Interviews

Philippe Jurgensen
PDG
Anvar

L'Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar) qui soutient depuis plus de vingt ans les projets d'innovation des PME-PMI et créateurs d'entreprise vient de décider d'étendre son soutien aux nouveaux services dans le secteur des NTIC (lire l'article du JDNet). L'Anvar prévoit, d'ici trois ans, de consacrer 15% de ses ressources à ce secteur. Philippe Jurgensen précise les motivations de cette évolution stratégique.

Propos recueillis par Fabien Claire le 25 mai 2000 .

JDNet. Le financement de sociétés innovantes dans le e-commerce est une révolution pour l'Anvar. Pourquoi cette décision ?
Philippe Jurgensen. Il y a une évolution de notre économie, avec une place de plus en plus importante pour les services. Ils représentent 70% des emplois et du produit national. Au cours des dix dernières années, ces activités ont pris un essor considérable. Il était indispensable pour l'Anvar d'en tenir compte.

Pourtant il semble que vous ayez décidé de ne plus retenir l'idée d'une innovation technique comme condition sine qua non à votre participation...
En réalité, les nouveaux services que nous prenons en charge sont tous des services liés aux nouvelles technologies. Ces services doivent donc être innovants et rendre un nouveau type de service à l'usager. Nous avons par exemple participé au financement de sociétés comme Allociné, proposant la réservation de places de cinéma en ligne ou par téléphone. Nous avons soutenu Studi com, une société de téléformation tutorée qui aide les entreprises à former leur personnel sur les logiciels bureautiques ou dans le domaine des langues. Nous avons apporté notre concours également à la société 21S, qui permet des échanges beaucoup plus réguliers entre les entreprises et leur expert-comptable.

L'aide de l'Anvar prend le plus souvent la forme d'une avance remboursable. Or sur Internet, bon nombre d'analystes prédisent un fort taux d'échec dans les start-ups actuelle. Est-ce que cela ne présente pas un risque budgétaire pour l'Anvar ?  
Nos avances sont en fait des prêts sans garantie et sans intérêt, remboursés seulement si le projet réussit. Cela a un caractère de quasi-fonds propres. Nous partageons complètement le risque de l'entrepreneur. Actuellement, heureusement, près de 60% de nos avances sont remboursées. Mais cette idée d'un taux d'échec plus important dans les entreprises Internet est aujourd'hui une pure supposition. Ce serait ennuyeux effectivement si cela se produisait, mais nous n'en somme heureusement pas là. Nous espérons pour notre part que les chutes ne seront pas beaucoup plus importantes que dans d'autres secteurs. Nous sommes cependant tout à fait vigilants dans nos choix. 

Comment s'articule votre rôle de financeur par rapport à celui des capitaux-risqueurs et business-angels?  
Il n'y a pas de règles mais le plus souvent nous intervenons avant les capitaux risqueurs, au tout début de la vie de l'entreprise. Il y a en réalité très peu de monde autour du berceau de l'entreprise. Les capitaux-risqueurs sont notre relais naturel et nous avons d'ailleurs des accords avec la plupart d'entre eux. On essaye de les convaincre d'investir dans les projets qui nous semblent intéressants. Eux-mêmes parfois nous amènent des projets. Notre financement doit être un point de départ autour duquel le reste se construit.

Vous êtes présent dans les 22 régions et les Dom. Où se prennent les décisions de financement ?
Notre établissement est effectivement complètement régionalisé, l'essentiel de nos effectifs est en région et c'est dans les délégations régionales que se prennent les décisions. Nos chargés d'affaires ont chacun un champ d'action et traitent leurs dossiers à fond, en suivant le chef d'entreprise tout au long de la réalisation du projet. Nous aidons par exemple au recrutement d'ingénieurs ou de cadres. C'est très difficile pour un patron de PME d'être un homme orchestre, aussi nous l'encourageons à s'entourer d'une équipe.

Une caractéristique des start-up de l'Internet est de vouloir aller très très vite dans les différentes phases de développement. Que pensez-vous de cette frénésie de croissance rapide?
Pour ce qui concerne l'internationalisation, il faut l'envisager d'emblée. Beaucoup de PME, y compris dans les secteurs considérés à tort comme traditionnels, pensent dès leur origine "marché mondial". En revanche, pour ce qui est de savoir s'il faut en deux ans être en Bourse au Nouveau marché, tout dépend de la stratégie de l'entreprise. Il est évident que jusqu'à ces dernières semaines, le marché offrait des perspectives de valorisation et de financement rapide aux entreprises de ce secteur. Nous n'avons pas à freiner cela. Le vrai critère, c'est l'intérêt du projet ou la qualité de l'équipe dirigeante. Il est également fondamental de protéger la propriété intellectuelle mais si ce n'est pas évident sur Internet. On va effectivement plus vite dans ce secteur la mais ça ne veut pas dire qu'on y est plus innovant.

Vous pensez que l'engouement actuel pour les entreprises du secteur de l'Internet nuit au développement des entreprises innovantes d'autres secteurs?
Du côté des capitaux-risqueurs, cela me paraît tout à fait caractérisé. Aujourd'hui, il n'y en a que pour la net-économie, ce qui est complètement ridicule. Nous avons des innovations extrêmement intéressantes dans le secteur de la mécanique, dans le secteur de l'optoélectronique, la plasturgie ou les nanotechnologies, comme dans l'ameublement ou l'agro-alimentaire. Innovation ne veut pas dire forcément nouveau secteur. Dans les fibres textiles par exemple, nous avons de véritables innovations

Mais ne risquez-vous pas alors de donner l'impression à ces autres entrepreneurs de tomber vous aussi dans la mode des Ntic?
Nous le faisons avec beaucoup plus de discernement que les capitaux-risqueurs. Ce qui me préoccupe beaucoup, c'est que, au moins avant l'effondrement du Nasdaq, les capitaux-risqueurs ne se sont intéressés pratiquement qu'à ces entreprises là. Cela a abouti à des survalorisations complètement ridicules pour certaines entreprises. Peut-être que l'effondrement d'une entreprise comme Boo.com ou la chute des cours amèneront à une vision beaucoup plus équilibrée des choses. Il y a des pans entiers de l'économie où des entreprises ne trouvent pas de financement. Qui s'intéresse aujourd'hui à la pile à combustible par exemple? C'est une technologie d'avenir mais si vous parlez de cela à un capital-risqueur, il va vous claquer la porte au nez. Ils ont tort car ils se portent tous sur le même gibier qui devient donc rare et cher.

La relative remise en cause actuelle née de la baisse des valeurs Internet ne devrait-elle pas permettre aux capitaux-risqueurs de porter leurs regards vers des entreprises d'autres secteurs ?
Vous avez raisons, le miroir aux alouettes de la nouvelle économie, même si l'image est excessive, a attiré vers le capital-risque des gens qui vont y rester et faire d'autres investissements aussi substantiels sur d'autres projets. Mais ils ne seront pas assez nombreux. Contrairement à ce que j'entends souvent et contre lequel je n'élève fortement, il y a encore en France trop peu de capital-risque. On a un trop plein localisé sur le secteur de la nouvelle économie mais il y a une pénurie terrible de capital-risque pour l'essentiel de notre économie. 

Les 15% de votre budget que vous envisagez correspondent-ils à une dotation supplémentaire de l'Anvar à cette fin ou s'agit-il d'une nouvelle affectation de vos ressources?
Nous n'avons malheureusement pas reçu de dotation supplémentaire pour cette nouvelle orientation. Pour autant, cela ne grèvera pas notre budget au détriment des entrepreneurs d'autres secteurs car dans le même temps, nous mobilisons des concours complémentaires plus important, de l'ordre de 200 millions l'année dernière et probablement davantage cette année.  

Sur un plan plus personnel, quelle est la place de l'Internet dans votre vie ?
Je l'utilise principalement à des fins professionnelles. La messagerie est devenue pour nous un outil formidable. J'apprécie beaucoup de pouvoir trouver l'information que je recherche, de pouvoir l'archiver ou l'imprimer mais faute de temps, je ne suis pas encore un internaute émérite.


Philippe Jurgensen, 55 ans, a effectué un parcours de haut fonctionnaire énarque (major du concours d'entrée en 1967-1969) au sein de l'inspection des Finances, du ministère de l'Economie et des Finances, du Trésor puis à la direction du Comptoir des entrepreneurs, de la Caisse Française de développement et de la Sofaris. Il est PDG de l'Anvar depuis octobre 1996.




 

 

 

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