Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Le
droit du mail
-
31 octobre 2000 -
Le
mail et la messagerie sont devenus pratique courante. On en
oublierait qu'ils reposent sur des règles de droit souvent
méconnues, parfois occultées.
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par
Eric Barbry, avocat au barreau de Paris, président
de Cyberlex
|
Dans
l'esprit du public, le mail est considéré comme un "message
privé" et, à ce titre, il échapperait aux règles de droits.
Qualifier le message électronique (mail) de correspondance
privée est pourtant un raccourci bien dangereux. Penser qu'il
pourrait exister une différence entre le fait de diffuser
la photographie d'Estelle Hallyday nue sur un site Web ou
par mail n'est sans doute pas fondé. De même, imaginer que
l'on puisse impunément échanger par mail des images pédophiles
ou des oeuvres de l'esprit est une grossière erreur.
La justice est aujourd'hui saisie
d'un certain nombre de litiges qui viendront préciser ce qu'est
" le droit du mail ", qu'il s'agisse de cet étudiant éconduit
dont on a lu les mails à son insu ou de ces employés qui pensaient
pouvoir utiliser librement la messagerie de l'entreprise pour
échanger des images pornographiques. Absence de jurisprudence
n'est pas absence de droit et il est important de bien comprendre
les enjeux de l'utilisation du mail et plus généralement du
déploiement d'un système de messagerie.
Le
caractère " privé " du mail ne couvre pas ce que le droit
interdit |
De nombreuses règles s'appliquent
et se combinent s'agissant du mail et en voici quelques exemples
:
- le mail n'est pas toujours de la correspondance privée.
En fonction du nombre de personnes visées (mailing ou spam
par exemple) le mail pourra être qualifié de communication
audiovisuelle et en cela être susceptible de répondre aux
obligations imposées par la loi du 30 septembre 1986 modifiée
par la loi du 1er août 2000. Avec une telle qualification
il ne serait plus possible d'alléguer le bénéfice de la loi
du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances
émises par voie de télécommunications ;
- le fait que le mail soit qualifié de correspondance
privée ne permet pas de faire ou de dire n'importe quoi.
Qu'il s'agisse de la contrefaçon, de la diffamation, ou de
l'envoi d'images pédophiles (sans que cette liste soit exhaustive)
le caractère " privé " du mail ne couvre pas ce que le droit
interdit ;
- le mail est souvent la seule
matérialisation d'une négociation "en ligne" ou d'un accord
conclu au détour d'un site Web ou d'une "marketplace". Il
est aussi très souvent admis comme matérialisant l'accord
de l'internaute. Il est enfin le lien que l'administration
entend privilégier dans sa relation avec le cyberadministré.
Or le mail n'est pas sécurisé ou si peu. Malgré l'adoption
de la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la
preuve aux technologies de l'information et relative à la
signature électronique, le mail n'est toujours pas, en tant
que tel, recevable à titre de preuve. Il ne répond pas aux
critères de la loi en ce qu'il n'identifie que très rarement
ou mal "celui dont il émane" et n'est que très rarement stocké
dans des conditions de nature à garantir son "intégrité".
Il est donc primordial pour les entreprises (s'agissant de
messageries internes) ou pour les sites marchands de penser
à la sécurité et à la fiabilité des messages échangés. Certaines
solutions existent qui permettent de garantir non seulement
l'identité des personnes mais aussi d'autres impératifs tels
que l'authentification, l'intégrité, la confidentialité, la
non répudiation, le re-jeu, la cinématique et la datation.
Il convient par ailleurs
de rappeler que la loi du 13 mars 2000 admet la validité des
conventions de preuves et que l'on doit s'interroger dans
chaque contrat sur la nécessité d'intégrer dans un tel dispositif
le mail à titre de preuve.
Le
nécessité de bien définir les "règles
du jeu" pour les utilisateurs |
- le mail est aussi très (trop)
souvent utilisé comme vecteur marketing sous la forme
de "mailing list", de "newsletter", de "mail push sollicité"
ou encore de "spamming". Là encore, croire que cette forme
de publicité échappe au droit serait une folie. Il suffit
pour s'en convaincre d'apprécier les dispositions de la Directive
du 8 juin 2000 mais aussi ceux du BVP pour comprendre que
le spamming n'est pas hors du champ de la loi.
- le déploiement d'un système
de messagerie, en interne comme dans le cadre d'un extranet
ou d'une plate-forme de marché nécessite que soient biens
définies les "règles du jeu" pour leurs utilisateurs. Si la
question se règle plus aisément entre partenaires commerciaux,
elle est plus délicate à mettre en uvre dans le cadre d'un
déploiement interne dès lors que ces règles du jeu peuvent
affecter le règlement intérieur de l'entreprise. Là encore,
des précautions devront être prises en compte au travers d'une
série d'actes comme les chartes Intranet/Extranet, les guides
et autres livrets de procédures. Tout défaut dans le déploiement
juridique de ce type de service exclut ipso facto la capacité
pour le chef d'entreprise d'apprécier le travail de ses employés
et le bon usage qu'ils font de l'outil de travail qui leur
est confié.
- l'utilisation du mail est
généralement combinée à la gestion de bases de données nominatives
ou indirectement nominatives. Dès lors, il sera fait application
de la loi informatique et libertés qui impose trois règles
de bases : la déclaration des fichiers, une communication
à l'attention des personnes listées et des contraintes techniques
en matière de sécurité.
- le mail pose enfin le problème
crucial de l'anonymat. Peut-on refuser l'accès à un site
aux internautes qui utilisent une adresse mail anonyme et
qui est responsable d'un mail anonyme sont autant de questions
dont nos juridictions auront à connaître. La France est aujourd'hui
le premier ou l'un des premiers consommateurs de mails et
de déploiement de messagerie et ne peut donc se passer d'une
réflexion d'ensemble quant au "droit du mail", tout en intégrant
dans sa réflexion la dimension internationale de l'échange.
A défaut de règles spécifiques
il revient aux utilisateurs et principalement aux entreprises
de :
- déclarer sa messagerie
- définir les règles d'usage
du mail ou de la messagerie
- opter pour une solution technique
sécurisante et rassurante;
- organiser sur un plan juridique
le déploiement de tels services.
[ebarbry@club-internet.fr]
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