Avec
Alain Bensoussan Avocats
CONTENTIEUX
Droit à l'image et responsabilité des hébergeurs
Ordonnance de référé, TGI Paris, 9 juin
1998, Estelle H c/ Valentin L.
CA Paris, 14ème Ch, Sect. A, 10 février 1999, Estelle H. c/
Valentin L.
TGI Paris, 1ère Ch, Sect. A, 8 décembre 1999, Linda L. / Multimania
et autres
|
par
Eric Barbry, avocat à
la Cour, directeur du Département Internet de Alain
Bensoussan - Avocats, président de l'Association
Cyberlex
|
ENVIRONNEMENT
Comme toutes les règles ont leur exception, ce n'est pas
ici l'occasion de présenter une décision mais deux décisions
qui ont, en 1999, fait les beaux jours des chroniques s'agissant
de l'application à l'Internet du droit à l'image et de la
responsabilité des prestataires d'hébergement. La première
affaire a fait couler beaucoup d'encre et a opposé Estelle
H., célèbre mannequin, à Valentin Lacambre, responsable d'altern.org.
Estelle H. avait constaté qu'était diffusée au sein d'un site
web, hébergé gratuitement par altern.org, une série de photographies
la représentant nue. Il s'agissait de photos personnelles
et privées qui avaient déjà été publiées dans la presse, au
mépris des droits d'Estelle H., publications sanctionnées.
L'impossibilité étant faite à Estelle H. de pouvoir identifier
avec certitude l'éditeur du site, celle-ci assignait Valentin
Lacambre en sa qualité d'hébergeur.
Dans une ordonnance du 9 juin 1998, le président du Tribunal
de grande instance de Paris, avait déjà rappelé que "toute
personne a sur son image et sur l'utilisation qui en est faite,
un droit absolu qui lui permet de s'opposer à sa reproduction
et à sa diffusion sans son autorisation expresse, et quel
que soit le support utilisé". Tout en rappelant que la question
de la responsabilité des professionnels de l'Internet relevait
assurément d'un débat de fond, il enjoignait à Valentin Lacambre
de supprimer le site litigieux en considérant qu'il relevait
de la responsabilité des prestataires d'hébergement de veiller
à la bonne moralité des hébergés, au respect des règles déontologiques,
des lois et règlements et au respect des droits des tiers.
Valentin Lacambre relevait appel de cette décision.
L'autre affaire est sensiblement identique qui opposait en
décembre 1999 devant le Tribunal de grande instance de Nanterre,
la comédienne Lynda L. à un ensemble de prestataires d'hébergement
au motif de diffusion, là encore, de photographies dénudées.
EXTRAIT
DES DECISIONS
Décision Estelle H.,
Cour d'appel de Paris, 9 février 1999 (...) "Considérant
que si la diffusion, sans autorisation, sur le site Internet
"http://www.altern.org/silversurfer", de 19 photographies
d'Estelle H. la représentant dénudée et provenant de sa collection
privée, cause à celle-ci un trouble manifestement illicite
qu'il entre dans les pouvoirs du juge des référés de faire
cesser, force est de constater, en l'espèce, que ce trouble
avait d'ores et déjà cessé au moment de la saisine du juge,
ainsi qu'il résulte du procès-verbal dressé, le vendredi 13
mai 1998, par Maître Guerin, huissier de justice, produit
aux débats par Valentin Lacambre et non contesté, établissant
que les photographies en cause n'étaient plus accessibles
et avaient été retirées du site en cause ; Que le juge des
référés ne pouvait, dans de telles conditions, enjoindre à
l'intéressé de prendre, sous la sanction d'une astreinte importante,
des mesures au surplus non définies et, par voie de conséquence,
difficiles d'exécution, pour éviter le renouvellement d'un
trouble simplement éventuel, au vu des éléments du dossier,
et non caractérisées ; (...) Considérant que le premier juge
a exactement retenu que la responsabilité de l'hébergeur d'accès
et de l'hébergeur de sites en tant que telle, ne pouvait être
reconnue qu'à l'issue d'un débat de fond à raison des causes
d'exonération susceptibles d'être invoquées et qu'il n'avait
pas pouvoir d'apprécier ; Mais considérant qu'en offrant,
comme en l'espèce, d'héberger et en hébergeant de façon anonyme
sur le site de altern.org qu'il a créé et qu'il gère toute
personne qui, sous quelque dénomination que ce soit, en fait
la demande aux fins de mise à disposition du public ou de
catégories de publics, de signes et de signaux, d'écrits,
d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont
pas le caractère de correspondances privées, Valentin Lacambre
excède manifestement le rôle technique d'un simple transmetteur
d'informations et doit, d'évidence, assumer à l'égard des
tiers aux droits desquels il serait porté atteinte dans de
telles circonstances, les conséquences d'une activité qu'il
a, de propos délibéré, entrepris d'exercer dans les conditions
susvisées et qui, contrairement à ce qu'il prétend, est rémunératrice
et revêt une ampleur que lui-même revendique. Que la diffusion
des photographies litigieuses, dans les conditions décrites
précédemment, engage manifestement sa responsabilité et justifie
l'octroi à Madame Estelle H., dont l'atteinte au droit à l'image
et à l'intimité de la vie privée, ainsi que le préjudice qui
en résulte, ne sont ni contestables, ni contestés, une provision
sur dommages-intérêts qui, compte tenu de la profession exercée
par cette dernière, de sa notoriété et de la diffusion démultipliée
résultant des possibilités techniques offertes par Internet,
doit être fixée à 300.000 francs, outre la publication selon
les modalités qui seront énoncées au dispositif ci-après,
d'un communiqué, aux frais de l'appelant ; (...) ".
Décision Linda L., Tribunal de grande instance Nanterre,
8 décembre 1999 : " (...) Toute personne a sur son image
et l'utilisation qui en est faite, un droit absolu qui lui
permet de s'opposer à la fixation, à sa reproduction et à
sa diffusion, sans son autorisation expresse, et ce indépendamment
du support utilisé (...) Au contraire du fournisseur d'accès
dont le rôle se limite à assurer le transfert de données dans
l'instantanéité et sans responsabilité de contrôle, le contenu
de ce qui transite par son service, le fournisseur d'hébergement
effectue une prestation durable de stockage d'informations
que la domiciliation sur son serveur rend disponible et accessible
aux personnes désireuses de les consulter. Son activité excède
donc la simple prestation technique d'un transmetteur d'information.
Il est le cocontractant de l'éditeur du site dont le contenu
peut se révéler préjudiciable. Il a la capacité d'y accéder
et de vérifier la teneur. Cependant, il demeure dans l'incapacité
de révéler au tiers qui y aurait un intérêt légitime l'identité
du créateur du site. En l'absence de dispositions particulières,
la responsabilité du fournisseur d'hébergement doit se rechercher
par référence au droit commun (...).Il n'appartient pas au
fournisseur d'hébergement d'exercer une surveillance minutieuse
et approfondie du contenu du site. Cependant, il doit prendre
les mesures raisonnables qu'un professionnel avisé mettrait
en uvre pour évincer de son serveur les sites dont le caractère
illicite est apparent, cette apparence devant s'apprécier
au regard des compétences propres du fournisseur d'hébergement
(...).
PERSPECTIVES
Plusieurs enseignements peuvent être retenus de ces différentes
décisions.
- Les magistrats considèrent
que le prestataire d'hébergement n'est pas un simple prestataire
technique, sa fonction ne se limitant pas à une seule transmission
d'informations. Il participe de l'acte de diffusion des
sites web.
- Ce faisant, il lui revient
la charge de vérifier les contenus qu'il héberge et, lorsqu'il
identifie des sites litigieux, de prendre les mesures de
nature à préserver les droits des tiers.
- Le prestataire d'hébergement
ne peut s'exonérer de sa responsabilité de mettre en uvre
les "mesures raisonnables qu'un professionnel avisé mettrait
en uvre" du seul fait que le contrôle qu'il opère n'est
pas fiable à 100 %.
- Le nombre de pages web hébergées
n'est pas un motif d'irresponsabilité. Une analyse contraire
permettait de considérer les "petits hébergeurs" comme pleinement
responsables des "quelques pages hébergées" et que le prestataire
d'hébergement "important", (en termes de nombre de pages
hébergées), serait irresponsables du seul fait de ce nombre.
- Le prestataire d'hébergement,
s'il veut limiter sa responsabilité, doit mettre en uvre
un minimum de techniques permettant de contrôler les sites
qu'il héberge. 'Le prestataire qui héberge de manière anonyme,
endosse une responsabilité supérieure à celui qui impose
l'identification des éditeurs des pages web qu'il héberge.
Sur ce point, il convient de rappeler que les identifications
qui reposeraient simplement sur la communication d'un nom,
d'un prénom, et d'une adresse e-mail, ne sont pas considérées
comme des mesures d'identification suffisantes, chacune
de ces données pouvant être tronquée.
- Le montant des dommages-intérêts
est particulièrement élevé, entre (100 000 et 300 000 francs)
auquel s'ajoutent des obligations de publications judiciaires.
La diffusion sur Internet s'inscrit donc dans une logique
de démultiplication du montant des préjudices.
CONCLUSION
La responsabilité des
prestataires d'hébergement, et plus généralement des prestataires
Internet, est l'objet d'un débat particulièrement sensible.
D'un côté, la nécessité de préserver ces nouveaux métiers
et leur impact économique, de l'autre, celle de préserver
les personnes physiques (droit à l'image, vie privée, etc
...), mais aussi et surtout dans un avenir proche, les sociétés
et dirigeants de sociétés. Car si aujourd'hui ce sont Estelle
H. et Lynda L. qui se font l'actualité, on peut tout à fait
imaginer que demain ce soit les patrons d'industries françaises
ou les sociétés elles-mêmes qui fassent l'objet de critiques,
dénigrements et parasitismes au travers de l'Internet.
Admettre une absence totale de responsabilité des hébergeurs,
surtout lorsque l'éditeur du site est anonyme, induit une
impossibilité totale pour la victime de faire valoir ses droits.
Le législateur français, tout comme la Commission des communautés
européennes envisagent de modifier le cadre juridique actuel
afin de prendre en compte les spécificités des professionnels
de l'Internet, qu'il s'agisse des transporteurs, des fournisseurs
d'accès, des prestataires d'hébergement, et tous autres intermédiaires.
Un débat est aujourd'hui instauré entre ceux qui estiment
qu'il est nécessaire de modifier le cadre juridique en prévoyant
au profit des professionnels un mécanisme d'irresponsabilité
"sauf si...", fondement du projet de directive communautaire
sur le commerce électronique et de l'amendement Bloche, et
ceux qui estiment que les règles classiques de la responsabilité
sont applicables à tous, sous réserve d'en expliciter les
modalités pratiques comme l'exprime le Sénat dans le cadre
de l'adaptation en première lecture de la loi sur la communication
audiovisuelle. [E.B.,
mars 2000]
Au sommaire
de l'actualité
|
|