Rubrique Juridique

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La rupture abusive de pourparlers portant sur la technologie
- Mercredi 12 septembre 2001 -

Le non aboutissement d'une négociation en vue de la conclusion d'un contrat et la rupture des échanges peut engendrer la responsabilité d'une des deux entreprises.

par Olivier Iteanu, avocat.

Il est une idée générale qui est fausse. Celle de croire que deux entreprises ne sont tenues à être loyales l'une envers l'autre que dès l'instant où elles sont liées par contrat. Il existe en effet des cas où les entreprises n'étant qu'au stade de la négociation en vue de la conclusion d'un contrat, n'aboutissent pas à leur objectif commun, c'est à dire la signature du contrat. Or, pour autant, le non aboutissement de cette négociation et la rupture de ces échanges appelés pourparlers, peut engendrer la responsabilité d'une des deux entreprises. C'est ce qu'on appelle la rupture abusive des pourparlers.

Dans le secteur technologique, cette phase pré-contractuelle a un relief particulier. Elle est normalement de très courte durée, mais comporte d'intenses échanges d'informations pouvant porter sur la technologie, le savoir-faire liés à des produits etc... Elle est plus fréquente qu'on ne le croit. C'est le cas d'entreprises qui se regroupent en pools pour répondre à un appel d'offres, celui de la réalisation complexe d'une fourniture ou d'un système qui nécessite la participation du prospect à des entretiens en vue de circonscrire la future prestation, ou enfin celui de l'entreprise qui recherche une informatisation et entre en contact, assisté ou non d'un conseil extérieur, avec une ou plusieurs sociétés de services.

Très souvent, dans le cadre de ces échanges, lorsque l'une des parties aura à dévoiler des informations qu'elle considère comme confidentielles ou à tout le moins sensibles, elle prendra la précaution de se lier à son partenaire par un accord de confidentialité qui régira leurs relations durant un temps déterminé incluant le temps des pourparlers. Cet accord de confidentialité (Non Disclosure Agreement en anglais, d'où l'acronyme NDA qui s'impose dans la pratique) pourra également par la suite se retrouver à titre de stipulation accessoire au contrat principal signé. La signature du contrat, le plus souvent, annulera ou remplacera tout accord passé précédemment, dont l'accord de confidentialité.

Cependant, il est des cas nombreux où aucun accord écrit de confidentialité d'aucune sorte ne viendra régir le stade des pourparlers.

Le préjudice découlant de la faute pourra se révéler important. Comme toujours, il comportera deux principaux postes que sont les pertes et le manque à gagner.

En dépit de cet absence d'écrit signé des deux parties, la jurisprudence va accepter dans certaines circonstances de sanctionner l'une des deux parties qui aura renoncé à contracter. Elle le fera sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, qui est la base légale de la responsabilité civile délictuelle de droit commun du droit français. L'entreprise victime devra prouver une faute, un préjudice subi et le lien dit de causalité entre ce préjudice et cette faute. S'agissant de la faute, la Cour de Cassation dès 1976 (1) va exiger que la victime de la rupture des pourparlers prouve soit l'intention de nuire de son ex-partenaire, soit sa mauvaise foi, semblant rejoindre l'exigence de bonne foi posée par l'article 1134 du Code Civil durant le temps d'exécution d'un contrat.

Cette intention de nuire ou mauvaise foi pourra être caractérisée en fait, s'il est rapporté la preuve que les pourparlers n'ont été qu'une " mascarade " destinée à recueillir des informations confidentielles de l'autre sur son savoir-faire, sa technologie ou ses produits, si des personnes étrangères à l'entreprise voire même appartenant à des organisations concurrentes ont participé à l'insu de participants aux négociations, si le clone d'un logiciel étudié dans le cadre des pourparlers a été réalisé quelques mois plus tard etc… Pour retenir la faute constitutive de la rupture abusive, la Cour d'Appel de Pau a retenu une faute qualifiée de " patente et indiscutable ".

Le préjudice découlant de cette faute pourra se révéler important. Comme toujours, il comportera deux principaux postes que sont les pertes et le manque à gagner. Les pertes seront constituées des salaires chargés des collaborateurs ayant participé en pure perte à ces pourparlers, des débours divers occasionnés à l'occasion de ces mêmes pourparlers. Si la faute aboutit à l'émergence d'une offre concurrente mais déloyale (réalisation d'un clone de progiciel, reproduction d'informations non constitutives de contrefaçon par exemples) la marge brute réalisée par le fautif sur ces agissements pourra être récupérée en dommages et intérêts par la victime car considérée comme perdue par cette entreprise : il s'agit d'un préjudice commercial qui peut encore être complété par un préjudice dit d'image. S'agissant du manque à gagner, c'est généralement le poste susceptible d'être le plus important et qui peut être constitué du projet envisagé à l'origine ayant donné lieu aux pourparlers et ayant échoué. La marge brute perdue au titre de ce projet manqué peut constituer ce second poste de préjudice et venir s'ajouter aux dommages et intérêts attribués.

Comme on le voit, la rupture abusive des pourparlers est susceptible de générer des conflits financiers importants. Il reste qu'en France, les tribunaux ont des difficultés à reconnaître le préjudice réel de l'entreprise victime lorsque les montants en jeu sont importants. La justice française est encore loin de la justice américaine, qui sait sanctionner les comportements fautifs à leur juste mesure, sans se préoccuper de l'importance ou non des chiffres en cause. Pourtant, dans le domaine technologique, c'est à dire le domaine des idées et du savoir faire intellectuel, on ne mesure pas toujours les exactes répercussions d'un comportement déloyal, alors que ceux-ci peuvent être colossaux.
[oiteanu@iteanu.com]

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