Rubrique Juridique

Chaque semaine, gros plan sur la loi et l'Internet

Les sites pour adultes
- Mardi 26 mars 2002 -

On peut s'interroger sur les raisons qui conduiraient à appliquer à internet un cadre plus rigoureux que celui qui s'applique à d'autres médias. Rappel des trois grands principes en la matière.

par Eric Barbry,
Directeur du Département Internet, Alain Bensoussan-Avocats

Le rapport "Enfance et médias" récemment remis au Gouvernement pose la délicate problématique des images ou programmes susceptibles d'être vus par un mineur. Cette problématique des images et/ou programmes auxquels peuvent accéder les mineurs n'est pas sans poser une nouvelle dimension s'agissant de l'internet, notamment au regard de l'article 227-24 du code pénal qui dispose que "le fait soit de fabriquer, soit de transporter, de diffuser par quelques moyens que ce soit et quel qu'en soit le support, un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine est puni de trois ans d'emprisonnement et de 500.000 francs d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur…".

Distinguons immédiatement l'article 227-24 du code et l'article 227-23 qui, pour sa part, vise à réprimer la diffusion d'images à caractère pédophile, acte qui doit être combattu sans réserve aucune. L'article 227-24 pour sa part pose avec une grande acuité l'existence même des sites pour adultes c'est à dire à titre principal les sites qui diffusent des images ou programmes à caractère érotique ou pornographique.

Si la plupart des sites Web pour adultes n'ont cure de la préservation des mineurs, certains mettent en œuvre des mesures ou moyens destinés à empêcher les mineurs d'accéder à de tels contenus. Parmi les moyens susceptibles d'être mis en œuvre, on notera :
- l'accès conditionné aux contenus (sur abonnement la plupart du temps) ;
- le paramétrage du site pour qu'il puisse résonner avec le paramétrage des logiciels de contrôle d'accès ;
- l'affichage d'une page d'accueil dénuée de tout contenu et indiquant que le reste du site est destiné à un public d'adulte ;
- l'affichage d'une page concernant l'usage des logiciels de contrôle d'accès.

Faire une application aveugle de l'article 227-24 du Code pénal en ne distinguant pas les éditeurs qui mettent en œuvre des moyens contrôle d'accès de ceux qui ne le font pas serait assurément une erreur. En effet, pourquoi continuer à mettre en œuvre de telles mesures si les conséquences au regard de l'application de la loi sont les mêmes? A l'inverse, valoriser les mesures prises, même si cela peut paraître surprenant, participerait de la préservation des mineurs en contraignant ceux qui ne prennent aucune mesure à en utiliser .

Plus généralement, on peut s'interroger sur les raisons qui conduiraient à appliquer à internet un cadre plus rigoureux que celui qui s'applique à d'autres médias. Il faut sur ce point rappeler que l'application de l'article 227-24 s'apprécie au regard de trois éléments : le principe de normalité, le principe de gravité et le principe de partage des responsabilités :

1. Le principe de normalité
Ce principe découle de l'ensemble des textes applicables à d'autres supports que l'internet. C'est ainsi que pour ce qui concerne l'accès aux salles de cinématographie à caractère pornographique, les décrets applicables précisent que la personne responsable de l'accès aux salles, si elle doit mettre en œuvre toutes les mesures destinées à empêcher les mineurs d'accéder à la salle, ne saurait être responsable des accès frauduleux (fausse déclaration sur l'age par exemple). C'est aussi le cas de la diffusion d'émission sur les chaînes de télévision, pour lesquelles l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 précise que "il [le CSA] veille à ce que des programmes susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne soient pas mis à disposition du public par un service de radiodiffusion sonore ou de télévision sauf lorsqu'il est assuré, par le choix de l'heure de diffusion ou par tout précédé approprié, que de mes mineurs ne sont pas normalement susceptibles de les voir ou de les entendre".

C'est bien là la consécration du critère selon lequel les mesures techniques mises en œuvre ne doivent pas être appréciées comme un objectif d'efficacité absolue, mais qu'elles doivent empêcher que, dans des conditions "normales", le mineur n'accède à de tels programmes. A défaut d'un tel tempérament, les patrons de chaînes seraient régulièrement assignés. L'Internet ne saurait échapper à ce "principe de normalité" et les mesures techniques mises en œuvre par les éditeurs de sites pour adultes devraient être appréciées au regard de leur pertinence pour empêcher les mineur dans une configuration "normale" d'accéder à des contenus à caractère pornographique.

2. Le principe de gravité
Là encore le principe découle des lois et règlements qui sont généralement appliqués pour d'autres médias. On peut sur ce point encore mentionner l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, qui dispose que "lorsque des programmes susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs sont mis à la disposition du public par des services de télévision, le Conseil veille à ce qu'ils soient précédés d'un avertissement au public et qu'ils soient identifiés par la présence d'un symbole visuel tout au long de leur durée", ajoutant à l'alinéa suivant que "il [le CSA] veille en outre à ce qu'aucun programme susceptible de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne soit mis à disposition du public…".

Cet article pose assurément un principe selon lequel il existerait en réalité deux types de contenus ou de programmes : ceux qui nuisent à l'épanouissement physique, mental ou moral de mineurs et ceux qui leur nuisent "gravement". Les premiers sont acceptés mais encadrés, les second sont purement et simplement interdits d'antenne. C'est cet article qui permet aujourd'hui à certaines chaînes de télévision de diffuser à certaines heures et avec une signalétique particulière ou en mettant en œuvre des mesures techniques appropriées des programmes érotiques ou pornographiques.

On peut là encore s'interroger sur les raisons qui excluraient par nature Internet de ce principe et qui empêcherait, dès lors que toutes les mesures techniques et d'informations les plus efficaces sont mises en œuvre, la diffusion gratuite, à titre de "promotion" par exemple, de quelques images à caractère érotique voir même pornographique, dès lors que de tels contenus seraient équivalents à ce qui est accessible à la télévision par exemple. Les images d'hommes et de femmes nus ne sauraient éternellement être considérées comme nuisant gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, sauf à les interdire toutes, y compris dans les publicités diffusées aux quatre coins de l'hexagone et qui font la part belle à la nudité et parfois même à un imaginaire érotique.

3. Le principe de partage des responsabilités
Au titre de ce principe, ce n'est pas seulement la responsabilité de l'éditeur de contenus qui doit être appréciée mais celle des deux autres acteurs susceptibles d'intervenir dans la chaîne d'accès des mineurs à de tels contenus et que sont les fournisseurs d'accès et les parents. Ce principe de la "responsabilité partagée" est trop souvent balayé au motif que les sites pour adultes ne sauraient se cacher derrière la responsabilité des parents pour justifier la diffusion de leurs contenus. C'est la prendre un sérieux raccourci avec les disposition légales. Ainsi l'article 43-7 de la loi du 1er août 2000 dispose t-il que "les personnes physiques ou morales dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communications en ligne autres que de correspondance privée sont tenues, d'une part d'informer leurs abonnés de l'existence de moyens techniques permettant de restreindre l'accès à certaines services ou de les sélectionner, d'autre part de leur proposer au moins un de ces moyens".

La loi impose également aux parents qu'ils éduquent et contrôlent leurs enfants. La responsabilité ne doit donc pas simplement s'apprécier au regard des obligations du seul éditeur de contenus mais bien comme une responsabilité partagée entre le fournisseur d'accès, les parents et les éditeurs. A la charge des fournisseurs d'accès de délivrer à leurs abonnés les logiciels de contrôle, à celle des parents de les mettre en œuvre et à celle des éditeurs de sites de paramétrer leur site de nature à ce qu'il réagisse à la présence d'un logiciel de contrôle d'accès.

Cette thèse, même si elle est critiquée, n'en est pourtant pas moins acceptée par l'ensemble des parti-prenantes. Les fournisseurs d'accès considèrent en effet depuis bien longtemps, si l'on s'en réfère simplement à la charte de l'Association des Fournisseurs d'Accès, qu'il est de leur devoir de fournir ce type de logiciel. Mais ce qui est plus significatif encore, c'est que la plupart des ministères en charge de la protection de mineurs (Affaires sociales, Intérieur ou Justice) ou des associations représentant les intérêts des parents admettent eux aussi ce principe. On notera sur ce point l'adoption d'un document intitulé "Conseil aux parents" diffusé en ligne sur les sites ministériels en question au sien duquel il est précisé "Soyez des parents responsables. Notamment à l'égard des plus jeunes, il existe des outils techniques comme des logiciels de filtrage ou des portails, qui accompagnent vos enfants dans un Internet plus sûr…".

Il est pour le moins curieux de constater qu'Internet attire les foudres alors que le numérique permet d'utiliser des outils et des moyens de contrôles bien plus efficaces que dans tous autres médias, pour lesquels d'ailleurs le droit est très tolérant. Sur ce point, la récente étude comparative de douze logiciels de contrôle d'accès réalisée par la revue "60 Millions de Consommateurs" confirme que certains de ces logiciels ont une fiabilité de restriction d'accès de l'ordre de 96% (soit quasiment 100% si l'on tient compte là encore du principe de précaution appliqué aux tests réalisés).

La lutte contre l'accès des mineurs aux contenus pornographiques, si elle se justifie pleinement, ne doit pas conduire à une discrimination des sites web d'autres médias et encore moins aboutir à leur interdiction de fait. Il est par contre indispensable d'engager sans délais une véritable réflexion de fond quant aux mesures devant être prises par de tels sites pour empêcher l'accès des mineurs. C'est sans doute de ce coté qu'il faudrait aujourd'hui travailler, en gardant à l'esprit que sanctionner les sites qui mettent œuvre des mesures de restriction d'accès serait un remède bien pire que le mal. Reste enfin que cette préservation des mineurs doit être appréhendée dans un cadre international et que sanctionner des sites Web pour adultes français ne résout en rien l'accès des mineurs à des sites étrangers qui pour leur part n'ont que faire de l'application de notre article 227-24.

[eric-barbry@alain-bensoussan.tm.fr]

A lire également :

Tous les articles de la rubrique juridique

Au sommaire de l'actualité

 

Dossiers

Marketing viral

Comment transformer l'internaute en vecteur de promotion ? Dossier

Ergonomie

Meilleures pratiques et analyses de sites. Dossier

Annuaires

Sociétés high-tech

Plus de 10 000 entreprises de l'Internet et des NTIC. Dossier

Prestataires

Plus de 5 500 prestataires dans les NTIC. Dossier

Tous les annuaires