Rubrique Juridique

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Droit des marques
et liberté d'expression sur internet :
retour sur l'affaire "jeboycottedanone.com"
- Mardi 12 juin 20001 -

L'affaire Danone met en avant une question fondamentale: l'utilisation d'une marque, fut-elle notoire, dans le contenu éditorial d'un site, et à des fins non commerciales, est-elle constitutive d'une contrefaçon?

par Etienne Papin,
Avocat à la Cour
Cabinet Salans Hertzfeld & Heilbronn.

Le groupe Danone ayant décidé de procéder à la fermeture de différents sites de production, Olivier Malnuit a pris l'initiative de créer un site Web ayant pour objet de faire connaître, sur un mode polémique, son opinion à ce sujet. La création de ce site s'accompagnait du dépôt du nom de domaine "jeboycottedanone.com" et de l'utilisation, dans les pages du site de la marque figurative "Danone", quelque peu modifiée. L'ouverture de ce site allait provoquer la réaction du groupe Danone, qui choisissait le terrain du droit des marques pour engager le débat judiciaire avec l'auteur du site. Constatant la reproduction de la marque Danone, tant dans le nom de domaine que sur la page d'accueil du site Web, le groupe demandait principalement au juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris de déclarer M. Malnuit responsable de la contrefaçon de sa marque.

Le juge allait partiellement faire droit aux demandes de Danone, dans une ordonnance du 23 avril dernier. S'agissant de l'utilisation d'une marque déposée dans le nom de domaine "jeboycottedanone.com", le tribunal considérait que "l'utilisation du terme 'danone' (…) associé au terme très explicite 'jeboycotte' ne [pouvait] conduire, dans l'esprit du public à aucune confusion quant à l'origine du service affecté pour ce no ". En conséquence, la contrefaçon de la marque Danone par son inclusion dans le nom de domaine "jeboycottedanone.com" n'était pas constituée. Déposée dans de nombreuses classes, la marque Danone l'est également dans la classe 38 "Télécommunications". Pour conclure ou non à l'existence d'une contrefaçon, le juge doit s'interroger sur le point de savoir si la reproduction litigieuse de la marque, dans le nom de domaine, se rattache à des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée

Qu'en était-il en l'espèce? Deux approches étaient susceptibles d'être retenues par le juge pour rechercher une éventuelle contrefaçon. Les deux conduisent selon nous à une impasse. On peut d'abord considérer que le dépôt vise le service fourni par l'intermédiaire du site Web. Dans l'exemple de Danone, on imagine qu'il s'agira d'un site informationnel sur le groupe du même nom. Il est alors clair que le contenu du site "jeboycottedanone.com" est différent. Il n'y a donc pas contrefaçon. C'est ce qu'a considéré le juge. Si l'on considère que par l'acte de dépôt dans la classe 38, la société Danone s'est réservée l'utilisation du vocable Danone pour désigner un site Web de façon générale, quel qu'en soit le contenu, cette logique aurait dû conduire à admettre la contrefaçon, l'adjonction des termes "jeboycotte" ne permettant pas de faire perdre à la reproduction de la marque son caractère contrefaisant.

On sera surpris de la différence de traitement qu'opère le juge entre la marque verbale et la marque figurative.

Deux logiques, deux solutions inverses. Cette contradiction illustre à notre sens le fait que le droit des marques n'est pas invoqué à bon escient pour trancher ce type de litige. Il ne s'agissait pas en effet pour le juge de résoudre ici un problème devenu classique de "cybersquatting" mais de rendre compte de l'utilisation détournée d'une marque comme nom de domaine dans un but polémique, problème pour lequel le droit des marques nous semble inadapté. La suite de la décision le confirme.

Se prononçant sur le point de savoir si le détournement du logo Danone et sa reproduction dans les pages du site Web litigieux constituait une contrefaçon de la marque figurative Danone, le juge conclut cette fois ci par l'affirmative au motif qu'une "telle référence n'est nullement indispensable à l'objectif allégué par le défendeur". On sera surpris de la différence de traitement qu'opère le juge entre la marque verbale et la marque figurative. La reproduction de la marque dans un but non commercial ne créait pourtant aucun risque de confusion dans l'esprit du public, tout comme le juge l'avait relevé s'agissant du nom de domaine.

Cette affaire met en avant une question fondamentale : l'utilisation d'une marque, fut-elle notoire, dans le contenu éditorial d'un site Web, et à des fins non commerciales, est-elle constitutive d'une contrefaçon? La liberté d'expression n'impose-t-elle pas que le droit de propriété sur une marque cède le pas devant la nécessité que peut avoir tout à chacun de reproduire une marque pour s'exprimer?

Cet argument fut soulevé par le réseau Voltaire. Ayant repris l'hébergement du site litigieux à l'adresse "jeboycottedanone.net", celui-ci fut à son tour assigné en contrefaçon de marque par le groupe Danone. Dans une ordonnance du 14 mai 2001, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré que "le recours à la reproduction des marques semi-figuratives Danone [excédait] les besoins de la liberté d'expression".

On peut s'interroger sur le bien fondé d'une telle décision. En effet, ne pas reconnaître l'existence d'une contrefaçon dans une telle hypothèse n'exonère pas pour autant l'auteur de la reproduction d'avoir à répondre d'un éventuel abus dans l'exercice de sa liberté d'expression. Car la question fondamentale que le juge aurait dû avoir à trancher était bien de savoir si l'auteur du site "jeboycottedanone.com" avait dépassé les limites de sa liberté d'expression. Mais c'est sur le terrain de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, avec ses règles procédurales particulières, qu'il conviendrait d'en débattre.

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