Abdallah
Hitti a été l'un des fondateurs des nouveaux concepts
de services financiers développés par le groupe
Paribas avec Cortal, Banque Direct et surtout Kleline. Créée
dès 1995, la plate-forme de solutions de paiement sécurisés
a été abandonnée le 24 janvier dernier
par le nouveau groupe BNP-Paribas. Abdallah Hitti a alors quitté
le groupe bancaire pour créer sa propre plate-forme de
paiement : Blue Line. Il revient sur les dernières heures
de Kleline (Lire l'article
du JDNet sur l'annonce de la décision) et présente
ses nouvelles activités.
Propos recueillis par Fabien Claire le 20 juin 2000
.
JDNet.
Que s'est-il vraiment passé chez Kleline à la
suite de la fusion BNP-Paribas ?
Abdallah Hitti. Lorsque la BNP a racheté Paribas,
elle disposait déjà de sa propre plate-forme de
commerce électronique, baptisée Merc@net, et avait
déjà investi plusieurs millions sur Cybercom.
Après le rachat de Paribas, j'ai pris l'initiative avec
d'autres anciens de la banque de proposer à la BNP deux
hypothèses pour Kleline. La première était
l'adoption de Kleline par la BNP, la seconde était de
trouver un acheteur. A partir du 24 septembre jusqu'à
la fin décembre, nous avons étudié les
scénarios. Nous avons sous-traité la recherche
de capitaux à un cabinet extérieur et un audit
a été mené avec BCG. Le 20 décembre,
nous avons présenté notre analyse au groupe de
travail commerce électronique, créé à
l'issue de la fusion, dont le seul sujet était Kleline.
Ce groupe a retenu deux choses, un business plan qui représentait
un montant d'investissement de 150 millions de francs et un
retour à l'équilibre au bout de deux ans avec
un déploiement international renforcé et le choix
d'une technologie de paiement sécurisé virtuelle
sans carte à puce.
Pourquoi
alors le sabordage de Kleline ?
Kleline
avait coûté à l'époque 85 millions
de francs. On avait également trouvé un investisseur
prêt à racheter le tout et à investir pour
le développement. Il trouvait d'ailleurs notre business
plan pas assez agressif et était prêt à
investir jusqu'à 200 millions de francs sur les deux
à trois années du développement. La lettre
d'intention était prête et je suis parti au Liban
pour les fêtes de fin d'année. A mon retour, j'ai
été convoqué par les présidents
du conseil de surveillance et du directoire qui m'ont notifié
qu'il avait été décidé de ne pas
garder Kleline. Cela ne m'a pas surpris, je m'en doutais et
je voulais saisir cette occasion pour racheter la société.
J'étais finalement plutôt content de ce choix.
Pourquoi,
finalement, ne pas avoir acheté Kleline ?
Parce
qu'ils n'ont pas voulu! Lorsqu'on m'a informé du choix
de ne pas garder Kleline, j'ai dit que j'avais un acheteur pour
la cession telle qu'elle avait été envisagée
dans notre projet. A ma grande surprise, ils ont refusé.
Deux raisons majeures m'ont été avancées
: ils ne voulaient pas créer un futur concurrent de la
banque pour la gestion des flux de paiement sécurisé
et ils voulaient garder l'équipe Kleline. La BNP a vraiment
voulu conserver le savoir-faire des salariés Kleline.
Mais par la maladresse de leur annonce, ils ont cassé
la dynamique. Moi-même j'ai tout de suite démissionné
et annoncé la création de Blue Line. Aujourd'hui,
ils ont tout perdu : il y a un concurrent et ils n'ont plus
d'équipe.
Vous
êtes donc parti en claquant la porte...
Sur le plan des affaires, ce qu'ils ont fait ne se fait pas.
En revanche, sur le plan des conditions de séparation,
ils ont été remarquables et irréprochables.
Je souhaite à tout cadre de quitter son groupe dans ces
conditions. Je sais qu'ils gèrent également très
bien la suite vis à vis de l'équipe. En revanche,
sur le fond, je suis en profond désaccord avec eux. Mais
il est important de tourner la page. Je garde de très
bonnes relations avec beaucoup de monde là-bas.
Que
sont devenues les équipes Kleline?
Kleline comptait 48 salariés. Les commerciaux et responsables
marketing ont tout de suite été récupérés
par les partenaires, assureurs, partenaires de plate-forme e-commerce.
Une telle équipe, ça n'a pas de prix! Les 15 techniciens
sont restés mais pour les convaincre, la banque leur
a fait une offre économiquement très intéressante.
C'était fondamental pour la BNP, qui devait honorer les
contrats en cours. Ce sont les techniciens qui font tourner
la machine.
Mais
la déliquescence du service s'est-elle vite fait sentir
?
Je pense que le but était de faire partir les commerçants
le plus rapidement possible tout en respectant les contrats
signés. Cela dit, aussitôt après l'arrêt,
le volume des flux traités par Kleline a continué
à croître car de nouveaux commerçants venaient
de rejoindre Kleline. Il fait préciser qu'à ce
jour, il n'existe encore aucune offre équivalente sur
le marché.
Ne
s'agit-il pas fondamentalement d'une décision précipitée
?
Tout cela sent évidemment la précipitation. C'est
probablement une décision des équipes BNP. Pour
nous, les équipes de Paribas, nous travaillions normalement,
rien ne nous permettait de prévoir cette décision.
Les gens de Paribas n'y sont pour rien
Pensez-vous
que l'avenir d'une autre filiale très déficitaire,
Banque Directe, a lui aussi été menacé
?
Je pense que la réflexion menée par le groupe
a été identique, mais le tollé et les conséquences
de l'arrêt de Kleline ont été telles que
le groupe a préféré calmer le jeu. L'étude
de l'éventuel abandon de Banque directe était
en cours.
Où
en est aujourd'hui votre société Blue Line ?
J'ai créé Blue
Line le 7 février, nous avons été totalement
financés. La levée de fonds n'a posée aucun
problème, j'ai la totale confiance des actionnaires.
Nous avons réuni 23 millions de dollars pour le financement.
Blue Line est une société de droit luxembourgeois
qui va créer une filiale par pays d'implantation, respectant
chacune les règles en vigueur dans chaque pays. Nous
sommes en train de créer quatre filiales, dont une en
France.
Vous
fonctionnerez avec une banque particulière ?
Vous mettez le doigt sur une de nos grandes différences
par rapport à Kleline : il n'y a aucune banque dans le
capital de Blue Line. L'expérience m'a montré
que travailler avec un banquier, ce n'est pas mal mais ça
élimine les autres. Blue Line est une plate-forme ouverte
à toutes les banques, c'est un système universel qui
fonctionne avec tous les protocoles, dont Cybercom. Je veux
élargir au maximum le nombre de banques : elles sont
22 aujourd'hui, et ce n'est pas fini. Cela permet au commerçant
en ligne d'accepter toutes les cartes, y compris celles avec
lesquelles ne travaille pas sa banque habituelle.
Que
pensez-vous de Cybercom?
La solution technique est excellente. Le protocole Set apporte
l'authentification du porteur. C'est pour moi, à ce jour,
la meilleure solution au monde. La difficulté, c'est
qu'il faut un lecteur et une carte à puce. Le développement
de Cybercom demandera donc des années. Set a déployé
un Wallet technologique qui s'installe sur le disque dur. Mais
Set est un protocole d'identification de la carte, il faut autant de
certificats que de carte. C'est une première source de
blocage. Cela oblige également les banques à révéler
leurs fichiers clients aux opérateurs cartes et ils n'ont
pas voulu. C'est un handicap majeur. Enfin, la dernière
difficulté est le principe d'une mutualisation de la
sécurité au profit d'un GIE qui n'a aucune légitimité
pour être le seul opérateur de toutes les cartes.
Je pense qu'à terme, il y aura autant de Cybercom que
de banques. Il faut bien séparer la solution technologique
Cybercom de la société d'exploitation. Pour nous,
c'est une plate-forme sécurisée intéressante
mais pas suffisante. Je veux lui ajouter le micro-paiement,
le multidevise et l'international. Le démarrage effectif
de Blue Line est prévu pour le 25 septembre.
Quels
sont vos objectifs?
Pour la fin de l'année, le business plan prévoit
50 sites en préexploitation et 2.000 marchands pour la
fin 2001. Nous prévoyons 80% de commerçants à
l'étranger et 20% en France pour la fin 2000.
Comment
voyez-vous évoluer l'Internet dans l'année qui
vient?
Je pense que ceux qui ne connaissent pas Internet aujourd'hui
doivent faire un effort pour s'y mettre, et je suis définitivement
convaincu que dans moins de trois ans toute la France sera connectée
par le Wap, le PC ou le Palm. Pour l'Internet en général,
je pense qu'on arrive à l'Internet de troisième
génération avec des sites simples fonctionnels
ou la profondeur est de 2 ou 3 pages maximums. Il ne faut plus
naviguer sur 15 pages pour trouver l'information. Les débits
commencent à augmenter, on peut commencer à faire
des pages riches. Toutes les entreprises auront leur site et
l'économie en général va s'y mettre. Les
projets de lancement de start-ups seront de plus en plus mûres
et on va assister à la rentrée à un excédent
de cash disponible. Les fonds d'investissement ont des mandats
pour investir des fonds qu'ils doivent absolument placer avant
la fin de l'année. Avec le retard pris, il y aura plusieurs
milliards à placer à la rentrée.
Quels
types de projets bénéficieront de ces financements
?
Je pense qu'il y aura beaucoup de refinancements de projets
déjà existant, davantage que de démarrages
purs et simples.
Il y a des start-ups en vol qui tomberont en panne de carburant
et on les laissera tomber, et d'autres projets vont être
re-consolidés fortement. Au lieu de procéder par
levées de fonds successives, on va reprendre les projets,
les mettre à plat pour regarder quelle est la totalité
des besoins de financement jusqu'au point d'équilibre.
On ne financera plus à court terme mais à moyen
terme en levant les fonds en une seule fois. On laissera ainsi
les entrepreneurs sereins pour développer leur business.
Beaucoup, ces derniers temps, gaspillaient plus d'énergie
à séduire les investisseurs qu'au développement
de leur business. C'est terminé, tout le monde l'a compris.
Je pense enfin qu'on va avoir un retour sur le B to C à
partir de la rentrée. On vit les dernières semaines
de la nouvelle économie et nous allons assister à
une convergence des deux avec des nouvelles règles de
l'économie en général.
A
titre personnel, quelle utilisation faites-vous de l'Internet
?
J'utilise Internet depuis 1994 et j'ai évolué
avec le réseau. Aujourd'hui, comme patron de PME/PMI,
je l'utilise pour les services internes de la société,
l'agence de voyage par exemple, j'utilise Outlook en webmail,
ce qui me permet de lire mon courrier dans le monde entier.
J'utilise le Web comme un outil de veille sur mes concurrents
grâce à une technologie qui surveille leurs pages
web : quand une page change, je reçois un mail d'alerte.
C'est enfin une vitrine : toutes mes sociétés
ont un site et reçoivent leurs contacts par mail. J'utilise
également le Web pour l'ensemble des services financiers
et la Bourse.
Quels
sont vos sites préférés ?
Le meilleur site au monde, c'est www.bradesco.com.br.
C'est la banque de rêve sur le Web. Elle propose tout
ce dont vous pouvez rêver, shopping, Wap, alerte par mail,
Bourse en direct, vente aux enchères. Tout ce que vous
entendez en France sur la net économie se trouve sur
la homepage de Bradesco. Ils ne passent pas leur temps à
s'interroger sur la faisabilité et le potentiel du marché,
ils font ! C'est dû avant tout à la maturation
des dirigeants de cette banque centenaire, c'est mon modèle.
Chaque fois que je propose quelque chose et que l'on me dit
ça ne va pas marcher, je dis faîtes d'abord, vous
ne pouvez pas savoir si cela fonctionnera ou non.
Vous
achetez en ligne?
Tout le temps, les livres surtout, sur Alapage, la billetterie
d'avion pour ma famille et la société. Je suis
un fana des systèmes de fidélisation des compagnies
aérienne, je ne suis d'ailleurs fidèle de personne
car je suis fidèle de toutes! J'achète mes fleurs
chez Aquarelle
également.