infime partie de cette manne, les revenus
peuvent être colossaux.
Néamoins,
la concurrence est énorme avec les groupes de presse qui
veulent développer leur activité sur Internet, les
chaînes de télévision comme TF1 avec Plurielles
ou les start-up comme Newsfam...
Je
trouve qu'il y a bien moins de concurrence qu'on ne le pense.
Si vous regardez les acteurs actuels, on est largement en tête
puisque le deuxième site après nous est "Elle"
avec 1.500.000 pages vues. Quant à Plurielles, je ne sais
pas si, malgré les investissements publicitaires massifs,
l' audience est vraiment au rendez- vous. Les groupes de presse,
eux, semblent avoir du mal à trouver la bonne formule entre
copie du magazine ou création intégrale d'un nouveau
journal sur Internet. Axel Ganz [NDLR : patron de Prisma Presse,
l'éditeur de Femmes Actuelles) semble par exemple aller
sur Internet mais n'a pas l'air convaincu. Il annonce 150 millions
de francs pour le Web dans les trois années qui viennent
mais ne précise pas comment sera répartie cette
somme. Est-ce pour mettre la totalité des magazines en
ligne, seulement les féminins? Par ailleurs, il faut arrêter
de penser qu'un lecteur de magazine devient obligatoirement lecteur
du site du dit-magazine. Les clients n'appartiennent à
personne. Regardez ce qui passe dans la grande distribution. Moi,
je vais dans les supermarchés Carrefour mais je vais aussi
sur le site de la Fnac, je regarde France 2 mais je peux aller
aussi sur le site de TF1. Le principe est exactement le même
dans notre secteur d'activité.
Mais
ce que les investisseurs semblent mettre en cause, c'est un modèle
basé sur des revenus publicitaires et où les coûts
d'acquisitions sont exorbitants...
Il
faut arrêter de dire cela. Jusqu'à preuve du contraire,
le modèle publicitaire est à l'heure actuelle le
seul qui a fait ses preuves en termes de chiffre d'affaires et
de marge. Les résultats de Yahoo!, qui viennent d'être
publiés, en témoignent. Mais Boo.com et ses milliards
envolés sont passés par là et on a décrété
que les start-up flambaient en marketing et que la publicité
ne rapportait plus. Une société, cela se gère.
Chez Boo.com, ce n'était pas dans ce cas, c'est tout. Si
vous prenez Yahoo!, les deux fondateurs ont compris très
vite qu'ils étaient plus visionnaires que gestionnaires.
Ils ont donc logiquement confié la gestion à Tim
Koogle, plus expérimenté dans ce domaine. Par ailleurs,
en ce qui concerne le modèle publicitaire, les deux valeurs
les plus souvent en vue à la Bourse de Paris sont TF1 et
NRJ, soient deux sociétés dont le modèle,
en télé et en radio respectivement, est basé
sur la publicité.
Oui,
mais TF1 et NRJ sont dans des secteurs où les autorisations
d'émettre réduisent la concurrence et où
la barrière à l'entrée est forte. Ce qui
n'est pas le cas sur Internet, où tous les sites du monde
sont susceptibles d'obtenir de la publicité...
Dans
le secteur où nous sommes, ce n'est pas vrai. D'abord parce
qu'on a créé une marque et un contenu qui mettent
une barrière à l'entrée. Ensuite, parce que
nous n'avons pas d'annonceurs qui sont susceptibles de s'afficher
sur tous les types de site. Sur les 87 marques que nous accueillons,
nous avons par exemple Dior ou Channel. Ces deux sociétés
n'iraient jamais faire de la publicité sur Multimania,
par exemple.
Vous
tablez également sur du e-commerce à partir de l'an
prochain. Comment allez-vous vous y prendre?
Tout
d'abord, on vend déjà des livres sur notre site,
avec Alapage. En fait, on a été et on va être
très sélectif sur les marchands. Car nous voulons
que l'internaute achète directement sur notre site et n'aille
pas chez le marchand. On a donc choisi des sociétés
qui ont une très forte compétence en matière
de VPC. Pour l'instant, Alapage (NDLR : Patrice Magnard, fondateur
du marchand en ligne détient une petite part du capital
d'Aufeminin), les Trois Suisses et 1855.com (site de vin) répondent
à ces critères. D'autres grands magasins nous semblaient
par exemple peu expérimentés en matière de
VPC, raison pour laquelle nous ne les avons pas retenus.
On
parle beaucoup des coûts d'acquisition de l'internaute.
Quels seront les moyens employés par Aufeminin.com pour
augmenter le trafic?
Normalement,
on ne devrait pas faire de publicité à la télévision
pour l'instant. Ce média est bon pour l'image mais il n'amène
quasiment aucune audience.On compte surtout sur la publicité
online ou papier. Par ailleurs, on a des partenariats avec les
grand sportails comme AOL, Lycos, LibertySurf ou Mageos. Nous
leur fournissons des pages de contenu avec certains liens qui
arrivent chez nous.
En
matière de contenu, beaucoup trouvent que votre site ne
change pas vraiment des magazines papier avec son triptyque Santé-beauté-forme...
Il
est clair qu'on a rien inventé. Les thématiques
sont exactement les mêmes. En revanche, sur l'approche,
je ne suis pas tout à fait d'accord car l'interactivité
amène un plus non négligeable. Par exemple, en ce
qui concerne les régimes d'amincissement. Les magazines
se contenteront de raconter "qu'un régime super top
marche aux US". Nous, nous préférons une approche
où l'internaute rentre ses critères physiques et
obtient des réponses adaptées. Nous avons aussi
recruté un ancien DRH d'IBM qui répond aux internautes
sur les questions touchant aux ressources humaines. Mais c'est
vrai qu'on est dans la même logique qu'un magazine féminin.
Comme on veut toucher le grand public, on utilise les mêmes
recettes. On ne sera ainsi jamais un magazine de réflexion
sur la société. Le Nouvel Observateur fait cela
très bien mais ce n'est pas notre rôle.
Vos
dernières publicités, avec une femme en train de
faire la cuisine et pendue au téléphone, n'a pas
semblé non plus très heureuse...
Là,
je reconnais qu'on a été maladroit. Mais cela devrait
changer avec la prochaine campagne qu'on a confiée à
Publicis.
Qu'est
ce que vous aimez sur internet ?
J'aime
trop de sites pour n'en citer qu'un. Mais disons Les Echos.
Vous
avez déjà acheté sur Internet?
Oui,
je fais mes courses en ligne sur Telemarket.
Marc Antoine
Dubanton,31 ans, est diplômé de l'Ecole polytechnique
et de l'Ecole des Ponts et Chaussées. Il a commencé
sa carrière comme directeur d'un centre de profit de Vivendi.
Il a ensuite été consultant chez McKinsey puis directeur
de la stratégie de Manpower France. Il a co-fondé
Aufeminin.com avec Anne Sophie Pastel, 31 ans, diplômée
de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole des Ponts et Chaussées.
Elle a notamment travaillé chez Crown Cork and Seal où
elle était en charge des fusions-acquisitions. Elle a ensuite
pris la direction du marketing opérationnel au sein de
la filiale cosmétique et a supervisé le lancement
des nouveaux produits de L'Oréal et Chanel.