Rubrique Juridique

Chaque semaine, gros plan sur la loi et l'Internet

Forums de discussion :
Quelles responsabilités ?
Quels responsables ?
- Mardi 17 septembre 2002 -

Trois décisions de justice rendues récemment au sujet des forums de discussion posent à nouveau la question de la responsabilité de l'organisateur du forum quant au contenu des messages transmis.


par Etienne Papin
Avocat à la Cour
Cabinet Salans

Nouvel espace de discussion publique, les forums de discussion sont, au même titre que les autres moyens de communication, susceptibles de véhiculer des messages dont le contenu est condamnable. A s'en tenir à la législation française, l'intervention d'un internaute sur un forum peut engager sa responsabilité à plusieurs titres : sa responsabilité civile d'abord, soit sur le fondement du droit commun de l'article 1382 du Code civil, soit sur le fondement de textes spéciaux tels que la loi du 29 juillet 1881 qui réprime notamment la diffamation et l'injure. La responsabilité pénale de l'internaute peut également être retenue, puisque certains propos ou écrits publics sont érigés en infractions comme la provocation à la discrimination raciale, la contestation de crimes contre l'humanité, etc.

Trois décisions de justice ont été rendues récemment au sujet des forums de discussion. Dans ces trois affaires, ce ne sont pas tant les auteurs des messages délictueux qui ont fait l'objet de poursuites que les personnes qui assurent la diffusion de ces messages. La question de la responsabilité de l'organisateur du forum quant au contenu des messages transmis est donc posée. On retrouve ainsi pour les organisateurs de forums de discussion les éléments du débat maintenant tranché sur la responsabilité des fournisseurs d'hébergement, qu'il convient donc de rouvrir pour ces acteurs particuliers du réseau.

Le lieu du forum.
Sur l'internet, il importe de bien faire la distinction entre les différents lieux virtuels de discussion avant de poser la problématique juridique. L'appellation "forums de discussion" recouvre d'abord les newsgroups du réseau Usenet. Apparus les premiers, ils restent très actifs aujourd'hui et il en existe plusieurs milliers, traitant des thèmes les plus divers, des plus anodins aux plus subversifs. La participation aux newsgroups se fait par l'intermédiaire des logiciels de messagerie électronique ou des logiciels de news spécialisés et l'échange entre les internautes s'effectue par le biais de mails. Avec le développement du Web, une autre forme de forums de discussion est apparue : certains éditeurs de sites proposent en effet sur leur site des espaces de discussion, sur des thèmes déterminés, pour nourrir l'intérêt des internautes envers leur site.

Dans le cadre de cet article, nous limiterons notre propos aux seuls forums de discussion présents sur des sites web, qui font l'objet d'une actualité judiciaire plus riche, peut-être tout simplement parce que leur usage a plus largement pénétré le grand public..

L'organisateur du forum
Dans les forums présents sur des sites web, la personne prenant l'initiative d'organiser le forum est connue et identifiable, tout au moins lorsqu'elle se trouve en France : il s'agit de l'éditeur du site web. Depuis la loi du 1er août 2000, qui a introduit l'article 43-10 dans la loi de 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, l'éditeur du site web a l'obligation de s'identifier aux yeux des tiers. Cette identification est directe lorsque l'éditeur agit à titre professionnel : celui-ci doit indiquer sur son site web son nom et ses coordonnées. L'identification est indirecte lorsque l'éditeur agit à titre non professionnel, celui-ci ayant seulement l'obligation de mentionner le nom et les coordonnées de son hébergeur.

Trois affaires récentes permettent de s'interroger sur la responsabilité des "organisateurs " de forums de discussion sur le web. La première est l'ordonnance de référé rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 18 février 2002, dans l'affaire "Boursorama". Une société s'était plainte du caractère diffamatoire des propos tenus à son égard par certains participants au formu qui lui était consacré. Elle demande, en référé, la fermeture du forum la concernant. C'est la société éditrice du site web, qui fait l'objet de la procédure. Il ne semble pas que le demandeur ait tenté, à un moment quelconque de la procédure, de mettre en cause les auteurs des propos diffamatoires .

Le juge des référés saisi a considéré que, dans le cadre de l'organisation d'un forum de discussion, Boursorama "assure le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de messages au sens de l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986". Or, l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 vise à l'origine les fournisseurs d'hébergement. Son champ d'application est donc étendu par cette décision au site web organisateur d'un forum de discussion, qui, en quelque sorte, héberge les messages postés par les internautes dans ses forums.

Cependant, cette qualification n'est pas neutre. Les prestataires de services internet relevant de l'article 43-8 bénéficient d'un régime de responsabilité particulier, lui-même issu de la réforme du 1er août 2000. Ces prestataires ne sont en effet responsables du contenu des messages stockés sur leurs serveurs que "si, ayant été saisi[s] par une autorité judiciaire, [ils] n'ont pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu". Le tribunal relève que le site web a, dès le début de l'instance, retiré les messages litigieux. La procédure se termine donc sans autre condamnation à la charge de l'éditeur du site web que 500 euros au titre du remboursement des frais encourus par le demandeur pour faire valoir ses droits en justice.

L'adoption du régime de responsabilité des fournisseurs d'hébergement pour les sites web organisant des forums de discussion est donc tout à fait avantageuse pour ces derniers, puisqu'ils ne sont tenus responsables du contenu des messages publiés qu'en cas d'inaction, suite à une saisine de la justice. Mais la jurisprudence apparaît divisée. Le Tribunal de Grande Instance de Lyon, dans un jugement du 28 mai 2002, a en effet retenu la responsabilité de principe de l'organisateur d'un forum de discussion. Il s'agissait d'un site web dédié à la protection des consommateurs. Dans sa partie forum de discussion, des internautes ont publié des messages au contenu préjudiciable pour le site de vente en ligne Pere-Noel.fr. Les juges lyonnais ont condamné les éditeurs du site web, en l'espèce deux personnes physiques, bien évidemment à la cessation des actes, mais également à 80.000 euros en réparation du préjudice qu'aurait subi la société Père-Noël.fr.

L'appréciation faite par le TGI de Lyon des faits de l'espèce nous paraît plus en accord avec le rôle de l'éditeur du site web dans la diffusion des messages délictueux. Le jugement relève que "Monsieur F.M. et Mademoiselle E.C. ont pris l'initiative de créer un service de communication audiovisuelle en vue d'échanger des opinions sur des thèmes définis à l'avance" et, qu'à ce titre, ils doivent répondre des infractions commises sur leur site. On regrettera cependant que le juge ne prenne pas le soin de qualifier l'activité des défendeurs au regard de la loi du 30 septembre 1986. Ceux-ci sont, en effet, des "éditeurs d'un service de communication en ligne autre que de correspondance privée", au sens de l'article 43-10 de la loi précitée, et c'est à ce titre qu'ils sont responsables du contenu diffusé. Cependant, on sera frappé par l'importance des dommages et intérêts prononcés : 80.000 euros, s'expliquant peut-être par l'attitude passive des défendeurs, qui, à la différence des autres affaires évoquées, n'ont semble-t-il pas effacé les messages délictueux dès qu'ils en ont eu connaissance.

L'analyse faite par le TGI de Lyon est reprise par le juge des référés du TGI de Toulouse dans une décision du 5 juin 2002. Il s'agissait en l'espèce d'un site dédié à la construction de maisons individuelles, dont le forum de discussion abritait des messages diffamatoires pour un certain nombre de professionnels du secteur. Une nouvelle fois, les auteurs des messages n'étaient pas poursuivis, et le juge des référés a considéré que le défendeur, à savoir l'éditeur du site web, "est responsable du contenu du site qu'il a créé et des informations qui circulent sur le réseau, lui seul ayant le pouvoir réel de contrôler les informations ou diffusions".

Ces approches contradictoires soulèvent un certain trouble tant il nous semble évident que la fonction du droit est de permettre aux justiciables de fixer leur action sur des règles précises et on ne peut que regretter qu'un même comportement ne soit pas appréhendé de façon identique sur le territoire national.

La régulation du forum
Sur un plan strictement juridique, il nous paraît difficile de contester que le site web qui organise un forum de discussion agit plus en qualité d'éditeur qu'en qualité d'hébergeur. L'hébergeur n'a pas de rôle éditorial. Il remplit une fonction technique, au même titre que l'imprimeur, si l'on fait un parallèle avec la presse écrite. L'éditeur du site, organisateur du forum, prend une vraie initiative éditoriale : il souhaite animer son site et suscite un débat. A ce titre, faire application du régime de responsabilité de l'hébergeur nous paraît contestable.

Cependant, et en pure opportunité, convient-il pour autant d'aligner la responsabilité de l'organisateur du forum sur celle de l'éditeur d'un site web ? Ceci soulève la question plus générale de la régulation de ces nouveaux espaces de discussion. On fera un parallèle avec la solution adoptée en 1985 en matière audiovisuelle : le directeur de la publication n'est responsable des infractions à la loi de 1881 commises sur son antenne que si le message délictueux a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public. Autrement dit, pour les émissions en direct, le directeur de la publication n'ayant pas le moyen d'en contrôler le contenu, est exonéré de la responsabilité susceptible d'en découler. La nature spécifique des émissions en direct a donc été reconnue par le législateur.

Le forum de discussion est un nouveau mode d'expression, irréductible aux formes préexistantes de moyens d'expression. Dans ces forums, la discussion parfois triviale à laquelle tout à chacun peut participer dans la vie courante est figée par écrit et accessible à un public bien plus large que le cercle habituel de ses interlocuteurs. Les internautes en ont-ils conscience et est-ce à l'organisateur du forum d'en être responsable ?

L'organisateur du forum n'est pas plus en mesure de contrôler les messages émis par les internautes que le directeur de la publication d'un service de communication audiovisuelle peut le faire pour les émissions en direct. Certes, les messages des internautes font l'objet d'une fixation, mais celle-ci n'est pas préalable, elle est concomitante au processus de diffusion du message, et d'autre part, la quantité des contributions sur les forums interdit souvent tout contrôle au moment où celles-ci sont postées. En définitive, les textes actuels nous semblent inadaptés à la nature spécifique des forums de discussion, et leur régime juridique ne peut donc être établi que par le législateur.

Notre "droit de la liberté d'expression ", si stable depuis la loi du 29 juillet 1881, est confronté à cette problématique nouvelle que constitue l'accession de l'ensemble de la population à des moyens de diffusion de masse de l'information. Cette loi de 1881, loi de la presse écrite, adaptée à l'audiovisuel, est une loi dont les principaux justiciables sont des professionnels de l'information : les organes de presse et les journalistes, qui ont une formation et une déontologie. Ceci explique pour une grande part la longévité de cette loi. Mais son application à l'ensemble des internautes relève d'un vrai débat de société.

[epapin@salans.com]

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