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Interviews |
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Gilles Lacombe
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Lotus
& Portals Market Manager |
IBM
Software |
"Il
manque encore aux entreprises européennes un Chief Knowledge
Officer" |
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Dans notre précédente édition, nous
avions publié la première partie de nos
entretiens avec les responsables européen et français
de l'offre Lotus d'IBM
Software. A présent, nous nous tournons
de nouveau vers le second, Gilles Lacombe, afin
d'approfondir le thème de la gestion des connaissances.
Comment l'éditeur perçoit-il la demande
des entreprises ? Certains chantiers sont-ils plus lourds
que d'autres ? Peut-on considérer la business intelligence
comme une composante additionnelle du KM (knowledge management)
? Des réponses avec le spécialiste de la
question chez IBM Software France.
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Propos recueillis par François Morel le 27
février 2002
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Observez-vous
aujourd'hui de nouvelles demandes des entreprises en matière
de KM ?
Gilles Lacombe:
Oui. Mais cela dépend un peu de ce que l'on met derrière
le terme "knowledge management". Est-ce uniquement de
la gestion documentaire, qui est le domaine le plus mûr
et où la demande est la plus importante ? Avant de se
lancer dans la gestion des connaissances, il faut d'abord
avoir une gestion des contenus qui soit solide.
Ensuite, nous avons tout ce qui touche à la connaissance
autour des processus de l'entreprise. Souvent dans ce
domaine, les process ne sont pas documentés. Et là, je
vais du plus mûr au plus nouveau. Le troisième élément
concerne les portails. Quand les entreprises se lancent
dans la gestion des connaissances, cela passe souvent
par la mise en place de portails. Et enfin, le dernier
point et aussi le moins avancé concerne tout ce qui tourne
autour de la recherche d'expertise. Il s'agit de chercher
la personne avec la compétence appropriée, de la trouver
et de prendre contact avec elle.
Selon vous, la gestion des connaissances
est-elle un processus réellement identifié
dans l'entreprise, par exemple comme la gestion de la
chaîne logistique ?
En fait, il n'y a pas de gestion des connaissances comme
on traite de la facturation. Lorsque l'on a à gérer un
problème particulier en facturation, on sait où sont les
données. Quand on s'intéresse au KM, ce n'est pas une
seule entité qui est demandeur. Les processus sont très
complexes, et les acteurs éparpillés. Ils ne font pas
tous partie d'une seule direction. Souvent, la gestion
des connaissances est un projet d'entreprise. Les personnes
impactées sont très dispersées et interviennent dans différents
processus.
C'est l'un des premiers domaines qui nous génère une telle
complexité. En général, les américains ont un Chief Knowledge
Officer dans leurs organisations. Dans les pays européens,
nous n'avons pas de CKO. Souvent, ce que les entreprises
ici appellent de la gestion des connaissances est en fait
de la veille technologique. Or, le knowledge management
ce n'est pas un projet dans un coin mené par des personnes
en marge de l'entreprise.
Lorsque l'on aborde la technologie,
doit-on parler des outils ou plutôt d'une infrastructure
logicielle ?
Je pense qu'il faut parler des
deux. Se lancer dans un projet de gestion des connaissances
demande de se poser énormément de questions que l'on ne
doit pas se reposer à chaque fois. Ce sont des fondations
que l'on met en place et que l'on réutilise. Il faut mutualiser,
sinon l'on réinvente la poudre à chaque fois. Souvent,
les personnes que nous rencontrons dans les entreprises
disent que "la gestion des connaissances est très complexe,
c'est presque de la science-fiction. Comment faire et
par où commencer ?" D'abord, commençons par organiser
la connaissance explicite dans l'entreprise.
A partir de là, nous pouvons déjà proposer un certain
nombre d'outils. La gestion des connaissances ne se conçoit
pas à partir de zéro. Il s'agit de rationnaliser l'information,
de la catégoriser et de la rendre accessible. Certains
clients pensaient qu'ils pouvaient partir sans un existant.
La plupart ne savent pas par quel bout commencer. Quand
on parle de gestion des connaissances, on rencontre des
notions telles que la taxonomie, autrement dit la catégorisation
du contenu. Dans notre cas, nous allons plus loin que
la gestion du contenu : nous pouvons gérer une carte des
connaissances. Et nous pouvons débroussailler le terrain
à partir d'une vue comme celle-là.
Partir de l'existant... Voulez-vous
dire que pour faire de la gestion des connaissances, il
faut déjà avoir des connaissances ?
Le projet vise notamment à capitaliser sur la connaissance
qui existe dans les documents. Deux défis majeurs s'imposent
en gestion des connaissances : les utilisateurs doivent
modéliser cette connaissance, et ils doivent ensuite la
partager. Souvent, ceux qui ont été obligé de capitaliser
sur l'existant ont rencontré des problèmes dans ces deux
phases. Certains ne pouvaient pas se permettre d'envoyer
sur le terrain des commerciaux sans tenir compte de ce
qu'avaient fait leurs équipes ou collègues. Mais ceux-là
disposent déjà d'une foule de documents sur lesquels il
est possible d'effectuer un tri, de voir ce qui est pertinent
ou non, et ce qui peut être utile au groupe.
Derrière la gestion des connaissances se retrouve une
idée importante. Dans un tel projet, on s'intéresse à
l'efficacité d'un groupe, et pas forcément à celle d'un
individu. Tous les outils que nous avons vu sortir ces
dernières années tentaient d'améliorer l'efficacité d'un
individu sans vraiment se préoccuper du groupe, et l'on
s'est aperçu que cela ne suffisait pas. Un document peut
être magnifique, mais s'il est inutilisable et non publié,
cela n'a aucun intérêt dans une optique de gestion des
connaissances. Il faut donc déjà bénéficier d'une carte,
et partager ensuite l'information entre les personnes.
Le plus gros chantier est-il finalement
celui de la normalisation des modèles de documents
et de données ?
Oui, si l'on s'attache au contenu.
C'est d'essayer de faire en sorte que, lorsqu'on part
d'un existant, on puisse le retrouver et le réutiliser.
Mais le KM ne doit pas se résumer à suivre un canevas
particulier au moment de la publication.
Maintenant, c'est vrai que cela peut être important. Quand
on publie de l'information à l'extérieur, on a l'impression
qu'elle est déjà la plus claire possible. Et finalement,
lorsque l'on va voir le site d'un partenaire, celle que
l'on y trouve peut paraître un peu obscure. Entre entreprises,
ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de plus gênant.
Mais à l'intérieur même de l'entreprise, un collègue qui
travaille sur un domaine particulier aura sa propre démarche
lors de la création d'un document. Tout en étant très
compétent, sa façon de décrire le processus ne sera pas
forcément intelligible pour une autre personne selon son
mode de pensée. Quand on publie, il faut donc imposer
un cadre. La notion de normalisation s'y prête bien, mais
commence à introduire une certaine rigidité. En attendant,
elle convient à un site Internet ou un intranet, où l'arborescence
du contenu doit être normalisée.
Peut-on
définir une ergonomie qui tienne compte des modes de pensée
des utilisateurs, avec une forme de personnalisation ?
C'est bien cela, le problème.
Souvent, la gestion des connaissances est accessible à
travers un portail. Suivant le métier que l'on exerce,
ce n'est pas la même façon de chercher l'information.
Un technicien va savoir comment retrouver celle qu'il
recherche à l'autre bout du système de l'entreprise, et
n'aura pas forcément le même cheminement qu'un commercial.
D'autre part, lorsque l'on fournit de l'information au
technicien ou au commercial, celle-ci n'est pas présentée
de la même façon. Ici rentre en jeu tout ce qui est du
domaine de la personnalisation.
En France, nous rencontrons une ambiguité. Les personnes
veulent que telle fenêtre soit à gauche, que le menu de
la cantine apparaisse en bas, etc. Mais la personnalisation
va beaucoup plus loin que cela et s'attache au contenu.
Certaines personnes auront accès à 100 % de l'information,
et d'autres à 30 ou 40 % mise en forme différemment.
Certains composants de la gestion
des connaissances sont-ils particulièrement clefs ? Lesquels
?
Le premier englobe les sources
d'informations : sont-elles situées sur des bases locales
ou distantes, sur des sites web, sur des postes clients...
? A un moment donné, il faut indexer tout cela et définir
des moyens d'accès que l'on puisse retrouver quelque part.
Cela signifie donc la source, bien sûr, mais aussi un
plan intermédiaire où l'on range les indexes. Dans une
entreprise, il faut pouvoir définir une taxonomie en dressant
une succession de catégories. Et après, quand on avance
dans la chaîne, il faut aussi des outils pour rechercher
l'information, et d'autres pour se mettre en relation
avec des individus.
Nous pouvons donc résumer cela en trois parties : le contenu
lui-même dans des bases de connaissances ou des bases
de données, les personnes qui recherchent des informations
ou d'autres personnes, et les endroits où l'on peut échanger
l'information de manière formelle ou informelle. Au niveau
de la source, il faut pouvoir accepter des standards de
fait comme XML et les technologies Microsoft. Au niveau
de la recherche, il faut pouvoir s'interfacer avec les
moteurs déjà en place. A ce stade, la base d'indexation
va servir à établir la gestion des connaissances. Et après,
il faut enfin des outils qui permettent de dresser la
carte de ces connaissances. Ceux-ci sont des robots qui
dressent des affinités entre les personnes et les documents.
Cela
suppose donc un référentiel XML, un annuaire LDAP... ces
éléments sont-ils incontournables dans l'infrastructure
de KM ?
Nous avons déjà abordé le premier
à travers la taxonomie. Ensuite, l'annuaire LDAP sert
surtout à la gestion de la sécurité. Quand un individu
cherche un document, il faut peut-être lui en masquer
d'autres s'il n'a pas le droit de les consulter.
Les composants essentiels sont donc la source, la sécurité
avec l'annuaire, et des systèmes qui mettent en relation
les personnes les unes avec les autres comme la messagerie
instantanée. Ce sont des outils qui permettent aussi la
mise en commun de l'information. En même temps que je
publie de l'information, je fixe aussi la date de la prochaine
réunion. Et l'on rentre dans la gestion de planning et
de projets.
Quand nous mettons en place un portail, ensuite, d'autres
outils sont essentiels : ceux qui permettent de se connecter
aux applications existantes. Aux SGBD soit, mais aussi
aux applications de type ERP et aux fournisseurs de contenus
externes. Enfin, le dernier point essentiel est de pouvoir
fournir cette information quel que soit le lieu où se
trouve le collaborateur. Il faut donc penser à tout ce
qui rentre dans le cadre des accès mobiles. Si l'on a
mis en oeuvre les standards à chaque fois, cette étape
ne doit pas poser de problèmes. En revanche, il s'agit
de ne pas envoyer sur un Palm la même information aussi
complète que sur un PC fixe.
Comment
les technologies décisionnelles s'inscrivent-elles dans
un projet de KM ? Doivent-elles être démocratisées à l'échelle
de l'entreprise ?
Cela fait partie des composantes
qu'il faut parfois mettre en oeuvre. Mais je ne sais pas
s'il est pertinent que tout un chacun dans l'entreprise
y ait accès. D'un autre côté, si l'on met à disposition
des managers une plate-forme de business intelligence,
cela peut représenter un outil complémentaire dont ils
peuvent avoir besoin. Mais je ne pense pas qu'il faut
en généraliser l'accès.
Le décisionnel est l'une des sources possibles d'informations.
Dans un portail, le collaborateur a accès à un certain
nombre de sources, donc pourquoi pas à un outil décisionnel.
Mais cela reste une source comme une autre. Parfois, aussi,
j'aurais besoin dans mon interface de disposer d'une fenêtre
ouverte sur mon ERP. Le décisionnel fait partie de la
gestion des connaissances, mais n'a rien à voir avec la
gestion documentaire ou la gestion de contenus que l'on
a vu au début. Quand j'évoquais le fait d'analyser le
fond documentaire, il s'agit bien d'un outil central à
la gestion des connaissances.
Valéo a fait le choix de Lotus
au niveau global. Lorsque vous dites que c'est la tendance,
la gestion des connaissances ne concerne-t-elle pas aussi
des périmètres plus réduits comme un pôle d'activité ou
un département ?
Je ne dis pas qu'il n'y a pas
des projets qui démarrent dans des départements ou des
directions, mais ce n'est pas forcément le plus efficace.
Quand on lit les rapports d'études, on s'aperçoit que
s'il n'existe pas une mobilisation forte de l'entreprise
toute entière, le système de KM n'avance pas. C'est un
peu la même chose que pour la messagerie électronique
il y a 5 ou 10 ans. Quand chacun a du se plier à cette
nouvelle façon de travailler, cela a été très difficile
au début. Il faut savoir qu'il est beaucoup plus compliqué
de faire travailler des personnes ensemble que de faire
fonctionner des outils, car chacun doit partager sa position
et son pouvoir. Donc, la gestion des connaissances marche
très rarement sur le seul bon vouloir des personnes. Mais
dans certains cas, peut-être que cela peut partir d'une
initiative isolée.
Voulez-vous dire qu'en France,
la maxime "diviser pour régner" a toujours cours y compris
au sein des directions générales ?
Nous n'avons pas trop cette impression. Les directions
générales sont bien conscientes, au contraire, que beaucoup
de personnes travaillent dans l'entreprise tout en s'ignorant.
Le frein se situe davantage au niveau des utilisateurs
sur le terrain, et je dirais même qu'il est inconscient.
La gestion des connaissances répond à des questions de
type : "ça tu l'as fait, mais comment ? Et quels soucis
as-tu rencontré ?".
S'il est un frein à la gestion des connaissances, peut-être
plus en France que dans d'autres pays, c'est surtout le
frein au partage. Beaucoup de gens dans l'entreprise ne
sont pas enclins à partager sur ce qu'ils pensent être
de la valeur ajoutée. Cela dit, il y a toujours eu aussi
dans l'entreprise des gens qui partageaient facilement.
Le problème de la direction générale, ce sont plutôt les
managers qui partent en retraite et qui quittent le navire
avec leurs connaissances.
Pour terminer, pouvez-vous nous
résumer les grandes tendances que suit Lotus en
matière de gestion des connaissances ?
Je peux vous donner nos
grands axes stratégiques. D'une part il y a tout ce qui
touche à la collaboration avec la messagerie instantanée,
en temps réel, qui va au delà des forums mis en place
avec QuickPlace. La messagerie instantanée que nous offrons
dans SameTime permet à tout un chacun de s'envoyer des
messages, de mettre un document en commun et de l'enrichir,
tout en partageant l'application. Avec ce produit, vous
pouvez donner le contrôle de votre application à une personne
distante. Nos systèmes d'e-learning sont basés là-dessus.
L'an dernier, nous avons enrichi ces offres avec des capacités
audio et vidéo, et nous ne sommes plus tributaires des
technologies NetMeeting de Microsoft.
Donc nos principales directions sont la collaboration
avancée avec QuickPlace, les aspects temps réel avec SameTime,
la gestion documentaire avec Domino Doc, la gestion de
processus avec Lotus Workflow, l'e-learning avec LearningSpace,
et la gestion des connaissances avec Discovery Server.
A cela, ajoutons Domino Extended Search qui permet à l'utilisateur
de lancer des recherches fédérées sur n'importe quel système,
un peu comme ce que fait Copernic. Et cette fonction figure
dans notre offre Domino Discovery Server.
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