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Interviews |
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Hector Avalos
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Directeur
technique Europe du Sud
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Juniper
Networks
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"Le
véritable besoin d'IPv6 se fera sentir en 2005" |
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En novembre 2001, un équipementier annonçait
pour la première fois le déploiement effectif
du protocole IPv6 chez certains de ses clients. Aujourd'hui,
Juniper
Networks n'est plus le seul à avoir dévoilé
la mise à jour de ses produits, puisque de grands
concurrents comme Cisco ont procédé à
des déclarations analogues. Sur le versant IPv6
Mobile, Nokia était déjà dans la
place. Mais tous ne sont pas logés à la
même enseigne lorsqu'il s'agit de mettre à
niveau leurs routeurs et autres commutateurs.
Le secret de Juniper Networks pour faciliter l'implémentation
du protocole IPv6 dans ses équipements ? Une architecture
de composants électroniques Asic, équivalente
à des processeurs logiciels. Afin de faire le point
sur les infrastructures Internet de prochaine génération
et les véritables enjeux de leur déploiement
planétaire, nous avons interrogé le directeur
technique pour l'Europe du Sud de Juniper, Hector Avalos.
Qui dénoue la complexité de ces technologies.
Pour mieux comprendre les termes techniques abordés,
lire notre Questions/réponses
sur les protocoles réseaux
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Propos recueillis par
François Morel le 29
novembre 2001
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JDNet
Solutions. Quelles sont les caractéristiques du
premier routeur IPv6 de Juniper Networks ?
Hector Avalos
Ce n'est pas un routeur que
nous avons fait passer à IPv6, mais l'ensemble
de nos équipements. Pour cela, nous avons fait
évoluer notre logiciel Junos de la version 5.0
à la 5.1, qui a été testée
chez tous nos clients dans le monde. Juniper ne pré-annonce
jamais, et nous ne déclarons un produit que lorsqu'il
est déjà en vente. Nous sortons quatre versions
majeures par an de Junos, qui est installé sur
l'ensemble de nos gammes. Grâce à ce logiciel,
nos équipements peuvent gérer l'acheminement
des paquets sous Asic.
Cette technologie se présente sous la forme de
composants électroniques qui s'occupent du traitement
des paquets et évoluent très facilement
par mise à jour logicielle, à l'inverse
d'équipements de certains concurrents qui fonctionnent
avec des processeurs. Et donc, par rapport à eux,
nous n'avons pas besoin de modifier la configuration des
machines pour activer IPv6. Il suffit simplement de télécharger
la nouvelle version 5.1 de Junos.
Et
donc, c'est la raison pour laquelle vous avez commencé
à faire migrer tous vos clients vers la prochaine
génération d'Internet... ?
Cette évolution ne
concerne pas tous nos clients. A l'heure actuelle, nous
avons équipé le réseau VTHD de France
Télécom qui interconnecte les grands continents,
Renater pour relier tous les grands centres de recherche
en Europe, mais aussi 6-Dap qui est le backbone des réseaux
IPv6, et Worldcom. Mais la migration de cet opérateur
n'est pas encore opérationnelle en France (à
la date de l'interview novembre 2001, ndlr).
Aujourd'hui, IPv6 commence à peine à devenir
un besoin. Le véritable besoin est plutôt
entrevu pour 2005, à partir du moment où
il n'y aura plus suffisamment d'adresses IPv4 pour gérer
l'interconnexion de toutes les entreprises. Et c'est maintenant
que nous devons gérer la migration pour être
prêt à temps. L'annonce que nous avons faite
est qualifiée de majeure dans l'industrie, car
Juniper est un acteur très important des infrastructures
Internet de haut niveau. A l'heure actuelle, à
part nous, il n'existe pas encore d'équipements
de coeur de réseau qui supportent IPv6 en natif.
Or, toute notre gamme, qu'il s'agisse de ces matériels
ou de ceux installés chez les opérateurs,
peut supporter désormais IPv4 et IPv6 en même
temps.
D'un
point de vue géographique, où se situe la
plus forte demande autour de IPv6 ? En Europe ou aux Etats-Unis
?
D'abord, c'est le continent
asiatique qui connaît la plus forte croissance,
puis l'Europe et enfin les USA. Ceci est du à l'historique
d'Internet. Au départ, des plages d'adressage IPv4
ont été attribuées à chaque
région du monde, et ce sont les Etats-Unis qui
en ont remporté le plus. En Europe et en Asie,
moins d'adresses ont été disponibles. A
présent les USA sont peut-être moins concernés
aujourd'hui, mais ils seront forcément touchés
dans l'avenir. Ensuite, il faut aussi mentionner IPv6
Mobile pour interconnecter l'Internet sans fil. Or, la
croissance des terminaux en Europe ne peut être
gérée avec l'actuel IPv4. En Asie aussi,
du reste, car IPv4 n'est pas fait pour cela. Et nous attendons,
selon les prévisions d'analystes, près de
400 millions de terminaux mobiles qui doivent se
connecter dans les années à venir.
Par ailleurs, d'autres types d'équipements se voient
attribuer des adresses IP, comme les consoles Sony PS2
qui sont dotées d'un équivalent de Windows
avec d'ores et déjà la possibilité
d'activer IPv6 et de pouvoir gérer l'interconnexion
des jeux. Dès le départ, la PS2 a été
conçue pour supporter IPv6, et peut évoluer
très vite par simple messagerie logicielle, tout
comme Windows.
Evidemment, je ne peux pas parler à la place de
Sony, mais toutes ces machines vont représenter
des connexions en puissance avec la possibilité
de leur fournir des services. C'est de ce type de constatation
que vient la nécessité de déployer
IPv6, et c'est pour cela que nous nous y mettons maintenant.
Et les opérateurs qui déploient sont ceux
qui regardent vers l'avenir: France Télécom
avec son réseau à très haut débit
VTHD, Renater dont le rôle est de promouvoir la
recherche et les nouvelles applications, etc.
Faire
évoluer les réseaux à hauts débits
est une chose, mais mettre à niveau toutes les
entreprises et tous les utilisateurs paraît plus
compliqué. Comment cela va-t-il se passer ?
Effectivement, le fait que
le réseau tout entier puisse supporter IPv4 et
IPv6 n'est qu'un aspect de la situation. On ne peut pas
demander à des millions d'utilisateurs de migrer
sur IPv6. C'est la raison pour laquelle il faut pouvoir
supporter les deux. En ce qui concerne les interconnexions
d'applications IPv4 avec d'autres exclusivement IPv6,
il y aura besoin de passerelles spécifiques. Pour
les sites Internet, il faudra soit utiliser des passerelles,
soit faire jouer les deux protocoles sur deux accès
différents, pour que les utilisateurs IPv4 et IPv6
puissent afficher librement les pages.
Certaines modifications des réseaux seront inévitables
et notre annonce est majeure aussi pour cela, car les
opérateurs et les ISP peuvent désormais
faire évoluer leurs infrastructures en douceur.
Nous savons que des problèmes vont survenir dans
les années à venir, et il est important
de commencer à planifier dès aujourd'hui
des solutions.
Cela
signifie-t-il que toutes les infrastructures, tous les
sites web, et quasiment toutes les applications devront
être mise à niveau ? Peut-on parler d'un
chantier énorme avec des coûts exhorbitants
?
Il faudra probablement passer
par plusieurs mécanismes de mise à jour,
et ensuite tout dépend des OS (systèmes
d'exploitation) et des machines utilisées. Windows
XP, par exemple, offre le support natif de IPv6. Si le
système est un Unix ou un Linux, il faudra commencer
à migrer au niveau des applications. Mais cette
évolution n'est pas encore mise en oeuvre car le
temps d'IPv6 n'est pas encore venu. La connexion restera
encore à la norme IPv4 pendant quelques années,
mais il faudra alors migrer les infrastructures et les
applications. Et là, il faut savoir que les opérateurs
qui sauront gérer plus efficacement cette migration
pourront optimiser les coûts de leurs infrastructures.
Sur l'ensemble de notre offre, nous offrons le support
des deux protocoles de bout en bout de la connexion.
Pour
en revenir aux équipements des infrastructures,
les routeurs sont-ils les seuls à devoir migrer
? Ou faudra-t-il aussi faire évoluer les commutateurs
?
Juniper est uniquement un
constructeur de routeurs IP pour les opérateurs
et les entreprises. Tout ce qui est commutateur, soit
ATM soit Frame Relay ou autre, se situe à la couche
2 du modèle OSI et n'a pas directement besoin d'évoluer
(lire notre Questions/réponses
sur les réseaux et leurs protocoles). Les
routeurs doivent traiter les niveaux supérieurs.
Or, tout ce qui part du niveau 3 et au dessus est impacté.
Et c'est pourquoi les OS doivent être mis à
niveau.
Quelles
seront donc les grandes étapes d'ici 2005, année
de la démocratisation d'IPv6 selon les prévisions
?
La principale étape
concerne toutes les infrastructures de transport IP qui
vont devoir migrer au fur et à mesure. Cela concerne
d'abord les principaux acteurs qui opèrent des
noeuds d'interconnexions et d'échanges intercontinentaux.
Les entreprises ont un peu plus de temps devant elles,
car le besoin n'est pas encore défini au présent.
Ce sera surtout pour les nouveaux sites que la problématique
de migration va se poser. Quant aux terminaux sans fil,
cela sera toujours très lourd. Mais désormais,
les applications mobiles iront plus vite et vont directement
gérer le rythme d'évolution des autres applications
IPv4 en IPv6. Si je suis "content provider"
et que je souhaite fournir des services de contenu, il
faudra que mon application soit IPv6.
Oui,
mais selon vous, quand les ISP et les entreprises devront-ils
migrer ? En 2005, avant, ou après ?
C'est difficile à
dire. Wanadoo, par exemple, n'a probablement pas encore
besoin d'IPv6, mais France Télécom International
en a besoin. Les infrastructures de premier niveau vont
bouger au fur et à mesure, puis celles qui offrent
la connectivité aux terminaux mobiles vont directement
migrer le plus tôt possible. De préférence
avant 2003 si elles veulent être prêtes pour
l'UMTS, mais cela dépend des équipements
que choisissent les opérateurs. IPv6 est la seule
solution qui permette de supporter la croissance finale.
Certains vont devoir migrer, et d'autres seront directement
compatibles. Les derniers de la chaîne seront probablement
les entreprises à qui suffit IPv4. Autrement, elles
pourront procéder à l'interconnexion de
leur infrastructure avec Internet à travers leur
opérateur ISP. Auquel cas, aucune application n'a
besoin d'être modifiée dans l'immédiat.
Le problème viendra au moment où l'ISP souhaitera
raccorder de nouveaux sites et n'aura plus d'adresses
IP à leur donner. Dans le monde, c'est à
peu près 63 nouveaux utilisateurs par minute que
l'on connecte à Internet. Si l'on regarde le nombre
d'adresses encore disponibles en IPv4, nous allons vite
nous retrouver avec un problème majeur en terme
d'adressage. En 2005, France Télécom prévoit
qu'il ne pourra plus supporter d'interconnexion en IPv4.
D'ici
là, quelles ruses permettent de contourner la saturation
?
Chaque client connecté
ne se voit pas toujours attribuer une adresse IPv4 en
propre, car les opérateurs/ISP disposent de mécanismes
permettant de gérer plusieurs utilisateurs avec
une seule adresse. Aujourd'hui, c'est ce qui est utilisé
dans le cadre des LAN (Local Area Networks, ou réseaux
locaux). 100 adresses suffisent pour gérer
500 utilisateurs. L'adresse privée existe
bien dans l'infrastructure, et un équipement se
charge de la translation vis-à-vis des réseaux
étendus (WAN ou Wide area networks). Grâce
à ces mécanismes mis en oeuvre pour gérer
les adresses, le besoin d'IPv6 a été repoussé.
Mais nous allons vite arriver à un moment où
la translation d'adresses va devenir trop complexe.
A
part cette possibilité de gérer davantage
d'adresses, quels autres bénéfices apporte
IPv6 ?
Plusieurs parties sont à
considérer. D'une part, la sécurité
renforcée est elle-même intégrée
à IPv6, qui va aussi influer sur la valeur ajoutée
de la partie finale, l'application elle-même. La
nouvelle version du protocole Internet apporte également
la possibilité de gérer la qualité
de service de façon simple. Enfin, la partie correspondant
aux terminaux mobile permet de suivre les changements
de lieux tout en gérant dynamiquement la connectivité
en rapport.
Selon
vous, IPv6 va-t-il créer de nouveaux marchés,
voire en atrophier d'autres qui seraient menacés
d'extinction ?
Je ne crois pas que des marchés
vont disparaître. Tout va évoluer. Je crois
davantage à l'apparition de nouveaux marchés
qui vont émerger avec la possibilité d'adresser
de nouveaux terminaux et de nouveaux services. Maintenant,
il est très difficile de prévoir lesquels.
Mais j'imagine qu'il sera possible, à l'hôtel,
de payer directement par téléphone sa chambre
à l'arrivée via une formule de paiement
électronique. Seule l'imagination peut laisser
prévoir ce qui va arriver. Selon cette logique,
les jeux en ligne devraient aussi évoluer et laissent
prévoir de belles réalisations aussi bien
sur des postes fixes que mobiles. D'ici là, nous
restons dans un premier temps sur les applications existantes.
Et le premier axe majeur réside dans l'interconnexion
des terminaux sur les infrastructures IPv6.
A lire aussi : Ca
existe ? Quel successeur pour IPv6 ?
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Depuis septembre 1999, Hector Avalos assume
la fonction de directeur technique pour l'Europe du Sud
chez Juniper Networks. Auparavant, il a travaillé
pendant six ans comme consultant réseaux chez
différents fournisseurs spécialisés
dont 3Com. Titulaire d'un BSc degree en ingénierie
et science de l'informatique obtenu à l'université
de Las Americas de Mexico, il a participé aux développements
de plusieurs protocoles de communication de données,
en collaborant avec l'IETF (Internet engineering task
force) notamment en 1998 et 1999.
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