Rubrique Juridique

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Création d'un site web par un salarié :
qui est titulaire des droits ?
- Mardi 15 janvier 2002 -

Le contrat de travail n'opèrant pas de transfert automatique des droits à l'employeur, de nombreux contentieux voient le jour. Explications.

par Paul Hébert ,

La conception et la réalisation d'un site web peuvent se faire en faisant appel à un prestataire externe ou en ayant recours aux ressources internes de l'entreprise. Dans cette seconde hypothèse, l'entreprise doit s'assurer qu'elle est bien titulaire des droits d'auteur attachés aux contributions de ses salariés. En effet, il est fréquent en pratique qu'une entreprise exploite un site réalisé en interne sans s'être assurée préalablement qu'elle disposait des droits pour le faire. Or, contrairement à une idée répandue, le contrat de travail n'opère pas de transfert automatique des droits à l'employeur.

Ceci explique que de nombreux contentieux voient le jour lors de la rupture du contrat de travail. Si le salarié est reconnu comme étant un auteur, titulaire d'un droit de propriété intellectuelle, il pourra même agir en contrefaçon à l'encontre de son ancien employeur et l'empêcher d'exploiter le site web en l'état. Il convient donc de préciser les conditions dans lesquelles un salarié doit être considéré comme un auteur. Et dès lors que la qualité d'auteur est reconnue au salarié, l'employeur doit savoir quels sont les droits susceptibles d'être invoqués par son salarié, tant sur le plan patrimonial que moral.

1. La qualité d'auteur du salarié
Tous les acteurs concourant à la conception ou à la réalisation d'un site web ne peuvent pas bénéficier de la qualité d'auteur. Cette qualité suppose que deux conditions soient réunies :
- La contribution du salarié doit porter sur un élément de forme du site (textes, images fixes ou animées, sons, éléments logiciels, bases de données…). Cela exclut, par exemple, le simple technicien ou l'expert qui apporte un savoir faire sans participer à la mise en forme du site, ou encore le salarié qui contribue au projet par ses idées ou par sa gestion purement administrative.
- La contribution du salarié doit être originale. Traditionnellement, l'originalité s'entend de l'empreinte de la personnalité de l'auteur dans son œuvre. Toutefois, l'imprécision du critère fait que, bien souvent, l'absence de banalité et un minimum de liberté dans les choix du salarié suffisent à assurer la qualité d'auteur. Ainsi, les tribunaux ont considéré que la condition d'originalité était remplie pour des pages HTML présentant une offre de services d'une société (T.Com Paris, 9 février 1998, La société Cybion c/ La société Qualisteam), ou encore pour une base de données accessible en ligne et regroupant des informations sur des matériels et logiciels informatiques (T.Com Nanterre, 27 janvier 1998, Edirom c/ Global Market Network).

2. Les droits patrimoniaux de l'auteur
Dès lors que la contribution d'un salarié est susceptible d'être protégée par un droit d'auteur, l'employeur doit obtenir de sa part une cession expresse des droits d'exploitation sur son œuvre. Cette cession au profit de l'entreprise ne doit pas priver l'auteur salarié des dispositions protectrices de la législation sur le droit d'auteur. Toutefois, à défaut de pouvoir prouver une telle cession, l'employeur peut soutenir devant un tribunal qu'il a bénéficié d'une cession automatique des droits en se fondant sur l'une des exceptions prévues par la loi.
2.1 Le principe : la nécessité d'une cession expresse des droits patrimoniaux
Cette cession doit respecter les règles impératives posées par le Code de la propriété intellectuelle :
- La clause de cession doit identifier précisément la ou les contributions objets de la cession et délimiter les droits cédés, quant à leur étendue, leur durée, leur destination (modes d'exploitation autorisés), et quant à la zone géographique concernée (art. L. 131-3 du C.P.I). La cession étant d'interprétation restrictive, tout ce qui n'aura pas été expressément cédé sera réservé au profit du salarié. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Paris a décidé que la cession des droits d'auteur portant sur un logo et expressément limitée à un site Internet n'autorisait pas l'entreprise cessionnaire à utiliser ce logo lors de sa campagne publicitaire que ce soit à la télévision, au cinéma, ou sur tout autre support (TGI Paris, ord. réf., 18 juillet 2000, Christèle M. c/ SA Koobuy.com. Cette affaire concernait une œuvre de commande, mais la solution peut être transposée aux cessions de salariés.)
- Il n'est pas possible d'insérer dans un contrat de travail une clause organisant la cession des droits sur l'ensemble des créations à venir d'un salarié. En effet, cela serait contraire au principe de la prohibition des cessions globales des œuvres futures (art. L. 131-1 C.P.I). Une telle clause, assez fréquente en pratique, entraîne la nullité de la cession. La solution la plus sûre consiste donc à procéder à des cessions au fur et à mesure des réalisations du salarié.
- Ø En principe, la rémunération due à l'auteur doit être proportionnelle aux recettes d'exploitation, sauf dans les quelques cas visés par la loi (art. L. 131-4 C.P.I) dans lesquels le forfait est admissible. Notons que cette rémunération doit être distincte du salaire versé au salarié car elle porte sur l'acquisition des droits et non sur son travail.

2.2 Les hypothèses où l'employeur sera automatiquement titulaire des droits patrimoniaux
Dans certaines hypothèses légales, il n'est pas nécessaire pour l'employeur de recourir au formalisme rigoureux de la cession des droits:
- La première hypothèse concerne les logiciels crées par des salariés dans l'exercice de leur fonctions (T.G.I Paris, 6 mars 2001, Négrier et autres c/ SA Mixad et autres). L'article L. 113-9 du C.P.I prévoit que, sauf stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer. Cette exception s'applique uniquement aux droits patrimoniaux relatifs à un programme informatique (développements spécifiques, applet JAVA…).
- La deuxième hypothèse consiste à qualifier le site web d'œuvre collective. L'œuvre collective est l'œuvre divulguée et publiée par une personne (y compris morale), sur son initiative et sous son contrôle, et dans laquelle les contributions des auteurs fusionnent dans l'ensemble réalisé. Dans ce cas, l'employeur sera investi ab initio des droits d'auteur sur l'ensemble du site, chaque auteur salarié conservant un droit d'exploitation séparé sur sa contribution dès lors que celle-ci ne fait pas concurrence à l'exploitation du site web. L'application de cette notion par la jurisprudence est toutefois incertaine. La qualification d'œuvre collective a déjà été retenue pour un site web (T.C Paris, 9 février 1998, La société Cybion c/ La société Qualisteam), mais elle n'est pas automatique. Il conviendra par conséquent d'encadrer au mieux la relation entre l'employeur et l'auteur salarié en apportant des précisions sur la façon dont s'organise le projet.

3. Le droit moral de l'auteur
Même si les droits d'exploitation sont attribués à l'entreprise qui emploie l'auteur salarié, ce dernier reste titulaire de ses prérogatives tirées de son droit moral, droit inaliénable et perpétuel. Deux prérogatives nous intéressent particulièrement en matière de réalisation de site web :
- Le droit à la paternité permet à un auteur de faire apposer son nom et sa qualité sur toutes ses créations, et ce quel que soit le titulaire des droits patrimoniaux. Le salarié concepteur de sites web dispose d'un "droit moral de citation de sa qualité d'auteur sur ses créations", même si certaines de ses œuvres ont été réalisées lors de missions précédentes pour le compte d'une société concurrente (T.C Lyon, ord. réf. du 22 octobre 2001, Avant-première Design Graphique c/ SARL Adgensite).
- Le droit au respect de son œuvre permet traditionnellement à l'auteur de s'opposer à toute atteinte, dénaturation, ou mutilation de son œuvre. En matière de création de site web, cette prérogative ne saurait être négligée par l'employeur qui sera constamment obligé de modifier les contributions des salariés pour faire évoluer le site. Ainsi, il a été jugé que même si des modifications sont indispensables pour parvenir à la réalisation d'un jeu sur CD-ROM, le droit au respect de l'œuvre interdit de remanier celle-ci sans l'accord du contributeur ou, à tout le moins, sans qu'il en soit avisé (C.A Versailles, 18 novembre 1999, Vincent c/ Havas interactive). L'employeur aura donc tout intérêt à prévoir dans le contrat un descriptif des modifications que l'œuvre pourra subir lors des évolutions du site web, en vue de réduire les risques de contestation. Notons qu'en matière de logiciels l'auteur ne pourra s'opposer à une modification que lorsqu'elle est préjudiciable à son honneur ou à sa réputation (art. L 121-7 du C.P.I).

Force est donc de constater qu'il est essentiel pour l'employeur de s'assurer qu'il est bien titulaire des droits d'auteur attachés aux contributions de ses salariés. Si tel n'est pas le cas, il sera toujours possible d'obtenir une cession une fois le site web achevé. Cependant, la solution la plus sûre juridiquement consiste à prévoir par contrat une acquisition des droits au fur et à mesure de la réalisation du site.

[phebert@salans.com]

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