Après
avoir été mis en avant comme le Web pour les mobiles au
début de l'année 2000, le WAP est maintenant décrié comme
peu pratique, peu utile, cher et propriétaire ! De l'Expansion
(le magazine) à Anchordesk, de l'IETF à CNET.com tous sont
d'accord pour démolir le WAP et nier toutes ses perspectives
Lors du dernier Netmedia'2000 à Londres, la plupart des
conférenciers ont qualifié le WAP "d'aberration". Alors
quoi, le cycle du hype s'est lui aussi mis en phase avec
le "temps Internet" (délais ultra-courts) ?
En décembre
1999, tout le monde mettait le WAP en avant comme le Web
sur son GSM (nous étions alors la seule voix discordante).
En février 2000, lors du Cebit, tous les acteurs chantaient
en cur le refrain du WAP comme la voie pour "l'Internet
mobile". En mai 2000, on a commencé à lire des articles
relatant les difficultés de mise en uvre et l'usabilité
très limité des terminaux et des services. Aujourd'hui,
en juillet 2000, le "backlash" (retour de flamme) est quasi-unanime
Remarquons au passage que les critiques les plus virulentes
(MSNBC, Wall Street Journal, etc.) viennent plutôt des Etats-Unis
où le développement du téléphone mobile est en retard par
rapport à l'Europe. Que les Américains tentent de ralentir
un secteur où ils ne sont pas leader et de torpiller un
standard sur lequel ils ont peu de prise, c'est de bonne
guerre mais rien ne nous oblige à être forcément d'accord
avec eux.
Cela
dit, il est facile d'expliquer pourquoi on assiste à un
tel rejet : le WAP propose une interface utilisateur très
réduite, les services sont encore peu nombreux, l'accès
est coûteux, la navigation est souvent restreinte (le fameux
"waplocking"), le standard est d'origine "propriétaire"
et y être présent nécessite des développements spécifiques.
Voilà ce qu'écrivait le Wall Street Journal en juin 2000
à propos de "l'expérience WAP" : WAP est trop souvent une
histoire de serveurs surchargés, de quelques services sans
imagination et de quelques lignes de textes qui défilent
lentement sur un écran grand comme la moitié d'une carte
de crédit
Ouf, on comprend que la déception succède à l'euphorie
Ce retour
de flamme est logique dans la mesure où le WAP n'est pas
l'accès Internet pour tous, simple, facile et pas cher.
Comment s'imaginer que vous allez pouvoir " surfez le Web
" avec une interface qui se limite à 4 lignes de texte ?
Seuls les plus crédules peuvent prendre pour argent comptant
la publicité pour Vizzavi (particulièrement énervante, soit
dit en passant) qui passe en ce moment sur les écrans de
télévision. La vérité, c'est dans les statistiques de consultation
qu'on la trouve : actuellement, les utilisateurs européens
se connectent aux services WAP moins d'une fois par semaine
(source Deutsche Telekom). Et il y a de bonnes raisons à
ce succès pour le moins limité.
Les
articles relatant les retours d'expériences mettent en lumière
les faiblesses de l'accès Internet par téléphones mobiles
dues à l'interface utilisateur (on s'y attendait) mais aussi
les promesses non-tenues (là, c'est déjà plus grave) tel
que le fameux atout du positionnement (la technologie du
téléphone cellulaire permet de déterminer où vous vous trouvez
à tout moment
) : vous interrogez un service WAP pour choisir
un restaurant proche de votre situation géographique actuelle
et on vous propose des établissements trop éloignés
Si
le " Mcommerce " (M pour mobile) qu'on nous annonce avec
emphase repose sur cette fonction, on peut l'oublier pour
encore quelques années ! De plus, il s'avère que la mise
en service de l'accès au WAP soit encore trop compliquée
pour le grand public et que l'attitude des opérateurs de
téléphone mobile soit tout à fait inadéquate : pratiquer
le verrouillage (le waplocking) sur un portail est suicidaire
alors que c'est justement la liberté de passer d'un site
à l'autre qui a contribué au succès du Web.
Bref,
le premier bilan du WAP est lourd. Il risque même de s'alourdir
encore quand on va toucher les conséquences de ces limites
techniques
Les moins naïfs savaient déjà qu'on ne pouvait
reprendre tels quels les contenus des sites Web et qu'un
[gros] effort d'adaptation était nécessaire pour les rendre
disponibles à travers un service WAP à cause de l'interface
utilisateur qui est terriblement limitée (écran trop petit,
clavier inadapté). Déjà, cet effort était vécu comme un
sérieux obstacle à la mise en place rapide de services WAP.
Pire, il apparaît que l'interface varie d'un appareil à
l'autre ! Ceci implique, de la part des concepteurs de services,
un effort d'optimisation spécifique en direction des modèles
les plus répandus (ils ne sont pas encore très nombreux
mais, déjà, les inconsistances du standard se font sentir
).
Cela commence à faire beaucoup
Face
à tous ces inconvénients, certains commencent à préconiser
un abandon du standard WAP en faveur de son concurrent Japonais
I-mode ou même proposent des solutions de type passerelle
afin de reprendre plus facilement le HTML des sites Web
existants. Mais remplacer le WAP par un standard différent
ne changera rien au problème principal, l'interface utilisateur
restera ce qu'elle est : trop limitée pour un usage "généraliste".
Remplacer le WAP par une autre déclinaison ne changera rien
à cela. Certains observateurs proclament que l'essor de
l'Internet mobile est lié à la disponibilité des réseaux
cellulaires à large bande. Si c'est vrai, il faut savoir
qu'il y a de sérieux obstacles à surmonter, tant sur le
plan technique qu'économique, avant de pouvoir bénéficier
d'un accès Internet à haut débit ET mobile.
Tout
d'abord, il faudrait investir lourdement pour mettre le
réseau GSM actuel en conformité avec la norme UMTS (le haut
débit pour les mobiles) ce qu'aucun opérateur de téléphonie
ne peut ni ne souhaite (ils sont déjà soucieux de voir que
le délai prévu pour récupérer leur mise s'allonge avec l'accroissement
de la concurrence). Il faudra donc se contenter du GPRS
(bande passante moyenne) pour au moins 5 ans. Et c'est là
que les ennuis techniques apparaissent : le GPRS exige une
densification du réseau de cellules (ce qui limitera son
déploiement aux zones urbaines dans un premier temps).Mais
ce n'est pas tout, l'augmentation de la bande passante n'est
pas sans conséquence, elle se fait forcément au détriment
de la mobilité. Cela signifie qu'il sera impossible de rester
connecté en permanence dans un TGV par exemple. Cet handicap
physique induit d'autres modes d'utilisation qui restent
à découvrir et à vendre
Une fois encore, si l'Internet
mobile repose sur les hauts débits, revenez-nous voir quand
ils seront disponibles !
Le problème
essentiel n'est pas dans la bande passante du réseau, ni
dans les limites de l'interface. Le problème vient que le
WAP a été mal positionné dès le début. Le WAP n'est pas,
ne peut pas être "tout pour tous". C'est plutôt un complément
[nécessaire] de la démarche tout-Internet et le meilleur
rôle du WAP c'est bien de permettre le prolongement de la
personnalisation sur le terrain
En effet, l'utilisation
adéquate des terminaux sans fil va permettre de prolonger
les effets des sites Web reposant sur la personnalisation
jusque sur le terrain, là où se traitent les affaires, là
où avancent les processus. Dans une large mesure, les terminaux
sans fil sont le bras armé de la personnalisation et permettent
de garder le contact tout le temps et partout avec ceux
qui sont dans votre boucle relationnelle, clients, employés
et partenaires. La combinaison parfaite d'une application
de gestion de la relation client via l'Internet implique
un site Web qui permet de définir ses attentes grâce à une
interface économe de votre temps et de votre énergie et
des applications de communication simples reposant sur les
standards du " wireless " (comme WAP) afin de mettre à votre
disposition les résultats escomptés.
Un bon
exemple de cette combinaison de fonctions de personnalisation
prolongées sur le terrain par une interface WAP est fourni
par le service LinkUall.com. LinkUall est un site qui permet
de coordonner des équipes de projet à travers le Web, c'est-à-dire
de suivre des processus, de publier des documents, d'organiser
des réunions, etc. Ce service propose via son site Web une
interface très riche qui permet de personnaliser en profondeur
ses besoins et ses attentes. En revanche, il est évident
qu'on ne va pas rester accroché à son écran pour suivre
en permanence l'évolution d'un projet, on préférera naturellement
que ce soit le service qui vous prévienne directement quand
tel ou tel événement se produit ou quand tel ou tel seuil
est atteint. Cette fonction de notification était auparavant
délivrée via l'email et on devait généralement s'en contenter.
Aujourd'hui, la notification par e-mail est toujours nécessaire
mais est devenue insuffisante. Aujourd'hui, ce que l'on
veut, ce dont on a besoin, c'est de garder le fil en permanence
avec ses affaires, cela veut dire "tout le temps et partout".
Pour cela, il y a une solution et c'est l'Internet mobile
Revenons
à notre exemple avec LinkUall. Les notifications d'événements
tel qu'un changement de date pour une réunion sont désormais
possible via une application WAP : vous recevez directement
sur votre téléphone mobile le message de notification (au
format SMS et donc compatible avec la majorité des cellulaires
actuellement en circulation) et si votre terminal vous le
permet (en clair, s'il est compatible WAP) vous pouvez même
répondre et transmettre votre décision suite à cet événement
(dans le cas de la réunion décalée "oui, je serai présent").
On le voit avec cet exemple, l'Internet mobile est vraiment
complémentaire de la personnalisation puisqu'il en est le
prolongement et un site Web bien conçu est forcément l'interface
utilisateur adéquate qui permet de tirer le plus de cette
capacité de réaction sur le terrain. Bien évidemment, ce
type d'utilisation est loin des promesses marketing qu'on
nous a rabâché mais c'est pourtant bien concret et bien
utile. Que l'Internet mobile soit un complément de la démarche
tout-Internet plutôt qu'un élément autonome, ce n'est pas
douteux. En revanche, que ce soit bien le standard WAP qui
soit le meilleur candidat pour ce rôle est plus sujet à
caution
Ma réserve
ne s'alimente pas des critiques actuelles, aussi bruyante
que le hype qui a précédé. Non, je pense plutôt que l'attaque
la plus sérieuse en direction du WAP provient de l'IETF
(l'organisme de normalisation des standards de l'Internet
au sens large, le W3C se limite à ceux concernant le Web)
qui a publié en mai 2000 un document intitulé "le WAP est
un piège, rejetez-le !". Dans ce document, l'IETF explique
que le WAP n'est pas un standard ouvert, qu'il repose sur
des bases conceptuelles erronées et, qu'en conséquence,
il s'agit d'un échec technique qu'il convient de ne PAS
utiliser. Et c'est vrai que le WAP Forum (l'organisme qui
contrôle l'évolution du standard WAP) n'est que le rassemblement
d'acteurs de l'industrie comme Nokia et Ericsson. Ce type
d'assemblée n'est pas le meilleur garant pour la pérennité
d'un standard (qui se souvient du destin de l'OSF qui était
censé produire un Unix standard ?). Non seulement le WAP
est défini par des constructeurs mais, en plus, il est ensuite
promu et déployé par des telcos (opérateurs de téléphonie).
Là encore, ce n'est pas un atout vu le palmarès des telcos
à propos de l'Internet. On touche ici du doigt la différence
qu'il peut y avoir entre un standard proclamé, comme le
WAP, et des standards émergents comme l'Internet en produit
chaque année
Le WAP survivra-t-il au-delà de cette année
? Ce n'est pas certain. Ce dont je peux vous assurer en
revanche, c'est que son successeur réussira, s'il sait limiter
son ambition à être un complément " tout-terrain " du Web,
pas un concurrent
[Alain
Lefebvre, vice-président du groupe SQLI]