Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Quelle
valeur juridique
pour les "disclaimers"?
- Mercredi
22 mai 2002 -
Les messages
d'avertissement apparaissent de plus en plus souvent à
la fin des e-mails. La pratique présente-t-elle un intérêt
juridique quelconque? Et l'omission d'un tel message lors
de l'envoi d'un e-mail fait-elle courir un risque à son expéditeur?
par Etienne Papin
Avocat à la Cour
Cabinet Salans Hertzfeld & Heilbronn
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"Ce message
et toutes les pièces jointes sont établis à l'intention exclusive
de ses destinataires et sont confidentiels. Si vous recevez
ce message par erreur, merci de le détruire et d'en avertir
immédiatement l'expéditeur". Ces messages d'avertissements
fleurissent à la fin des e-mail. Le phénomène est trop massif
pour qu'il ne retienne pas l'attention du juriste. Tous les
internautes en reçoivent et tous les internautes en émettent,
presque à leur insu, puisque ce sont bien souvent les systèmes
de messagerie des entreprises qui incluent automatiquement
ces "disclaimers" lors de l'envoi d'un e-mail. Mais cette
pratique présente-t-elle un intérêt juridique quelconque?
L'omission d'un tel message d'avertissement lors de l'envoi
d'un e-mail fait-elle courir un risque à son expéditeur?
Rappelons
tout d'abord qu'aucun texte de droit français, loi ou règlement,
n'oblige l'expéditeur d'un e-mail à inclure dans celui-ci
un tel message d'avertissement. Il n'y a donc que l'esprit
grégaire qui conduise les entreprises à insérer de façon automatique
de tels avertissements dans les e-mail qui sortent de leurs
serveurs de messagerie électronique. Principe de précaution
quand tu nous tiens...
Si la
loi ne l'impose pas, la pratique est-elle néanmoins de nature
à prévenir un risque juridique ? A y regarder de plus près,
on peut distinguer différentes finalités qui président à l'inclusion
des "disclaimers".
1.
En premier lieu, certains de ces messages visent à réparer
l'erreur - humaine - de l'expéditeur : à savoir le message
adressé à la mauvaise personne. Ainsi, on demande souvent
la coopération du destinataire fortuit pour la réparation
de l'erreur d'envoi : "Si vous n'êtes pas destinataire de
ce message, merci de le détruire immédiatement et d'avertir
l'expéditeur de l'erreur de distribution et de la destruction
du message". Rien n'oblige le destinataire à répondre à cette
sollicitation, si ce n'est la courtoisie, mais le droit ne
connaît pas encore de principe de courtoisie. De plus, la
présence d'un avertissement sur la nature confidentielle d'un
message électronique ne dégagera pas l'expéditeur de sa responsabilité
si l'erreur qu'il commet dans l'envoi entraîne une violation
d'un engagement de confidentialité auquel il était tenu. On
peut d'ailleurs se demander si l'e-mail non protégé par un
dispositif de cryptage est bien le moyen adéquat pour transmettre
un document de nature confidentielle.
Dans la
plupart des cas, celui qui aura reçu par erreur le message
effacera celui-ci comme n'importe quel autre "spam". Mais
si à la faveur d'une erreur d'envoi, une entreprise vient
à recevoir des informations stratégiques sur l'un de ses concurrents,
pourra-t-elle en tirer profit ? L'utilisation de ces informations
pourrait-elle engager sa responsabilité délictuelle alors
qu'elle ne les a pas acquise frauduleusement ? Très certainement
cet agissement pourrait être sanctionné au titre de la concurrence
déloyale. On trouve dans les annales une vieille décision
du tribunal de commerce de la Seine, de 1926, qui a sanctionné
la divulgation de la correspondance d'un concurrent. Cependant,
il faut convenir que la société victime de cet agissement
sera confrontée à la difficulté d'en apporter la preuve et
particulièrement de prouver que son concurrent a exploité
un e-mail qui lui avait été adressé par erreur².
2.
D'autres messages d'avertissement se font plus dogmatiques
et font office de rappels à la loi. Ainsi, il y est parfois
mis l'accent sur le caractère pénal de la violation du secret
des correspondances : "Ce message est à l'intention exclusive
de son destinataire. Sa prise de connaissance par une personne
autre que son destinataire est punie par la loi". En effet,
l'article 226-15 du Code pénal punit d'un an d'emprisonnement
et de 45.000 euros d'amende le fait de prendre frauduleusement
connaissance de correspondances adressées à des tiers.
Ici encore,
aucun texte ni principe juridique n'impose à l'expéditeur
d'un message d'insérer ce type d'avertissement. Le fait que
l'avertissement ne soit pas présent ne permet pas à la personne
qui prendrait connaissance frauduleusement d'un e-mail d'échapper
au délit d'atteinte au secret des correspondances. Nul n'est
censé ignorer la loi. Ce vieil adage a toujours cours. Nul
n'a donc besoin de rappeler la loi. Précisons que l'article
226-15 du Code pénal n'aura vocation à s'appliquer que pour
le cas où une personne prend connaissance d'un e-mail de façon
frauduleuse : par exemple, par l'ouverture du message dans
la boite de son destinataire légitime. La personne qui prend
connaissance d'un message qui ne lui était pas intentionnellement
destiné mais dont elle était bien destinataire par erreur,
n'est évidemment pas concernée par cette infraction.
3.
Autre forme de "disclaimer", celui qui s'apparente à une "dénégation
de volonté". On pourra lire, accompagnant les e-mail reçus
: "L'internet ne permettant pas d'assurer l'intégrité de ce
message, le contenu de ce message ne représente en aucun cas
un engagement de la part de notre société". Compte tenu du
nombre d'e-mail que les salariés d'une entreprise peuvent
envoyer par jour, sans que les organes de direction puissent
en contrôler le contenu, il peut être en effet de bonne politique
de prévoir que ceux-ci n'engagent pas la société ès-qualité,
et que, par exemple, un e-mail ne peut constituer une offre
ou l'acceptation d'un contrat. D'un point de vue strictement
juridique cependant, il est pourtant loisible à tout émetteur
d'un e-mail d'en dénier la "paternité" même en l'absence d'un
tel avertissement. Pour qu'un e-mail puisse valablement engager
son émetteur, ou la personne morale qui l'emploie, encore
faut-il que celui qui s'en prévaut puisse faire la preuve
qu'il émane bien de la personne à laquelle il prétend l'opposer.
Or, une simple adresse électronique ne permet pas d'identifier
de façon fiable une personne, et donc de lui imputer un engagement.
Il n'en serait autrement que si l'e-mail était signé électroniquement,
à l'aide d'une signature électronique sécurisée au sens du
décret n°2001-272 du 30 mars 2001 relatif à la signature électronique.
Que retenir
de cette pratique ? Elle est certainement un nouvel exemple
de l'emprise du droit dans notre société : son besoin se fait
sentir dans des relations où sa présence n'est pas fondamentalement
nécessaire. C'est également la marque du caractère international
de l'e-mail. Dans d'autres pays, sous l'empire d'autres législations,
l'appréciation qui vient d'être portée sur la valeur juridique
des ces avertissements pourra être différente. Les acteurs
économiques sont donc conduits, par prudence, à se "caler"
sur les règles de la législation la plus restrictive. C'est
enfin le signe d'une société qui est aujourd'hui fortement
marquée par l'écrit. Bon nombre des e-mail qui s'échangent
sur l'internet contiennent des informations qui, il y a peu
de temps encore, se seraient échangées oralement, au cours
d'une conversation téléphonique par exemple. Or, on le sait,
si les paroles s'envolent, les écrits restent, et c'est bien
parce que l'on a conscience de cela que l'on tente peut-être
de limiter, par ces "disclaimer", la portée de ce que l'on
vient d'écrire.
[epapin@salans.com]
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