Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
La
géométrie des liens hypertextes
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Mardi 4 septembre 2001 -
De l'analyse de la jurisprudence on peut parler d'une véritable
"géométrie" des liens hypertextes. On parle en effet de lien
"simple" ou "profond", vers l'extérieur ou l'intérieur, avec
ou sans framing, etc... Pour corser le tout, l'on opère une
distinction entre les problématiques civiles ou pénales relatives
à la mise en place d'un lien.
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par
Eric Barbry, Directeur du Département Internet, Alain
Bensoussan-Avocats
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Le
droit des liens hypertextes se construit en dehors de toute
règle légale spécifique. Il ne semble pas d'ailleurs que ce
"manque" soit destiné à être comblé puisque le projet LSI
ne dit mot sur ce sujet délicat. A l'heure actuelle, deux
textes évoquent la notion de "liens hypertextes" : la directive
2000/31 CE du 8 juin 2000 dite Directive sur le commerce électronique
et la recommandation 2000-02 de la Commission des Opérations
de Bourse.
La directive
2000/31 CE précise dans son article 21, qu'avant le 17 juillet
2003, la Commission est tenue de présenter un rapport sur
les éventuelles évolutions à apporter au texte même de la
directive et que "ce rapport, en examinant la nécessité d'adapter
la présente directive, analyse en particulier la nécessité
de présenter des propositions relatives à la responsabilité
des fournisseurs de liens d'hypertexte et de services de moteur
de recherche, les procédures de notification et de retrait
(notice and take down) et l'imputation de la responsabilité
après le retrait du contenu
". Certes la Directive évoque
la notion de liens hypertextes mais en réalité il s'agit là
de traiter surtout et avant tout des problématiques juridiques
posées par la spécificité des liens hypertextes établis par
ou au sein des outils de recherche.
La Commission
des Opérations de Bourse qui a coutume de proposer des textes
toujours en avance sur le reste de la réglementation précise
dans sa recommandation 2000-02 à propos des liens hypertextes,
que "les liens hypertextes doivent porter la mention de la
société vers laquelle ils pointent, et que, sous certaines
conditions, le renvoi au moyen de ces liens peut être analysé
comme une activité de démarchage en vue d'opérations sur les
valeurs mobilières, pratique qui est susceptible d'être pénalement
sanctionnée en application de la loi du 28 mars 1885 ou de
la loi du 3 janvier 1972".
Il faut
enfin évoquer la nétiquette tout en sachant que si la jurisprudence
lui reconnaît une certaine valeur, celle-ci reste limitée
faute de sanctions.
Pour ce
qui concerne les liens hypertextes établis au sein d'un site,
d'un portail ou d'une market place, c'est donc par l'étude
de la jurisprudence et les réflexions de la doctrine que l'on
peut définir les quelques règles qui fondent aujourd'hui "le
droit des liens". La doctrine n'est pas pour nous aider qui
oscille entre deux écoles: celle qui considère que le lien
hypertexte est de l'essence même de l'internet et que sauf
opposition formelle de la part de l'éditeur d'un site Web
le lien serait pas nature "licite" ; celle qui considère que
sauf accord préalable le lien serait illicite au motif qu'il
serait constitutif d'une contrefaçon de droit d'auteur ou
d'une concurrence déloyale.
De l'analyse
de la jurisprudence on peut parler d'une véritable "géométrie"
des liens hypertextes. On parle en effet de lien "simple"
ou "profond", de lien vers l'extérieur (outlinking) ou l'intérieur
(inlinking), de lien avec ou sans framing (cadrage), de site
"source" et de site "cible" et, pour corser le tout, l'on
opère une distinction entre les problématiques civiles ou
pénales relatives à la mise en place d'un lien hypertexte.
Sur le plan pénal, le Tribunal correctionnel d'Epinal est
venu préciser le 24 octobre 2000 que l'établissement d'un
lien pouvait engager la responsabilité pénale de son auteur.
En l'espèce, le fait pour l'éditeur d'un site Web d'établir
des liens hypertextes en direction de fichiers MP3 a été considéré
comme constitutif d'une mise à disposition de contenus illicites
(contrefaçon).
A l'inverse
l'usage d'un lien peut s'avérer utile. Tel fut le cas dans
une affaire qui opposait en 1998 le ministère public à Serge
July au motif de la diffusion sur le site du journal Libération
de sondages alors même qu'en période électorale, leur publication
ou leur diffusion était interdite. En l'espèce le Tribunal
correctionnel de Paris devait préciser : "il résulte de l'enquête
préliminaire et des explications des parties, que les sondages
litigieux n'ont pas directement figuré sur le site de Libération
ouvert en France, puisque ce média s'est contenté de donner
aux internautes les moyens de prendre connaissance du contenu
des sondages sur un site à l'étranger". Cette affaire peut
paraître inverse à la précédente mais elle semble motivée
par la formule suivante du Tribunal. "Or, comme l'a fait remarquer
le ministère public, ce n'est pas la prise de connaissance
de sondages qui est interdite par la loi, mais la seule publication
ou diffusion ; il ne saurait y avoir de complicité d'un acte
non incriminé par la loi pénale
"
Sur une
plan civil, la jurisprudence ne semble pas encore avoir trouvé
sa voie. Rares sont les décisions rendues en cette matière.
Il est vrai que la plupart des décisions sont obtenues en
la forme des référés et que les magistrats considèrent généralement
que le débat sur la légalité ou non des liens est une question
de fond. Ainsi le Tribunal de Grande Instance de Nanterre
devait-il rappeler le 11 décembre 2000 que "les liens hypertextes
sont les éléments essentiels de l'Internet auxquels ils confèrent
son interactivité et sa richesse. Leur emploi est général
; la reconnaissance de leur caractère contrefaisant est à
l'évidence une question de fond dont l'appréciation relève
du juge de droit commun".
Récemment
la Cour d'appel de Paris s'est penchée sur la question. Dans
une affaire dans laquelle une société reprochait à une autre,
l'établissement de liens hypertextes, le Tribunal de Commerce
avait tout d'abord considéré que "si la société K soutient,
que rien n'impose en droit, l'obligation de prévenir le propriétaire
d'un site Internet ou d'obtenir son autorisation préalable,
avant d'établir un lien hypertexte vers le dit site Internet,
ci-après, le site cible, les dispositions de l'article L 122-4
du Code de la propriété intellectuelle, condamne le fait de
représenter une uvre sans le consentement de son auteur et
ce même article en son alinéa 1, confère un droit moral inaliénable
et imprescriptible. Que par ailleurs, le bon usage des possibilités
offertes par le réseau Internet, commanderait, pour le moins,
de prévenir le propriétaire du site cible. Que si la pratique
des liens hypertextes peut favoriser le développement du réseau
Internet, c'est à la condition sine qua non du respect incontournable
des lois et règlements qui régissent le droit de la propriété
intellectuelle. Attendu que s'il est admis que l'établissement
de liens hypertextes simples est censé avoir été implicitement
autorisé par tout opérateur de site Web, il n'en va pas de
même pour ce qui concerne les liens dits profonds et qui renvoient
directement aux pages secondaires d'un site cible, sans passer
par sa page d'accueil
". Pour sa part, la cour d'appel fondant
son analyse sur la légitimité des moteurs de recherche devait
réviser le jugement de première instance en précisant que
le site source est un moteur de recherche sur Internet "qui
interroge les sites ouverts au public et recherche les informations
permettant d'accélérer et de diriger les recherches des internautes
qui s'adressent à elle". La cour rappelle cependant, et cela
mérite d'être souligné, que l'internaute qui est ainsi redirigé
"est averti par une page qui s'affiche pour l'en informer,
pendant le temps nécessaire à cette nouvelle connexion".
De la
définition même des liens hypertextes donnée par la Commission
Beaussant, seule définition "officielle" de la notion d'hyperlien,
on retient quelle est "un mécanisme de référence localisé
dans, ou produit par, un contenu (source) permettant d'accéder
directement à un autre contenu (cible) quelque soit sa localisation
au sein du réseau Internet", on comprend bien qu'il s'agit
d'accéder ou d'utiliser par principe le contenu (cible) d'un
autre. Qu'à ce seul titre le droit de la propriété devrait
s'appliquer et que nul de devrait pouvoir établir un lien
sans l'autorisation du site cible. Ceci est d'autant plus
vrai que les liens hypertextes ont aujourd'hui une véritable
valeur marchande et sont l'un des éléments de la net-économie
(rémunération du lien dans le contrat d'affiliation, valorisation
du lien avec le outils de recherche, valeur d'un site en fonction
du nombre de liens, valorisation d'un lien dans un contrat
d'échange de liens,
). La mise en place d'un site Web, de
type framing ou qui utiliserait le logo ou la marque du site
cible emporte indiscutablement un problème de propriété intellectuelle
(droit d'auteur/propriété industrielle). Enfin, le fait de
supporter un lien (en tant que site cible) peut s'avérer extrêmement
préjudiciable lorsque le site "source" diffuse des contenus
illicites.
Même si
la jurisprudence n'est pas encore figée on peut en retenir
que :
1. l'éditeur d'un site Web qui souhaite refuser ou limiter
le nombre de liens sur son site Web (c'est à dire empêcher
ce que l'on appelle les liens sauvages) à tout intérêt a afficher
fort et clair ses intentions ;
2. le fait de n'avoir pas prévu de mention exprès n'empêche
pas l'éditeur cible de demander la suppression de tout référencement
le concernant ;
3. le fait d'établir un lien risque d'engager la responsabilité
de celui qui le réalise aussi bien sur un plan pénal que sur
un plan civil. Le lien s'il ne constitue pas toujours en lui
même un acte interdit peut être qualifié d'incitation. La
sécurité juridique de l'éditeur passe ici par la diffusion
de disclaimers mais aussi par la mise en place d'une charte
interne d'hyperliens qui permet de définir pour tous ceux
qui sont susceptibles d'en établir, les conditions permettant
de créer un lien vers un site extérieur ;
4. Il est prudent, sinon impératif, de demander l'autorisation
du site listé et d'obtenir un accord formel. Suivant son importance
le lien fera l'objet d'un contrat mais il fera le plus souvent
l'objet d'un échange de courriers électroniques ;
5. L'autorisation permet non seulement de prouver l'autorisation
donnée mais peut aussi permettre de gérer ou d'aménager la
responsabilité à l'égard des tiers (garantie en cas de recours
d'un tiers).
6. Enfin en tout état de cause le site source qui établit
un lien, doit indiquer de manière claire qu'il redirige les
internautes sur un site tiers.
N'oublions
pas enfin que le lien hypertexte peut parfois être ordonné
par le juge dans le cadre des décisions qu'il est amené à
prendre et que s'agissant spécifiquement des contentieux de
l'Internet, cette pratique tend à se généraliser et se substituer
aux traditionnelles publications.
[eric-barbry@alain-bensoussan.tm.fr]
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