Interviews

Eric Tong Cuong
Président

Euro RSCG BETC


Eric Tong Cuong est président d'Euro RSCG BETC (Réseau Euro RSCG, premier groupe européen et cinquième mondial, filiale d'Havas Advertising), ainsi que de son entité multimédia BETCI. Son agence, créée en septembre 1998, monte en puissance. BETCI a notamment gagné trois prix sur sept au concours de publicité sur Internet Stratégies/Web 66/Real Media. Il annonce 10 millions de francs de marge brute cette année.

Propos recueillis par Rémi Carlioz le 05 octobre 1999 .

JDNet : Pouvez-vous nous présenter rapidement votre activité interactive?
Eric Tong Cuong : On a démarré cette activité il y a trois ans environ, après une phase de communication au sein de l'agence (intranet, documentation en ligne etc.). L'agence BETCI en elle-même date de sptembre 1998. Ce qui est important, c'est de démarrer après que le corps social a digéré tout ça chez nous. On a alors commencé à engager des gens dont la vocation n'est pas de faire, mais de penser les sites.

Sur quels budgets travaillez-vous ?
Dans le domaine de la publicité en ligne, pour AOL, BOL, Vichy, Cachous Lajaunie et Hollywood Chewing-gum. Pour la conception et la réalisation de sites, pour Hollywood, Vichy, l'extranet Peugeot Régions et, en cours de réalisation, Kraft Jacobs Suchard. Nous sommes également conseil en communication interactive de la RATP et de BOL.

Quelle est votre votre valeur ajoutée par rapport à d'autres prestataires ?
Nous avons une approche spécifique. Notre métier fait que nous avons la connaissance profonde des marques. Plus la vision des médias: est-ce que c'est intéressant, vraiment, ou bien ce que l'on met en ligne n'intéresse personne? On a vu des boîtes mettre en ligne leur plaquette que personne ne lisait à la base. D'accord sur le Net, c'est moins cher que d'imprimer des millions de plaquettes papier. Mais quel intérêt, quelle rentabilité? Nous, on mise sur le fait que le contenu va remplacer le pognon. D'accord l'espace est infini, mais quand même cela ne veut pas dire qu'on n'a pas obligation de faire court. Par rapport à des "web agencies" classiques, nous on réfléchit en amont, en éditeurs.

Et votre évolution comme prestataire web ?
Chez nous, on verra. Pour les films de pub, c'est pareil. Je ne travaille pas toujours avec le même réalisateur. Je prends le réalisateur qui correspond le mieux à l'instant "t" à ce que je veux faire pour le produit ou la marque en question. Pour le net idem. Il y a toujours des mecs dans leur garage avec un mac ou un PC qui sont plus compétitifs, et je ne me positionne pas là-dessus. Donc moi je ne suis pas compétitif en production pure, là où il faut que je paye des droits, des salaires, des charges sociales, vous voyez? Pour l'instant je profite du marché, tel qu'il est aujourd'hui, ensuite nous verrons si on se rapproche d'une boîte de production, ou si l'on conserve notre système ouvert.

Et votre analyse du degré de maturation du marché français, chez vos clients?
Souvent, Internet n'est pas un sujet "concernant" pour le management. Quand on traite avec un client, on peut, en face de soi, avoir un chef de produit. Ce que je dis n'est pas dévalorisant pour les chefs de produit, mais nous, on cherche à faire remonter le niveau d'implication au niveau de la direction générale. Aujourd'hui le Net en est au niveau de la réclame il y a trente ou quarante ans, lorsqu'on se battait pour des bouts de chandelle. C'est la même chose aujourd'hui, avec très peu de conception en amont, celle que nous cherchons à apporter. Nous faisons des sites avec une approche plus lourde. Regardez le premier site Chanel que nous avons fait avec Connectworld. Maintenant je ferais tout autre chose.

C'est-à-dire?
Chez les clients parfois on entend des discours du style "c'est magique". C'est magique ce que vous arrivez à faire. Moi je ne suis pas du tout fasciné. S'ils avaient à faire traduire un texte en chinois ou en javanais, ils feraient appel à un traducteur de chinois ou de javanais. C'est pareil. Là ils font appel à un traducteur technologique. Ce n'est pas magique, c'est une traduction technologique. Si le texte est mauvais à la base, il le sera aussi en chinois ou en javanais.
La question majeure c'est la qualité du récit, pas de la langue.

Havas compte d'autres prestataires, tels que Connectworld. Comment se répartissent les t’ches? Nous pouvons être en compétition sur les mêmes clients. Mais tout est ouvert, avec beaucoup de souplesse.

Comment se fait-il que vous interveniez sur des budgets advertising classiques, Peugeot par exemple, que vous ne suivez pas nécessairement sur le Net?
C'est une question de phases et de compétences qui ne s'acquièrent pas en trois minutes. La liberté est bonne pour le client. Evidemment je regrette de ne pas avoir fait le web de Peugeot.

Vous n'auriez pas fait la même chose que Connectworld ?
Ce n'est pas un jugement qualitatif, c'est une question de vision. Je n'ai pas la même. Il ne s'agit pas là de polémiquer, mais non, je n'aurais pas fait la même chose.

Quel est votre analyse de la publicité en ligne ?
J'ai été juré aux Clics d'or. Mais je dois vous dire que je n'ai pas vu un truc où je me suis dit "ouah, qui il y a derrière ça ?". On en est aux balbutiements, il n'y a pas encore d'écriture spéciale. Aujourd'hui, on en est à 4 ou 5 clics par site, pour des sites qui représentent 300 à 400 pages. Ca, donner l'envie de cliquer, c'est très publicitaire. Ce qu'on me dit me donne envie. Cette compétence qui suscite l'adhésion, on l'a. Pas la compétence de "profiler" les gens, de les fliquer, mais celle de susciter l'adhésion, oui.

Vous n'y croyez pas au "profilage" marketing des internautes ?
Il faut arrêter avec la fidélisation, tout ça, les cookies, les adresses mail, etc.. De toute façon, c'est plus facile de changer de Mac et de PC que de maison. Et les adresses les plus "coôteuses", celles des CSP ++, celles des plus beaux pigeons en fait, ce sont aussi celles de gens qui sont théoriquement les plus avertis, et qui changent le plus souvent d'adresse, de mac ou de PC. On va vers des surprises. Sans parler du côté abominable du flicage en série.

Quelles sont les "recettes" d'une bonne campagne ?
Là on rejoint la pub classique. Une bonne campagne, c'est pas des cookies, des matrices, de la valorisation boursière à mille francs l'adresse e-mail. Une bonne campagne? Vous parlez de quoi? Du taux de clics? Il faut distinguer. Il y a la promotion. Si sur un bandeau vous promettez une Mercedes, c'est beaucoup plus facile de faire cliquer que de travailler sur l'image de marque. Aujourd'hui, la pub en ligne c'est à plus de 50% de la promo. Donc je la sors du lot, car là c'est uniquement une question de taille du cadeau, pas plus.
Sur les autres campagnes, c'est comme pour les affiches. La surprise, la créativité. Les mêmes règles que pour une bonne campagne de pub, que pour faire une bonne affiche: faire sourire, mettre un peu de gaieté dans ce bordel pour l'instant bien triste.

Quels pièges faut-il selon vous éviter ?
Toujours les mêmes qu'en pub. Prenez n'importe quel bouquin sur les règles de la publicité classique:c'est mauvais quand c'est confus, quand il y a trop de messages différents. Il y a quatre ans, je suis allé voir DSW à San Francisco, l'agence d'Intel. Je les ai vus, ils étaient super contents de me montrer sur une pub un alinéa qui bougeait en me disant "regarde, ça bouge!". Et alors? Moi je ne suis pas bluffé. Plus globalement, je suis contre le prosélytisme à tout crin aussi, du genre "vous allez voir ce que vous allez voir !" ou "regardez ! de la télé sur le Net !". Il faut arrêter, on n'y est pas. Personne n'y est, quand il y a sept secondes de différence entre la voix et l'image.

Vous semblez énervé par cette fascination.
Non, mais aucune personne aujourd'hui n'est critique. En ligne c'est normal, mais même pas la presse écrite. Il ne s'agit pas de cracher sur qui que ce soit, mais d'être constructif, de réguler les sites.
Regardez, vous pensez que c'est un hasard? Dans la même semaine Vivendi annonce sa charte de confiance, et ils participent à une réunion de 200 entreprises qui annoncent qu'il ne faut pas réguler !

Comment expliquer la frilosité des annonceurs ? D'abord, donnez moi un business model aujourd'hui qui est profitable. Donnez moi ensuite un annonceur qui démarre à qui on peut promettre le leadership sur son créneau. Vous avez la réponse.

Vous n'avez globalement pas l'air convaincu par le commerce électronique d'aujourd'hui.
Pour l'instant non. Même Amazon, aujourd'hui ils doivent sortir de leur métier et vont vers la pharmacie ou vers n'importe quoi. Moi je vous dis que s'ils ne parviennent pas à être 25% moins chers que Tower Records, ils se promettent des lendemains difficiles.
Les courbes on les connaît, ce sont celles de la VPC.
Autre exemple, regardez NaÔve [l'entreprise "multiculturelle" de production discographique et d'édition de livres qu'il a fondée en 1997 avec Patrick Zelnik, ndlr], Patrick [Zelnik] et moi on a été démarchés par CD Now. Mais les sites c'est quoi aujourd'hui ? C'est un hypermarché avec une seule allée, dans laquelle on vous demande d'aller faire de la spéléo en rappel, et de vous y retrouver tout seul dans 600.000 références. Si c'est ça l'e-commerce de demain !
Bon d'accord, si pour NaÔve on dit banco, on met nos références chez CD Now. D'accord, mais on est noyés dans les 600.000 références, au fond de l'allée. Ils me disent, mais non, on a inventé un système génial. Leur système génial, c'est qu'ils ont réinventé la tête de gondole, sauf que là il n'y en a qu'une, et qu'on me demande de payer 10.000 dollars la semaine pour y être. Je suis contre, spécialement pour les produits culturels. Ce sera beaucoup plus dur que dans un hypermarché. Le bouche à oreille marche bien mieux.

Quel est votre site d'info favori ?
Je n'en ai pas. Je veux dire j'en ai énormément. Mes seuls bookmarks sont sur la musique, pour moi à titre personnel, je télécharge des trucs, des updates. Sinon on me forwarde plein de trucs, les gars du service multimédia me disent " va voir l'article de machin, c'est super!" "Va lire l'interview d'Alain Le Diberder"... Là, ça m'intéresse parce qu'on est en compétition sur Canal Plus. C'est toujours le bouche à oreille, et puis c'est le réseau de bons plans, les nénuphars.

Les nénuphars ?
Oui, vous mettez un nénuphar dans un étang, vous revenez trois mois après, il y en a des tonnes. C'est çà le networking. C'est les réseaux de mecs, de bons plans, c'est formidable, on réapprend à se rendre la politesse, on réapprend l'échange. C'est autre chose que les cookies, que d'être cookifié en permanence. Matrix n'est pas loin.

Cookifié ou cocufié ?
Oui c'est exactement ça, on est cocufié. Moi quand je fais de la pub je préviens: "Attention, c'est un écran de pub". Sur le Net, parfois on vous prévient, mais deux fois sur trois on ne vous dit rien. Sur les forums, ils absorbent je sais pas combien de milliers d'adresses à la minute sans vous demander votre avis.

Vous achetez sur le Net ?
Non, rien.

Pas de disques, de fleurs etc. ?
Non rien, juste un software parce que je ne pouvais pas faire autrement. Allez sur le site de Propellerheads.se, vous pouvez télécharger une démo qui s'appelle ReBirth, avec 2 boîtes à rythme. C'est super, vous pourrez épater vos copains et faire de la techno sur votre mac. Pour la musique, le Net c'est vraiment bien. Les musiciens avec qui je bosse sont à Brooklyn. Là on bosse en temps réel, c'est vraiment utile.

Qu'est-ce que vous aimez sur le Net ?
La musique. Naïve c'est le projet de toute ma vie, j'y ai mis toutes mes économies, c'est ma passion. Ce qu'on va essayer de faire avec le site de NaÔve c'est ça, un contenu éditorial un peu plus sympa. Et puis regardez, lorsque Patrick [Zelnik] voulait changer le rez-de-chaussée du Megastore, il devait faire gaffe à ce qu'aucune tuile ne tombe sur les clients, faire appel à des entrepreneurs, etc. C'est un peu compliqué et ça coôte cher. Là sur le Web, c'est quand même plus facile, plus libre.

Qu'est-ce que vous détestez sur Internet ?
Je crois que j'ai été clair non?

Vous détonnez un peu, non ?
Peut-être. Ma promotion à HEC en 1983, c'était "adieu Tintin". L'année d'après, en 1984, c'était "Vive les cadres". Là il y a du avoir un gap entre les générations, quelque chose qui m'a échappé.

Eric Tong Cuong, 37 ans, est président de Euro RSCG Babinet, Erra, Tong Cuong. Diplômé d'HEC (1983) et licencié en sociologie, il entre chez BDDP comme chef de produit en 1984, groupe dont il devient directeur général. Depuis 1994, il est président de Euro RSCG BETC. Il est administrateur de l'AACC (Association des agences conseil en communication). Il a été membre du jury de la 3ème édition des Clics d'or 1999.

Euro Rscg BETC et BETCI (I comme interactif) en chiffres

BETC

BETCI

Date de création
1994
septembre 1998
Effectifs
240
12
Marge brute
> 200 millions de francs
1999 > 10 millions de francs (prévisionnel)
Références
Peugeot, Danone, Kraft Jacobs Suchard, Air Frnace, BNP, RATP, Canal Plus, AOL, BOL, etc.
Hollywood Chewing-gum, Vichy, Extranet Peugeot Régions (sites), AOL, BOL, Vichy, Cachou Lajaunie, Hollywood (publicité en ligne)









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