Interviews

Regis Saleur
Directeur Général
Seeft Ventures

Seeft Ventures (comme "seed" et "soft") est un fond díInvestissement en capital-risque d'amorçage, spécialisé dans le logiciel, le multimédia et le commerce électronique. En 1998, Jean-Michel Renck (le sponsor), François Poirier et Régis Saleur (les associés) ont décidé, plutôt que de jouer les "business angels" ou les consultants chacun de leur côté, de créer un fonds de capital-risque afin de participer à la création d'entreprises en projet ou en démarrage dans le domaine du logiciel au sens large, incluant Internet et le multimédia. Une partie des projets que finance Seeft trouve son origine dans les "piaules" des passionnés d'informatique et des entrepreneurs en herbe. Au carrefour du capital-risque et des "business angels", Seeft, après seulement quelques mois d'existence vient de lever 150 millions de francs et compte investir dans une vingtaine de start-ups dans les cinq ans qui viennent.

Propos recueillis par Benoit Grange le 28 mai 1999 .

JDNet: Présentez-nous Seeft Ventures?
Régis Saleur: Il a un sponsor et deux associés. Le sponsor s'appelle Jean-Michel Renck (fondateur de SOCS, progiciels pour les assurances) et les deux associés sont François Poirier, ancien directeur général d'Astorg, et moi-même. On se positionne exclusivement sur le secteur du logiciel et du commerce électronique. Nous sommes spécialisés dans l'"amorçage", c'est à dire que nous entrons dans le capital des sociétés exclusivement au premier tour de table. Mais nous pouvons suivre sur les investissements ultérieurs. Seeft est opérationnel depuis trois mois. Nous nous définissons comme des "business angels professionnels". Nous avons voulu réunir le meilleur des deux mondes, celui fes business angels et celui des fonds de capital-risque traditionnels. Les business angels ont comme atouts l'expérience, le carnet d'adresses et un capital "affectif" important. Mais ils sont peu disponibles et manquent de moyens financiers. A l'autre bout, les fonds d'investissement traditionnels sont peu nombreux et se connaissent très bien. Ils ont des moyens beaucoup plus importants et sont compétents dans le domaine de l'expertise financière mais leur implication sur le terrain est limitée car très souvent les promoteurs de ces fonds ne sont pas des anciens entrepreneurs... Nous nous positionnons dans le logiciel uniquement, car c'est un secteur que nous connaissons bien. On a donc levé un fond de 150 millions de francs, essentiellement auprès d'une vingtaine d'investisseurs privés de tous les milieux qui ont tous réussi dans différents secteurs. Le reste provient de deux fonds publics, le FPCR (Fond public de capital risque) et le Fond européen d'investissement.

Dans quels secteurs investissez-vous?
Principalement le logiciel et ensuite le commerce électronique au sens soit technologique (logiciel) ou dans des enseignes de commerce électronique. Notre cible n'est pas l'édition par exemple ou de la prestation de services ou de la réalisation de sites. Nous avons déjà investi dans trois sociétés. La première a été Marcopoly, dont nous avons acquis 20% et dans laquelle nous venons de réinvestir environ 2 millions; la deuxième s'appelle 4X Technologies et développe des composants logiciels pour les concepteurs de jeux vidéos. Nous avons investi pour environ 2 millions de francs. L'identité de la troisième, c'est encore confidentiel.

Le capital-risque décolle en France, qu'en pensez-vous?
Je pense que c'est une très bonne chose.Même s'il y a des fonds qui fleurissent un peu partout, on est loin d'en voir suffisamment. Je fais partie des gens qui pensent qu'il y a un potentiel réellement important en France à condition d'aborder des gens qui ont des idées de produits et non pas des idées d'entreprises. On voit beaucoup de gens qui ont développé un prototype, un bout de produit et qui sont mal à l'aise pour le transformer en une idée d'entreprise. C'est là qu'on les aide. Le capital-risque est très récent en France. On avait jusqu'à présent plutôt des fonds d'investisseurs qui étaient positionnés en capital développement dans des entreprises déjà existantes. Mais il faut que le marché se structure, parce qu'il y a un peu de tout et il faut que les porteurs de projet apprennent à catégoriser les investisseurs.

Est-il nécessaire pour un capital-risqueur d'aller régulièrement aux Etats-Unis?
Non. Notre politique, c'est de tisser un lien étroit avec un ou deux "ventures capitalists" de la Silicon Valley. On fera des annonces très bientôt à ce sujet. On pense que s'implanter là-bas pour un fonds français, c'est une erreur. Il faut aider les entreprises à démarrer en France, connaître les premiers succès et ensuite le deuxième ou troisième tour de table dans lequel on va investir, on va le chercher aux Etats-Unis. Par contre, il faut rester au courant de ce qui se passe là-bas. Je ne pense pas qu'ouvrir un bureau dans la Silicon Valley apporte quelque chose.

Pour une start-up française, aller aux Etats-Unis, c'est le passage obligé?
C'est indispensable, mais dans un deuxième temps. Vous ne pouvez pas arriver là-bas et poser vos valises. On vous démasquera très rapidement. Il vaut mieux arriver là-bas avec un projet qui a commencé à faire ses preuves et qui compte déjà quelques clients.

C'est Internet qui devient la locomotive du capital-risque en France?
Ce ne sont pas forcément des projets liés à Internet. Internet est un facilitateur aussi pour les investisseurs pour se tenir informé et pour comparer les projets entre eux. Notre cible, ce n'est pas Internet uniquement, c'est le logiciel. On reçoit en ce moment trois dossiers par jour en moyenne sans avoir fait d'effort particulier pour cela. Sur ces trois dossiers, on peut dire qu'il y en a 2,5 en moyenne qui sont Internet et que sur ces 2,5, il y en a deux qui sont sur des sujets extrêmement récurrents, comme les sites communautaires professionnels. Il faut vraiment trier.

Combien de dossiers retiennent votre attention par semaine?
Un seul en moyenne sur lequel on va fouiller. Mais il ne faut pas que cela décourage les gens, car il y a beaucoup de dossiers qui ne sont pas crédibles du premier coup d'oeil. Le processus est très simple. Vous recevez un dossier, en cinq minutes vous vous dites, 'j'ai envie d'approfondir ou pas?'. C'est un métier où il y a une part d'intuitif qui est indéniable. Il faut considérer un dossier comme une courbe de Gauss, une partie à gauche négative "ça ne vaut pas la peine", et la partie de droite "j'ai envie de rencontrer ces gens-là". Ce qui compte ensuite, c'est plus l'entretien que le business plan

Investir dans des start-ups d'Internet, cela peut-être vite rentable?
Le monde du logiciel nécessite des financements réguliers qui sont là pour le développement d'un produit et pour son maketing là où, dans Internet, vous êtes obligé de mettre plus d'argent plus vite pour prendre un risque plus important, car vous pariez sur la part d'audience que vous allez faire. Il faut donc communiquer plus vite. Internet, c'est une logique d'audience. Quand vous faites du logiciel, il y a des premiers clients qui apportent leurs remarques, vous recherchez des partenaires de distribution... C'est très différent.

Le climat en France est-il plus propice aux start-ups?
Je pense que oui. La question, c'est qu'il reste un travail de terrain à faire, un travail "d'évangélisation" qui doit commencer à l'école maternelle, parce que le problème, c'est la mentalité des jeunes. Nous considérons que les gens qui doivent créer des boîtes sont des gens jeunes, dont la moyenne d'âge est de moins de 30 ans. Ce sont des jeunes qui doivent sortir des grandes écoles ou de l'université avec un état d'esprit plus dynamique. Il faut arrêter de penser que créer une entreprise, c'est dangereux et difficile. 'Si j'échoue, je vais traîner un boulet toute ma vie', telle est la mentalité française. On peut dire qu'aujourd'hui, on a senti une réactivité sur ces questions un peu plus importante du côté des écoles d'ingénieurs. Les capitaux risqueurs ont un réel devoir de pédagogie envers les jeunes, à condition d'avoir été eux-mêmes entrepreneurs. Il faut rester très pragmatique.

Les stock-options ne sont pas assez développées?
Il ne faut pas se braquer là-dessus. Il y a d'autres solutions pour intéresser les managers. Les choses sont en train de s'améliorer. Ce serait une erreur de dire que la création d'entreprises ne marche pas en France à cause des stocks options. Là où le problème existe, c'est quand vous voulez faire entrer dans une start-up une personne expérimentée qui ne fait pas partie des fondateurs. Il ne pourra pas bénéficier d'un même niveau de salaire que dans une grande entreprise. Là, le problème des stock-options est plus ennuyeux.

La fiscalité est-elle le frein principal à la création d'entreprises?
Non. C'est très facile de fonder une entreprise. Il y aura toujours trop de fiscalité et trop de démarches administratives à faire, mais ce ne sont pas des raisons suffisantes pour que lorsque vous avez une bonne idée, vous ne la mettiez pas en oeuvre. Ce n'est qu'un problème de mentalité. Il ne faut pas trouver de fausses raisons pour ne pas créer son entreprise. Le problème des entrepreneurs en France, c'est qu'ils se positionnent au sens francophone du mot entrepreneur, c'est à dire "artisanal". Le travers français, c'est 'on se lance, on essaye de tout d'apprendre, de tout comprendre et de lire plein de livres'. Il faut raisonner différemment, savoir faire appel à des professionnels, comme à un avocat pour créer une entreprise et à un expert-comptable. Créer une SARL prend deux jours. C'est pourquoi un fond d'amorçage peut faire gagner du temps et apporter de la valeur ajouté. A notre époque, soit on décide d'aller vite, soit on ne fait rien.

Que pensez-vous du capital-risque en France?
C 'est un métier dans lequel il y a eu trop longtemps un paysage figé dans lequel les acteurs se connaissent tous et n'ont pas forcément envie de voir arriver d'autres confrères. Au niveau des fonds importants, il y aura relativement peu d'évolution. Là où les choses vont changer, c'est de l'autre côté du paysage, vers les "business angels". Les personnes qui ont réussi dans l'entreprise sont nombreux en France et ils ne viennent pas tous de l'informatique. C'est au travers de fonds comme le nôtre qu'on essaye de les faire participer à cette mouvance. Le capital risque dans deux ans, ce sont des gros fonds comme ceux d'aujourd'hui, mais encore plus gros, et un nombre important d'investisseurs privés.

Que pensez vous du développement de fonds de capital-risque de la part de grandes entreprises françaises?
Je pense que cela peut-être une bonne chose. Dans les faits, on ne les rencontre pas vraiment sur le terrain. Pour un entrepreneur , il me semble très important d'évaluer le degré d'indépendance d'un fond. Quant on est financé par un grand groupe, on ne peut être complétement indépendant par rapport à la strategie de celui-ci, car ces fonds ont une valeur d'observatoire pour les groupes. En pratique, cela peut même brider le développement de l'entreprise. Les entrepreneurs doivent bien se poser la question. Les "business angels" savent décider vite. Nous, on se décide sur un dossier en trois semaines. Cette rapidité d'exécution, on la trouve rarement du côté des institutionnels et des grands groupes

Votre site d'information préféré?
Je consulte tous les jours un site américain sur l'univers des start-ups, Redherring.com. C'est le site que je regarde le plus. Et Sytadin pour les informations du périphérique parisien (rires).

Qu'aimez-vous sur le Net ?
C'est le contenu qui est le plus important, sans aucun doute.

Que détestez-vous sur le Net?
Les "java script error" et le rédactionnel bâclé.

Vous achetez sur Internet?
Bien sûr, j'ai déjà acheté des livres sur Amazon, des jeux vidéos, des fleurs, de l'électroménager, du logiciel, des tickets cinéma et même du café. J'ai même réservé mes vacances sur le site d'une petite agence immobilière du Vaucluse.

Régis Saleur, 32 ans, Centralien, a démarré dans le secteur des assurances. Pendant quatre ans , il a été directeur du développement, puis directeur marketing chez SOCS, une entreprise d'informatique. Après un passage chez Coopers & Lybrand à Paris et la création de son propre cabinet de conseil, Millenium Consulting, Regis Saleur a participé à la création de Seeft Ventures en 1998. Il en est le directeur général.

Seeft Ventures:

Date de création