Rubrique Juridique

Chaque semaine, gros plan sur la loi et l'Internet

Les leçons du jugement Yahoo
- 28 novembre 2000 -

La décision de la justice dans l'affaire Yahoo est riche en leçons. Au-delà, la question fondamentale qui reste posée est celle du droit applicable à l'Internet et aux sites, portails et autres market-places qui constituent le réseau.

par Eric Barbry, avocat au barreau de Paris, président de Cyberlex

Nulle décision n'aura été aussi attendue ou redoutée, et ce même outre-Atlantique... Les effets sur le cours de l'action de la société Yahoo Inc sont là pour en témoigner. L'affaire oppose depuis plusieurs mois maintenant la LICRA (Ligue contre le racisme et l'antisémitisme), l'UEJF (l'Union des Etudiants juifs de France) et le MRAP à la société Yahoo Inc, société de droit américain dont le siège est situé en Californie et la société Yahoo France. Les premiers reprochaient aux seconds de proposer "à tous les internautes" une page dite "auction" de vente aux enchères proposant un millier d'objets nazis, fait réprimé au titre de l'article R 645-2 du code pénal français. Cet article dispose que " le fait, dans une zone d'interdiction fixée par l'autorité militaire et faisant l'objet d'une signalisation particulière, d'effectuer, sans l'autorisation de cette autorité, des dessins, levés ou des enregistrements d'images, de sons ou de signaux de toute nature est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe (...)".

Par décision du 22 mai 2000, le Président du tribunal de grande instance de Paris, saisi en référé, avait déjà considéré que "la vente d'objets nazis constitue une contravention à la loi française mais plus encore à une offense à la mémoire collective du pays profondément meurtri par les atrocités commises par et au nom de l'entreprise criminelle nazie à l'encontre de ses ressortissants et surtout à l'encontre de ses ressortissants de confession juive".

Ce constat fait, le Président avait alors ordonné à Yahoo Inc "de prendre toutes les mesures de nature à dissuader et à rendre impossible sur Yahoo.com toute consultation du service de vente aux enchères d'objets nazis et de tout autre site ou service qui constituent une apologie du nazisme en une contestation des crimes nazis" et à Yahoo France de "prévenir tout internaute consultant Yahoo.fr et ce, dès avant même qu'il fasse usage du lien lui permettant de poursuivre ses recherches sur Yahoo.com, que si le résultat de sa recherche soit à partir d'une arborescence, soit à partir de mots clés l'amène à pointer sur des sites, des pages ou des forums dont le titre et/ou les contenus constituent une infraction à la loi française, ainsi en est-il de la consultation de sites faisant l'apologie du nazisme et/ou exhibant des uniformes, des insignes, des emblèmes rappelant ceux qui ont été portés ou exhibés par les nazis, ou offrant à la vente des objets et ouvrages dont la vente est strictement interdite en France, il doit interrompre la consultation du site concerné sauf à encourir les sanctions prévues par la législation française ou répondre à des actions initiées à son encontre".

Le Président Gomez avait renvoyé la poursuite de l'audience au 24 juillet, délai qui devait permettre à Yahoo Inc d'exposer les mesures qu'elle entendait prendre pour satisfaire l'ordonnance. A cette audience, Yahoo Inc ayant indiqué qu'elle n'était pas en mesure de satisfaire les termes de l'ordonnance, le Président devait missionner un collège d'experts aux fins de préciser les mesures qui pourraient être prises. La décision du 20 novembre fait suite aux conclusions rendues par lesdits experts.

Les quatre leçons à retenir

En substance, on retiendra des conclusions du collège d'expert que le contrôle d'origine de l'internaute peut être mise en œuvre :
- par une analyse automatique et systématique des adresses IP des zones gérées par les ISP Français ;
- pour les internautes dont l'adresse IP ne peut être identifiée comme relevant d'un ISP français, par une "déclaration de nationalité" en ligne de l'internaute ;
- par l'analyse de l'adresse de livraison du "produit" acheté sur le service de vente aux enchères.

Sur la base de ces informations, le Président devait confirmer les termes de son ordonnance du 22 mai et imposer à Yahoo Inc d'y répondre dans les trois mois sous astreinte de 100.000 francs par jour de retard.

De cette décision on retiendra notamment :
1. Que le juge français, tout comme n'importe quel juge national devrait-on dire, peut se déclarer compétent pour connaître d'une situation dès lors qu'elle comporte un élément de rattachement avec l'ordre juridique qui est le sien. L'ordonnance du 22 mai précisait déjà que "en permettant la visualisation en France de ces objets et la participation éventuelle d'un internaute installé en France à une telle exposition-vente, Yahoo Inc commet donc une faute sur le territoire français..." et "attendu que le dommage est subi en France, notre juridiction est compétente pour connaître du présent litige en application de l'article 46 du nouveau code de procédure civile", article 46 qui précise notamment que "le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur : (...) - en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi".

2. Que cette compétence du juge existe indépendamment du fait que la décision puisse être exécutée dans un autre pays. Le juge précise sur ce point que "les éventuelles difficultés d'exécution de notre décision sur le territoire des Etats Unis, invoquées par Yahoo Inc ne sauraient fonder à elles seules une exception d'incompétence".

3. Qu'il semble que le fait que Yahoo Inc utilise l'identification géographique des adresses IP des internautes visiteurs pour leur diffuser des publicités en langue française ait été pour une grande part dans la décision rendue. Le Président souligne par ailleurs que si Yahoo a pris soin d'interdire sur son site la vente aux enchères d'organes humains, de drogue, d'ouvrages et d'objets en rapport avec la pédophilie, de cigarettes..., elle doit pouvoir en faire de même de la vente d'objets nazis en précisant qu'une "telle initiative aurait le mérite de satisfaire à une exigence éthique et morale que partagent toutes les sociétés démocratiques".

4. Qu'enfin le fait qu'un contrôle de l'internet soit perfectible ne doit pas induire une absence de contrôle.

Conclusion toute provisoire...

Au delà de la décision qui emporte des jugements parfois subjectifs, dont il faut se garder, la question fondamentale qui reste posée est celle du droit applicable à l'Internet et aux sites, portails et autres market place qui constituent le réseau. Il conviendra donc de s'intéresser rapidement à un éventuel "droit du site" ou "du public cible" du site pour une application du droit applicable qui ne soit pas systématiquement celle du "pays d'émission" ou par opposition celle du "pays de réception".

Il nous faudra également nous appesantir sur les conséquences d'éventuelles fausses "déclarations de nationalité" en ligne dont personne ne peut véritablement mesurer les effets. Il nous faudra aussi étudier les conditions d'une éventuelle exéquatur de la décision sur le sol américain.

D'autre part, et c'est certainement un autre point très important, la décision impose une nouvelle légitimité aux "cookies". Hier encore, simple outils techniques au service du marketing et du profiling, les cookies pourrait aujourd'hui vernir au secours de Yahoo Inc et devenir un outil au service du droit. En effet, les experts précisent que l'utilisation des cookies, véritiable mémoire de l'internaute, pourrait permettre à celui-ci de s'exonérer de la déclaration de nationalité à chacun de ses passages sur le site Yahoo Inc.

[ebarbry@club-internet.fr]

A lire également :

Tous les articles de la rubrique juridique


Au sommaire de l'actualité

 

Dossiers

Marketing viral

Comment transformer l'internaute en vecteur de promotion ? Dossier

Ergonomie

Meilleures pratiques et analyses de sites. Dossier

Annuaires

Sociétés high-tech

Plus de 10 000 entreprises de l'Internet et des NTIC. Dossier

Prestataires

Plus de 5 500 prestataires dans les NTIC. Dossier

Tous les annuaires