JDNet. Qu'attendez-vous
concrètement de Chrysalead, le fonds d'investissement que vous avez lancé
?
Franck Riboud
Nous sommes effectivement à l'origine de ce fonds avec trois autres partenaires,
GIMV société d'investissement, CVC Capital Partners et Valoris. Cette
démarche va pour nous dans le sens de cette "convergence" qui
nous est chère. N'étant pas une société du secteur Internet mais
de marketing, nous avons considéré qu'il fallait mettre l'outil au service
de nos métiers. Cela va bien au delà de la technique elle-même : nous
devons intégrer de nouveaux modes d'organisation, de nouveaux comportements
et nous donner des capacités nouvelles de remise en cause, c'est à dire
d'innovation. Dans ce dispositif, Chrysalead joue pour nous le rôle d'un
laboratoire et nous donne une autre opportunité de dessiner le futur de
nos métiers.
Internet a des
fonctions multiples : CRM, communication externe et internet, e-Commerce,
réduction des coûts... Comment hiérarchiseriez-vous ces différents
rôles ?
C'est d'abord un problème d'objectifs
stratégiques avant d'être un problème de hiérarchisation. Pour Groupe
Danone, nous nous en sommes donnés quatre : développer notre compétitivité,
vers l'amont et nos fournisseurs en optimisant la supply chain et vers
l'aval avec nos clients de la grande distribution et du CHD [consommation
hors domicile, NDLR], améliorer la relation avec nos consommateurs,
améliorer l'efficacité de nos process internes et développer l'innovation.
Comment arrivez-vous
à piloter de façon cohérente et suivie l'ensemble de ces différents chantiers
?
Nous sommes passés à travers plusieurs phases : celle de la découverte
et du foisonnement des initiatives et des idées, phase que j'ai souhaitée
et soutenue. C'était l'époque où nous étions considérés comme faisant
partie d'une économie passéiste. Nous avons vite réalisé
quel était, pour une entreprise comme la nôtre, le défi des nouvelles
technologies. Ce n'était pas de changer de métier ou de stratégie, mais
de changer tous les modes de relation de l'entreprise en utilisant l'outil
comme un outil d'optimisation. Mais pour cela, et cela a été la phase
suivante, il a fallu structurer et coordonner les initiatives. Nous avons
donc créé une cellule de coordination : la "Danone Web Factory".
Aujourd'hui, nous avons défini des priorités, mais nous souhaitons poursuivre
en permanence la phase de découverte, de conquête et de remise en cause.
Un des atouts des nouvelles technologies, hors de la vitesse et de l'ubiquité,
c'est définitivement qu'elles génèrent une capacité d'adaptation
permanente au changement. Il n'y a pas plus porteur pour développer une
entreprise comme Groupe Danone. C'est cela la convergence "des anciens
et des modernes".
Les marques
de votre groupe sont présentes depuis longtemps sur Internet via des sites
comme danone.fr ou evian.fr. Quel bilan tirez-vous de ces sites en tant
que supports de communication ?
Nos sites de marques ont eux aussi évolué. Le premier stade a été
pour tous d'exister sur Internet. En dix-huit mois, on a vu une cinquantaine
de sites de marques se créer au sein du groupe. Le deuxième stade est
celui où la marque va se poser la question du service, du conseil, de
l'interactivité qu'elle doit apporter ou créer avec son consommateur,
en fonction de son positionnement, de ses valeurs, de sa spécificité et
de son domaine d'expertise. Et c'est là que la relation avec le consommateur
devient intéressante, puisqu'elle vous permet de lui apporter des réponses
adaptées. C'est pourquoi nous avons aussi développé des sites de contenu
comme Danoneconseils.com.
Quelles sont
vos intentions en matière de publicité en ligne ? Allez-vous investir
d'avantage ?
Je crois que la publicité en ligne, comme tout nouveau support,
va devoir s'adapter à son outil et à son langage. Aujourd'hui, il y a
profusion de bandeaux ou d'e-mailing, comme il y a profusion de sites.
Je pense que tout cela va évoluer : il va falloir s'intéresser à
qui sont les internautes et à ce qu'ils souhaitent.
Où en est un
groupe international comme Danone en matière d'Intranet ? Quelles applications
réveriez-vous d'avoir sur ce type d'outil ?
Commençons par le rêve
! Permettre à la majeure partie de nos salariés de rester focalisés sur
les tâches à forte valeur ajoutée et faire que l'Internet soit devenu
aussi banal que le téléphone d'ici un an, mais avec évidemment des possibilités
bien supérieures. L'Intranet, c'est déjà une vieille histoire
chez nous : Groupe Danone a été en 1998 une des premières sociétés à mettre
en place un Intranet Groupe. En moins de deux ans, 20.000 personnes y
ont eu accès. Nous avons une nouvelle version depuis octobre 2001, accessible
par le Web pour permettre aux "nomades" du groupe de se connecter
en permanence. Cet Intranet donne toutes les informations sur le groupe,
mais aussi les postes à pourvoir dans le monde entier, ou encore l'ensemble
des formations proposées. Beaucoup d'Intranets métiers (finances, relations
humaines, environnement, sécurité alimentaire, commerciaux
) ou sociétés
se sont créés depuis. Toutes les fonctions sont en train d'être digitalisées
ou "webisées" les unes après les autres. La "webisation"
des achats a été initiée il y a deux ans. Autre exemple, parmi tant d'autres
: la fonction RH, avec l'accès en ligne à toutes les informations pertinentes,
l'évaluation annuelle de performance, les opportunités de mobilité.mais
aussi des applications quotidiennes comme les notes de frais, les voyages...
Le groupe Danone et
d'autres grands industriels, dont des concurrents, participent à la place
de marché CPGmarket comme actionnaires et comme clients. Quel bilan en
tirez-vous ?
C'est effectivement un de nos dossiers les
plus avancés aujourd'hui. L'objectif, je le rappelle, n'était pas de créer
une "super centrale d'achats", il s'agissait essentiellement
d'optimiser notre supply chain, c'est à dire acheter plus efficacement
en supprimant une partie des coûts de process, d'automatiser ce qui peut
l'être et ainsi focaliser les acheteurs sur des aspects qualitatifs du
process. La relation commerciale reste la même, seule la partie opérationnelle
se fait à travers l'outil, avec d'avantage d'efficacité et une plus grande
transparence. Aujourd'hui, les économies sont difficilement quantifiables
pour deux raisons : CPG est opérationnelle depuis huit mois seulement,
ensuite il nous faut modifier les process internes. Mais déjà, les tractations
en ligne représentent 11 % des volumes d'achat de Groupe Danone en
Europe de l'Ouest. Je crois qu'une fois bien intégré, nous découvrirons
encore davantage d'économies, de valeur ajoutée pour les acheteurs, et
de professionnalisme pour l'ensemble des acteurs.
Après l'annonce
de votre plan de restructuration, Danone a été pris à partie en ligne
par des sites "personnels" comme jeboycottedanone.com et a réagi assez
violemment sur le plan juridique. Rétrospectivement, pensez-vous que cette
stratégie ait été pertinente ?
Je vous laisse la responsabilité de qualifier jeboycottedanone de "site
personnel"... Je ne crois pas que nous ayons réagi violemment. Je
crois simplement qu'il était important de ne pas mélanger deux choses
: un débat d'idées, aussi excessif soit-il, et un débat sur la protection
des marques. Nous n'avons nullement remis en cause la liberté d'expression.
Par contre, le respect des marques nous a semblé fondamental. Si Internet
donne une très grande liberté, et il faut s'en réjouir, ce n'est pas pour
autant croire qu'il n'y a plus aucune règle déontologique à respecter.
Je crois que c'est un sujet important sur lequel tout le monde se penche
aujourd'hui.
Dans quelle mesure
Internet modifie-t-il, selon vous, les rapports consommateurs-industriels ?
Il y a une différence fondamentale
par rapport aux outils classiques. Sur Internet, le consommateur a, selon
les moments, des rôles différents : acteur, consommateur avec des centres
d'intérêt multiples, citoyen de son pays, mais aussi citoyen du monde,
etc
Veut-il acheter, s'informer, participer à un débat, intervenir ?
C'est la notion même de consommateur qui va changer. Et c'est à nous,
industriels de nous adapter. Avec Internet, le lien de proximité est plus
fort, il est individualisé et les exigences du consommateur renforcées.
Comment avez-vous considéré
les mois dits de la "nouvelle économie" avec un fort mouvement de créations
de starts-up et le retournement qui a suivi ?
Je crois que, comme tout le
monde, nous avons été interpelés et même dynamisés par ce phénomène. Indépendamment
du fait que nous étions catalogués "ancienne économie", c'est
l'état d'esprit, la jeunesse, la remise en cause des schémas traditionnels,
le goût du risque, l'initiative qui nous séduisaient. Ensuite, nous avons
comme toujours envisagé les opportunités que cela pouvait apporter à un
groupe comme le nôtre. Maintenant, les excès financiers passés, il va
falloir apprendre à construire un monde différent. Cela va bien au-delà
d'Internet même si c'est un outil majeur de ce changement.
A titre personnel,
vous vous servez d'Internet ?
Oui, cela me permet d'être en contact direct, hors hiérarchie, avec des
collaborateurs très différents dans le monde entier. Je fais aussi des
achats et consulte beaucoup les sites sportifs.
Et qu'aimez vous
et que détestez-vous sur le Web ?
Ce que je n'aime pas en tant que personne ou en tant que consommateur,
c'est que l'on vienne violer mon "intimité Internet" où je m'imagine
pouvoir choisir et décider de tout. Arrive un mail publicitaire
et le
rêve s'éteint.