France Télécom a inauguré son plan an 2000 en 1996
en investissant près d'un milliard de francs. Pas
moins de 500 personnes ont été mobilisées.
Gérard Borel explique les choix de l'opérateur
historique pour sa mise en conformité an 2000...
et les étapes à venir.
Propos recueillis le 9 juillet 1999 par
Alain Steinmann
JI:
Quelle structure a été
mise en place par France Télécom ?
Gérard Borel: Il n'y a pas de monsieur
an 2000 chez nous. La structure mise en place pour
faire face au bug est calquée sur l'organisation
de la maison: la branche réseau a été
chargée de l'adaptation du réseau, la
branche client des services clients et mon service
s'est occupé du système d'information.
Tout le monde devait respecter les mêmes échéances
pour que le plan puisse se poursuivre et se terminer
par des tests. Tous les mois, une réunion de
coordination était organisée entre les
différents chefs de projet. De plus, chacun
assistait aux réunions organisées par
les autres services.
Quelle a été
votre stratégie pour les corrections ?
80%
de nos applications nécessitaient une correction,
ce qui représentaient environ 700 applications.
Nous avons opté pour une solution de fenêtrage
plutôt que pour une expansion à 4 chiffres
des dates. La fenêtre choisie va de 1950 à
2049.
Au départ, nous nous étions dit que
l'an 2000 était essentiellement un problème
applicatif mais nous avons vite vu l'aspect composants
techniques. Les interfaces n'ont pas été
modifiées et continueront de tourner avec 2
caractères. C'est l'application qui reçoit
les informations qui procède au fenêtrage.
Pourquoi
avoir choisi le fenêtrage ?
Le
fenêtrage est environ 2/3 moins cher que l'expansion.
Et surtout, il permet la généralisation
progressive de l'ensemble des applications. Dès
qu'une application est corrigée et fenêtrée,
on peut la généraliser. Cela nous a
aussi permis de ne pas toucher à nos bases
de données.
Quelles
ont été les étapes de l'adaptation
de France Télécom à l'an 2000 ?
Le
projet a démarré à l'automne
1996. La phase d'adaptation des applications s'est
terminée vers la fin 1998. Nous avons ensuite
mené des tests de non régression pour
vérifier que les résultats produits
par nos applications étaient corrects. Puis
nous nous sommes intéressés aux applications
qui étaient susceptibles de traiter des dates
postérieures au 1er janvier 2000 pour nous
assurer de leur bon fonctionnement. Enfin, nous avons
mené des tests purement an 2000 en utilisant
des dates vieillies pour vérifier que les données
étaient bien traitées.
Avez-vous
eu recours à l'externalisation pour appliquer les
corrections ?
Non,
nous avons choisi la solution de faire traiter nos applications
en interne (50% du développement d'applications est
effectué en interne) ou par les sociétés
sous-traitantes ayant développé les applications.
Cela nous assure surtout que les personnes qui sont intervenues
sur nos applications seront disponibles le 1er janvier 2000.
Nous avons discuté avec certains partenaires qui
ont externalisé et qui en sont revenus. Nous n'avons
pas lancé d'appel d'offre international d'externalisation.
Le
principal danger ne vient-il pas de vos fournisseurs ?
Avec
les banques et les organismes externes, c'est essentiellement
l'aspect interface qui est en jeu. Comme nous n'avons pas
changé nos interfaces mais que ce sont les données
qui sont modifiées en entrée / sortie, il
ne devrait pas y avoir de problème.
L'aspect composant nous a donné plus de souci: il
a fallu attendre la version compatible an 2000 pour effectuer
nos tests. Les fournisseurs prévoient encore des
correctifs en juillet et peut-être en octobre.
Pendant quel laps de temps allez
vous figer votre parc applicatif ?
Nous
ne ferons plus de déploiement à partir du
15 novembre. Avec 50 directions régionales réparties
dans toute la France, notre position est difficile. Nous
allons essayer de tendre au déploiement optimal mais
c'est difficile.
A partir du 15 novembre, nous ferons des photos des versions
installées sur notre parc et nous ne reprendrons
l'installation qu'à partir du 15 janvier, sauf si
un fournisseur sort un patch fondamental.
Le
passage à l'an 2000 aura coûté combien
à France Télécom ?
Le
budget global prévu était d'un milliard de
francs dont 330 millions pour le système d'information.
Nous n'avons pas connu de dépassement de budget.
Nous n'avons d'ailleurs pas changé beaucoup de machines,
j'ai été étonné.
Le 3 janvier au matin, les micros bureautiques non passants
seront passés à l'an 2000 manuellement. Une
pastille est présente sur chaque ordinateur de France
Télécom (on en trouve 160 000 !) et indique
s'il passera ou non à l'an 2000 automatiquement.
Que
va-t-il se passer le 31 décembre à France
Télécom ? Espérez vous un jour férié
?
Que
le 31 soit férié ou non, de toute façon
nous devrons travailler. Certaines de nos agences
commerciales sont situées dans des centres
commerciaux et nous seront ouverts quoi qu'il en soit.
Le 31, nous sauvegarderons l'ensemble de nos données.
En cas de plantage systématique, nous aurons la possibilité
de restituer les données de la veille.
Dès 21 heures, nous recevrons des informations sur
le passage à l'an 2000 des autres opérateurs
de l'alliance Global One. Puis la hotline mondiale d'IBM
nous fournira les premières indications.
Combien
de personnes vont être mobilisées ?
Le
système d'information va mobiliser 150 personnes.
Vers 3 ou 4 heures du matin, nous testerons notre
réseau x25 et vers 8 heures nos serveurs d'applications
stratégiques. Des sites pilotes seront mobilisés
le 1er au soir et nous donneront une bonne idée
du fonctionnement général de notre réseau.
Le 2 janvier, 300 personnes seront mobilisées et
1 agence de chaque direction régionale fonctionnera
pour permettre à toutes les agences d'ouvrir le 3.
Dans
la nuit du 31 ou 1er janvier, ne craignez vous pas un problème
de facturation ?
Cette
période correspond à un pic de trafic assez
important, de 20 à 30% de plus qu'une heure chargée
habituelle. Nous avons demandé aux sociétés
d'attendre 0 heure 30 pour leurs premiers tests afin d'éviter
les collisions avec les voeux...
D'autre part, l'autocommutateur que nous utilisons peut
stocker les détails de communication pendant 6 heures
en cas de problème.
Pour l'édition des premières factures, un
centre de facturation anticipera le jour de calcul et vérifiera
ses résultats précisément.
L'arbre
de l'Euro n'a pas caché la forêt de l'an 2000
à France Télécom ?
Non
car nous avons fait le choix de monter 2 projets différents.
Même si nous avions des échéances quasiment
identiques, l'Euro n'avait pas un aspect "composant
technique" aussi aiguë. Nous avions un budget
dédié à l'an 2000 et nous avons veillé
à ne pas affecter les évolutions de nos applications.
Avez-vous
mis en place une démarche qualité ?
Une
équipe d'audit a été créée
dans le cadre du système d'informations. Avant
la réalisation des tests, cette équipe
a mis au point une checklist pour éviter que
certaines personnesn' oublient un certain nombre de
points essentiels.
Seulement 1 ou 2 applications stratégiques et concurrentielles
ont été testées par des sociétés
externes. Nous avons évalué le taux de couverture
de nos tests entre 60 et 80%.
Quels
sont les problèmes que vous avez rencontrés?
Un
certain nombre d'erreurs ont été corrigées
mais, tout n'est pas rerminé: l'échéance
est encore devant nous.
Gérard
Borel est entré à France Télécom
en 1974. De formation ingénieur (INSA Toulouse),
il a été diplômé d'un DEA
option automatique à Lyon. Il a occupé
différentes fonctions à Grenoble avant
d'être responsable du projet d'expérimentation
et de déploiement des services des cartes France
Télécom. Depuis avril 1997, Gérard
Borel est responsable du projet an 2000 à la
DSI de France Télécom.
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