Frank Boulben (Vivendi Universal Net) : "Nos sites ont trois ans pour atteindre l'équilibre"
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_boulben2.shtml


Vivendi Universal Net, la division Internet du groupe de communication, est présente dans de nombreux secteurs, même si elle se concentre sur deux chantiers prioritaires : le développement du portail multi-accès Vizzavi et la musique en ligne (dont le projet Duet, en collaboration avec Sony). A l'occasion des résultats du premier trimestre 2001 du groupe Vivendi Universal, son PDG, Jean-Marie Messier a indiqué que les pertes liées à l'Internet s'élevaient à 49 millions d'euros. Sur l'année 2000, elles s'étaient élevés à 183,7 millions d'euros. L'objectif fixé est de réduire ce montant d'un tiers dans le courant de l'année, une orientation qui oblige Vivendi Universal Net à un contrôle financier plus drastique des projets. Son co-directeur général fait le point sur les différents chantiers Internet d'un groupe qui n'en manque pas.

Propos recueillis par Philippe Guerrier le 26/04/2001

JDNet. Vivendi Universal vient de publier ses résultats pour le premier semestre 2001. Quels commentaires globaux apportez-vous aux activités Internet du groupe ?
Frank Boulben. Si 2000 a été euphorique en matière de publicité, les sites qui ont centré leur développement autour de ce type de revenus ont maintenant du mal à générer le chiffre d'affaires escompté. En conséquence, nous avons pris des décisions pour l'ensemble de nos sites afin de réduire nos structures de coûts et de diversifier nos sources de revenus. Tous les sites ont pour objectif d'atteindre l'équilibre en trois ans.Certains vont y parvenir cette année. C'est le cas de Flipside (jeux en ligne) et Scoot UK (annuaire en ligne).

Réduire les structures de coûts passe-t-il par des plans de licenciement ?
Non. Il s'agit, pour la plupart des sites, de ne plus recruter. Ou, dans une moindre mesure, de ralentir les recrutements par rapport à ce qui a été prévu initialement. Toutefois, il y a un projet où l'on a procédé à une forte réduction des effectifs, c'est @Viso [NDLR, joint-venture entre VivendiNet et Sofbank, dont l'objectif était d'aider des sociétés "high tech" américaines à s'implanter en Europe]. Compte tenu de la conjoncture actuelle, les sociétés Internet américaines ont moins d'appétit pour se développer en Europe, alors qu'on avait dimensionné @viso pour incuber 20 à 25 sociétés par an.

Que reste-t-il de cette structure ?
Aujourd'hui, il reste 6 à 8 personnes et quatre sociétés en portefeuille. Pour PeoplePC Europe, on a déjà négocié la conversion de notre participation dans la maison-mère à l'avance selon des modalités un peu complexes. PeoplePC dispose de contrats européens avec Vivendi Universal et Ford, une extension du contrat signé aux Etats-Unis. Il reste trois autres projets qui continuent à travailler leur développement : Evoke, MessageMedia et Interliant. Les maison-mères américaines recontrent actuellement des dificultés mais elles se sont tous fixées des objectifs de rentabilité à l'échéance de deux à trois ans en Europe. Si nous voyons que ces sociétés n'en prennent pas le chemin, nous arrêterons. C'est ce que nous avons décidé avec la liquidation d'eLoan Europe (Lire l'article du JDNet du 22/01/01).

Quelles leçons tirez-vous de l'expérience @Viso?
Pendant trois ans aux Etats-Unis, la ressource la moins chère a été le capital. Cela a induit un certain nombre de comportements irrationnels. Le premier étant le fait que l'argent des capitaux-risqueurs allait vers la publicité. Le deuxième était que les sociétés songeaient à un développement international avant de se concentrer sur leurs fondamentaux aux Etats-Unis. Nous sommes conscients que nous avons fait partie de cette vague.


On entend davantage parler des projets Internet de Vivendi Universal que de la structure Vivendi Universal Net (VU Net). Comment s'organise-t-elle ?
VU Net est la division Internet de Vivendi Universal et nous avons déjà investi 1,5 milliard d'euros en créations et acquisitions. Aujourd'hui, elle a quatre pôles d'activité : les services d'informations et les portails généralistes (Vizzavi, iFrance, Scoot, Bonjour, etc.). Nous avons des relations privilégiées avec USA Networks [NDLR : qui regroupe les sites Universal : TicketMaster (billeterie en ligne), CitySearch (city guides) et HotelReservation Network (réservation de chambres d'hôtels)]. Nous commençons à travailler avec eux. Nous regardons notamment les déploiements de ces projets en Europe qui auraient un sens. Dans VU Net figure également un pôle "entertainment et éducation" (avec Flipside, Education.com, CanalNumedia, Divento). On travaille actuellement à la formation d'un unité d'affaires spécifique "musique". Troisième centre : les supports ("enablers"), comme la régie publicitaire Ad2-One, le fournisseur d'accès en marque blanche eBrands, etc. Enfin, il existe un pôle capital-risque avec Viventures. Le rôle de VU Net est de piloter chacune de ces "business units" et de mettre en oeuvre un certain nombre de synergies dans le réseau (partage des coûts, des techniques comme la mutualisation de l'hébergement, des ressources marketing.). Par exemple, le portail multiservices iFrance a élaboré des partenariats avec une dizaine de sites dans le groupe. VU Net dispose d'un effectif de cinquante personnes et de deux grandes directions, technique et marketing. A terme, VU Net aura un pôle européen et américain.

Pourquoi avoir récemment nommé un deuxième directeur général pour VU Net ?
Je prends en charge la direction générale centrale (finances, techniques et marketing). J'ai également la responsabilité des pôles portails généralistes/services et supports. Agnès Audier, qui vient de nous rejoindre, supervise l'ensemble du pôle "entertainment", côté Europe et Etats-Unis, dont les projets autour de la musique. Philippe Germond, PDG de Cegetel, a les fonctions de PDG de VU Net.

De quelle capacité d'investissement disposez-vous ?
Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous avons engagé 1,5 milliard d'euros en capitaux depuis la création de VivendiNet en septembre 99. Nous sommes en bonne position pour acquérir d'autres "dotcoms" et actuellement, il y a des affaires à réaliser. Récemment, nous avons acquis eMusic aux Etats-Unis par exemple.


Estimez-vous que votre stratégie Internet est totalement maîtrisée dans un univers où tout va très vite ?
Je pense que tout est maîtrisé. Mais avec l'acquisition de Seagram-Universal, nous avons entamé de grands chantiers sur la musique en ligne. C'est dans ce secteur que l'on trouve le plus de problématiques et d'enjeux à court terme. Tout en gardant un oeil sur d'autres dossiers prioritaires, comme Vizzavi, CanalNumedia ou Flipside.


Si la stratégie Internet est maîtrisée, comment expliquez-vous que CanalNumedia a décidé de retirer la gestion publicitaire de ses sites à Ad2-One pour la confier à IP Interactive ?
La limite des synergies mises en place par VU Net est économique. Au cours de l'appel d'offres, IP Interactive a fait une proposition très agressive que CanalNumedia a retenue. J'ai demandé à Ad2-One de ne pas surenchérir. Thierry Laval (PDG d'Ad2-One) et moi avons jugé que le minimum garanti de chiffre d'affaires proposé par IP Interactive est trop élevé. L'accord signé est valable un an. Nous ferons un bilan à ce moment-là (Lire l'article du JDNet du 18/04/01).


Quelles relations entretenez-vous avec CanalNumedia ? Parfois, on a l'impression que la filiale Internet de Canal Plus veut préserver son esprit indépendant...
Non, je ne crois pas. Philippe Bismut, PDG de CanalNumedia, est membre du Comité de direction de VU Net et assiste à nos réunions hebdomadaires. Nos directeurs - technique et marketing - collaborent chaque semaine avec les équipes de CanalNumedia. Nous travaillons pour la réutilisation des solutions qu'ils ont développées. Même si CanalNumedia a une spécificité et une signature éditoriale, elle fournit le contenu "sport" à Vizzavi. Je peux multiplier les exemples de collaborations. Il existe vraiment une différence entre les rumeurs que rapportent les médias et la réalité que je constate sur le terrain.


A propos de rumeurs, certaines circulent souvent sur le rachat par Vivendi Universal de Yahoo, et plus récemment de Excite Europe. Qu'en pensez-vous ?
Nous ne commentons pas les rumeurs. Au niveau des portails généralistes, la priorité en Europe est donnée à Vizzavi. Nous avons un accord avec Vodafone avec des clauses de non-concurrence et d'exclusivité. Nous nous dédions au développement opérationnel de Vizzavi en Europe. Aux Etats-Unis, en revanche, nous sommes libres. Notre priorité est de développer des accords de distribution de notre contenu avec des portails. C'est le cas de Yahoo dans le projet de musique en ligne Duet.

Prenons les projets de VU Net, secteur par secteur. Comment comptez-vous développer le service d'accès Internet ?
Nos activités ISP via Vizzavi vont véritablement commencer en septembre. A priori, seuls Vizzavi et iFrance ont une vocation à proposer une offre d'accès Internet mais si nous trouvons pertinent de proposer ce type d'offres via d'autres marques du réseau, nous aurons la possibilité de le faire, notamment par le biais de notre prestataire de services eBrands. Ce type de services est bon pour des sites qui disposent d'une large audience et donc d'une base de données clients qui permet de réduire le coût de recrutement. .

Le projet Vizzavi a été lancé en juin 2000. Fin mai, le portail français offrira les premières convergences PC-mobiles. Vous ne pensez pas que le projet a été lancé trop tôt ?
Je propose une autre lecture. Il y a un an, les acteurs du Net considéraient que le Wap allait décoller très rapidement. Mais l'ergonomie des terminaux n'est pas comparable à celle que l'on peut observer sur les produits japonais. La connexion n'est pas permanente et le client paie à la minute. Vous réunissez ces conditions et on aboutit à un rejet du Wap de la part du consommateur. Parallèlement, nous nous devions d'être présents lors de l'étape du Wap, entre autres pour des raisons concurrentielles. L'Internet mobile va réellement décoller cette année en Europe avec l'arrivée du GPRS et de nouveaux terminaux pour Noël.


Dans son livre, "J6M.com", Jean-Marie Messier évoque la possibilité de proposer un accès Internet via les supports CD de musique...
Nous sommes en train d'étudier le projet. Cela pose des problèmes de droits d'auteurs et d'accords avec des distributeurs.


Que comptez-vous faire de votre participation dans AOL Europe ?
Ce que l'on a négocié avec AOL, c'est une sortie pure et simple. Nous ne resterons pas actionnaires. Il faut être clair : Cegetel et Canal Plus détenaient 55% de AOL France. Ces parts ont été échangées contre des obligations AOL Europe, qui seront payées soit en cash, soit en titre AOL Inc, soit en titres AOL Europe, si la structure est cotée. Immédiatement après, nous les vendrons aux meilleures conditions de marché.

Dans le secteur de la musique en ligne, vous avez lancé le projet de téléchargement musical Duet en vous fondant sur une alliance Sony-Universal Music. Une autre
plate-forme, MusicNet, a été lancée par trois autres majors (Warner-EMI-BMG). Estimez-vous que vous êtes désormais des concurrents ou des partenaires potentiels ?

Je fais toujours un parallèle avec les compagnies aériennes. Pour atteindre les clients finaux, celles-ci font appel à des systèmes intermédiaires qui recensent tous les vols et les horaires, des GDS comme Sabre ou Amadeus. Pour la musique en ligne, l'approche est similaire. Avec Sony, nous nous mettons d'accord sur certains points : le système des droits digitaux, le paiement sécurisé et des normes communes avec Duet. C'est un peu comme si on réservait un billet d'avion. Nous nous trouvons vraiment à un étage "grossiste". Tous les contenus passent par des systèmes intermédiaires comme Duet. Ensuite, il faut trouver des distributeurs.
En ce qui concerne la cohabitation avec MusicNet, je pense qu'à long terme, soit les deux plate-formes seront interopérables ou alors elle fusionneront. Duet sera lancé dans le courant de l'année aux Etats-Unis. Il viendra ensuite en Europe (Lire l'article du JDNet du 23/02/01).

Pensez-vous que Napster pourrait devenir un partenaire de Duet ?
Lorsque Napster deviendra légal, il pourra être un partenaire affilié à Duet.

Dans le domaine des annuaires en ligne, estimez-vous que Scoot Europe, dans lequel vous êtes impliqué, doive trouver un allié stratégique pour assurer son développement ?
Nous nous concentrons plutôt sur une approche locale. Pour chaque pays, Scoot a besoin de partenaires en matière d'accès aux clients (typiquement un opérateur mobile) et un autre pour constituer la base de marchands dans l'annuaire. On peut les trouver par des accords commerciaux. Pour un pays donné, Scoot n'a pas besoin d'avoir des millions de professionnels dans sa base. En disposer de 150.000 à 200.000 suffit. Après, les utilisateurs peuvent faire appel aux Pages Jaunes. L'avantage que les professionnels peuvent avoir avec Scoot, c'est un abonnement réduit. Nous ne sommes pas dans la même logique que les Pages Jaunes. On voit à travers l'Europe des rapprochements entre les éditeurs d'annuaires et les ISP des opérateurs historiques (ex : Wanadoo-Pages Jaunes en France, Tin et Seat en Italie, etc.). Les partenaires naturels de Scoot sont plutôt les journaux gratuits. Quant à Scoot France, qui a été lancé en mars, on fera le bilan à la fin du deuxième trimestre pour prendre un peu de recul (Lire l'article du JDNet du 21/03/01).

Les jeux en ligne : le portail Flipside avait l'ambition de s'appuyer essentiellement sur la publicité pour son financement. Comment comptez-vous réajuster le tir ?

Flipside compte s'appuyer sur la publicité mais aussi sur le marketing direct, grâce à sa base de données d'utilisateurs qualifiés. Il vend également son contenu à des tiers (Par exemple, TerraLycos en Amérique du sud). Flipside aux
Etats-Unis va atteindre son point d'équilibre entre le troisième et quatrième trimestres de cette année. [NDLR, à noter que l'intégration de UpRoar dans Flipside a entrainé un plan de licenciement, soit les trois quart de l'effectif aux Etats-Unis sur un total de 150 personnes, selon ZDNet].


Parmi la multitude de projets de VU Net, quelle est la plus grande réussite et votre plus grande déception ?
Je trouve que Flipside est le projet le plus élaboré. Pour le deuxième cas, je citerais @viso pour les raisons que j'ai évoquées auparavant.

Y'a t-il un secteur que vous n'avez pas encore investi et dans lequel vous voudriez percer ?
Sans doute l'automobile. Nous avons signé un accord avec Peugeot pour développer l'Internet embarqué.


Quel son vos sites favoris ?
Boursorama.com et Nasdaq.com pour l'information financière. Sinon, j
'aime bien le site KasparovChess.com ou le site Echecs de Libération.fr. J'achète également en ligne des livres sur les échecs dans une libraire en ligne spécialisée en Angleterre.

Qu'aimez-vous sur Internet ?

Tous les services en ligne qui me permettent de réaliser des gains de productivité. Ma denrée la plus rare actuellement, c'est le temps, et Internet me fait aller plus vite.

Que détestez-vous ?
La lenteur des connexions.


Utilisez-vous souvent votre portable wap ?
Oui. Pour consulter les cours de Bourse.


Frank Boulben, 34 ans, est diplômé de l'Ecole Polytechnique (1988) et de l'Ecole Nationale Supérieure des Ponts et Chaussées (1990). Avant de rejoindre Vivendi en 1994, il a été consultant pendant cinq ans chez Corporate Value Associates, une filiale du Boston Consulting Group. Il a ensuite pris les fonctions de vice-président de la stratégie chez Cegetel, filiale Télécommunications de Vivendi. En septembre 1999, il a dirigé le lancement de VivendiNet (devenu en avril 2001 Vivendi Universal Net). Depuis, Frank Boulben a joué un rôle important dans l'élaboration de la stratégie Internet multi-accès du groupe et dans la création de Vizzavi, détenu à parité par Vivendi Universal et Vodafone. Il est membre du conseil d'administration de Vizzavi Ltd et de Scoot.com plc.

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