Voici un acteur
pas comme les autres: très estimé par tous ceux qui le connaissent
-ou qui aimeraient le connaître-, brillant, exigeant, discret.
Jacques-Hervé Roubert, le patron de l'agence Cythère,
travaille avec seulement une petite dizaine de clients. Il réalise
en moyenne avec chacun d'entre eux plus de 3 millions de francs
de CA pendant que la plupart des prestataires se battent pour
obtenir des budgets de quelques centaines de milliers de francs.
Fort de cette réussite, il s'offre le luxe de choisir lui-même
ses clients qui le retiennent souvent d'office, sans le préalable
d'une compétition officielle, ce qui lui permet de travailler
dans une grande sérénité.
Un acteur
pas comme les autres également car il est l'un des seuls managers
de l'Internet en France qui a renoncé à un poste de haut niveau
(DG du groupe Young & Rubicam) pour se jeter dans le Net en 1995.
Quatre ans après, aucune pointure similaire n'a imité son parcours
:ses concurrents sont de jeunes créateurs issus de l'Internet.
Observateur privilégié de l'Internet en France et aux Etats-Unis
- il passe le tiers de son temps dans l'agence newyorkaise de
Cythère-, il a une vue lucide du décalage entre les Nets français
et américain. Pour Cythère, c'est clair, il faudra être aussi
partie prenante des projets e-business pour se développer.
Propos recueillis par Philippe Guerrier et Corinne Delaporte le 21
avril 1999 .
JDNet.
Cythère a été créée en décembre 95. Quelle orientation
a pris la société?
Jacques-Hervé Roubert. Au début, nous étions clairement
une agence de conception de sites. Depuis, le Net a évolué et
notre activité s'est orientée vers l'e-commerce et la gestion
de bases de données consommateurs. Maintenant nous souhaitons
franchir d'autres étapes. Nous souhaitons soit explorer de nouveaux
métiers comme la banque, l'assurance.... soit participer en tant
qu'actionnaire à de grands projets de e-busines. Nous imaginons
donc des projets dans ce sens. D'ailleurs le rôle des agences
interactives classiques ne va pas forcément être prépondérant
à l'avenir. Une récente étude montre que parmi les 100 premiers
sites américains de commerce électronique, seuls 20 % sont accompagnés
au jour le jour par une agence. La tendance dans le commerce électronique
est de faire le plus possible en interne. Nous souhaitons donc
réaliser des sites de commerce électronique, mais sur la base
d'alliances.
Quels
sont les effectifs de Cythère?
Nous étions 45 en décembre dernier. Nous sommes actuellement 62
à Paris et 11 à New York. Chaque année nous devons déménager.
Sur quels projets travaillez-vous?
Nous travaillons sur la nouvelle version du site de la Fnac, qui
devrait sortir à la fin de l'année. C'est un nouveau contrat,
sur lequel huit personnes travaillent à plein temps. Mais je n'ai
pas l'habitude de m'étendre sur mes clients en raison des accords
de confidentialité qui nous lient. D'ailleurs, les communiqués
de presse des prestataires annonçant un nouveau site me laissent
sceptique. En soi, ce n'est pas un événement pour eux mais seulement
pour leur client. Ce n'est pas une critique vis-à-vis d'eux, ils
ont leur stratégie. Mais j'estime que les prestataires ne devraient
pas se faire de la publicité au travers de leurs clients.
Pourquoi
cette volonté de s'implanter
aux Etats-Unis?
Notre bureau newyorkais a ouvert en février 98. Il a les mêmes
activités que l'agence française. Je m'y rends une semaine à dix
jours tous les mois... Nous n'avons aucune prétention à conquérir
l'Amérique. Nous voulons simplement servir les clients là où ils
sont localisés. Lorsque nous avons en mains des budgets du groupe
Danone, du Club-Med ou de l'Oréal, nous devons suivre les clients,
nous n'avons pas le choix.
Pourquoi
les agences de communication interactives françaises ne suivent-elles
pas le mouvement?
Effectivement, je connais peu d'autres agences françaises qui
aient suivi notre chemin. Il est clair que pour débarquer aux
Etats-Unis, il faut être au moins aussi bon que les agences américaines,
ce que nous essayons de faire, mais je ne prétend pas faire mieux.
A New York, nous avons recruté exclusivement des américains.
Quelles
sont les différences fondamentales que vous observez entre le
Net aux Etats-Unis et en France?
L'approche du Net diffère principalement sur deux points: aux
Etats-Unis, l'objectif est de rendre un site efficace pour que
l'utilisateur puisse s'y retrouver tout de suite. En Europe, le
côté design et l'image sont davantage mis en valeur. Ce sont des
différences culturelles que l'on retrouve dans la communication
traditionnelle. Le second point concerne les moyens mis en oeuvre.
Les Américains n'hésitent pas à investir massivement. Au bout
du compte, le site est forcément quelque chose qui doit apporter
de la valeur ajoutée. En France, nous devrions être attentif à
ce phénomène: si, un jour, des concurrents mondiaux comme Interpublic,
Omnicom, True North débarquent, ils n'hésiteront pas à mettre
le paquet pour se faire une place.
Existe-il
une spécificité française?
En France, on parle de l'Internet comme du minitel sur un marché
franco-français. Les Américains parlent en terme de marché mondial.
Ils sont pragmatiques. Voyez le site de Dell. Ce n'est pas un
chef d'oeuvre en matière de graphisme. En revanche, le site va
vite à l'essentiel dès la home page. En France, il faudrait quatre
ou cinq pages intermédiaires pour obtenir le même résultat. Et
puis les moyens mis en oeuvre sont quatre à cinq fois supérieurs
aux investissements français. Ces coôts sont plus vite amortis
car la population cible est plus grande. Il ne faut pas oublier
que 60% des internautes sont américains. En France, le retour
sur investissement pose problème car il repose évidemment
sur moins d'internautes.
Comment
mesurer le retard pris par la France par rapport aux Etats-Unis?
Je ne parlerai pas en terme de retard mais d'expérience. Les Etats-Unis
ont deux années d'expérience de plus que nous. Le Net est un mass
média là-bas. Tous les jours, dans le quotidien USA Today, on
trouve les programmes de la télévision mais aussi ceux du Net.
Le Net fait partie de la vie quotidienne des Etats-Unis. En France,
on parle encore de cyber. Aux Etats-Unis, c'est un terme désuet.
Quels
atouts peuvent faire valoir les Français sur le marché américain?
Je vois mal un site portail français s'imposer aux Etats-Unis
mais il est possible de jouer sur des marchés de niche comme les
produits de luxe... Même la vente de vin est un secteur concurrentiel
aux Etats-Unis. Les Américains connaissent surtout Virtual Vineyard
qui vend des bouteilles de vin californien et français. Il existe
pourtant une "french touch" en matière de création et d'originalité.
Nous avons des atouts à développer.
Comment
les Américains considèrent-ils le Net en dehors des Etats-Unis?
Ils
regardent très peu ce qui se fait à l'extérieur tellement ils
ont du pain sur la planche sur leur propre territoire. Lors d'une
réunion chez Procter and Gamble en aoôt dernier, un responsable
avait répondu sèchement à une question sur le Net et l'Europe
: "They are poorly connected". Voila la mentalité actuellement
en résumé. Toutefois, ils s'intéressent davantage aux marchés
allemand, britannique ou japonais. La France n'est pas une priorité.
La
société de l'information inscrit dans le programme gouvernemental,
vous y croyez?
Je
ne l'ai pas lu. Mais dans l'ensemble l'Etat ne constitue pas un
frein, tous les politiques ont exprimé leur avis en faveur du
Net, donc c'est très bien. Cependant les discours politiques ne
valent pas ce qui se fait quotidiennement sur le Net. Il faut
se jeter à l'eau : "launch and learn" et non "learn and launch".
Quel
est votre site d'information favori ?
Le New York Times.
Je trouve tout ce que je veux. C'est simple et facile. Je regarde
peu de sites d'informations français. J'attend celui de L'Equipe.
Je consulte souvent CBS
Sportsline.
Pour
vos loisirs, quels sites consultez-vous ?
Tous les sites de golf (GolfWeb,
European
Tour...). Ah si, j'aime beaucoup ComFM
pour pouvoir écouter les radios du monde et aussi un peu de musique
brésilienne.
Achetez-vous
des articles en ligne?
Des livres, des CD, des software.
Qu'aimez-vous
sur le Net?
L'immédiatement, la réactivité, la vie...
Que
détestez-vous sur le Net?
La lenteur des connexions.
Jacques-Hervé
Roubert, 48 ans a entamé sa carrière dans l'agence de publicité
NCK (aujourd'hui FCB) en 1977. Il devient par la suite directeur
associé chez Havas Conseil puis DGA de l'agence BDDP puis directeur
général du groupe Young&Rubicam (1994/1995). En décembre 1995,
il fonde Cythere et Christophe Tricaud le rejoint en tant qu'associé
en janvier 97.
Cythere en chiffres