Que de chemin parcouru entre le petit
OS confidentiel - utilisé en 1991 par un millier de passionnés -
et la flamboyante alternative qu'il est devenu dix ans plus tard !
Linux a su se frayer un passage vers les 20 millions d'utilisateurs
actuels, principalement localisés dans les enteprises -
selon l'estimation de A.D.H Brown Associates - mais aussi parfois
dans les administrations. Linux a su mûrir, Linux a su convaincre,
Linux a su s'imposer.
Glissade
Et le pingouin s'est glissé partout. Dans les postes clients,
à l'occasion. Dans les serveurs d'entrée de gamme
beaucoup plus souvent. Et parfois aussi dans les serveurs moyen
et haut de gamme. On a d'ailleurs surpris de gros mainframes d'IBM
en train de faire tourner des milliers de sessions de Linux, en
simultané.
Quid
du nouveau marché naissant ? Il n'y a quasiment pas
de grand fabriquant de serveurs qui ne coure après sa part
de gâteau. IBM multiplie les annonces à tous les étages,
depuis les serveurs Intel aux systèmes les plus colossaux.
Le géant a d'ailleurs investi dans un prestigieux show-room
à Manhattan, ainsi que dans un portail Linux sur son site
corporate. Sun est aussi de la partie, avec 400 développeurs
à temps pleins sur ses projets Linux. Même si son Unix
(Solaris) souffre clairement de l'ombre que l'OS de Linux Torvalds
lui prodigue. HP a de son côté lancé une version
de Linux spécialisée dans la sécurité,
et ses produits mettent de plus en plus souvent un pingouin dans
leur moteur. Quant à Dell, le challenger propose de livrer
une partie de ses produits avec Red Hat pour OS.
Linux perd son âme ?
Réjouissant ? Peut-être pas tant que ça :
une bonne partie des développeurs qui ont eu la chance de
participer au LinuxWorld du mois dernier sont revenus avec des sentiments
mêlés. Dans les couloirs de la conférence, la
ligne de fracture entre la communauté Linux traditionnelle
et les nouveaux arrivants était palpable. Signe qui ne trompe
pas : les Linuxiens déambulent encore en T-shirt et
en jeans, alors que le costume est de rigueur pour les commerciaux
des grands fabriquants. Linux n'est plus seulement l'affaire d'une
armée de hackers passionnés, le Pingouin est aussi
devenu une histoire de gros sous.
Preuve en est la bataille que se livrent
SCO (ex Caldera), Mandrake, SuSE et Red Hat pour une place de numéro 1.
Chaque éditeur cherche à devenir la référence
dans la jungle des distributions de Linux, et à ce petit
jeu c'est Red Hat qui semble être - commercialement - le plus
fort. Résultat : des arborescences de fichiers différentes,
des binaires qui doivent être spécifiquement compilés,
etc. Et si Red Hat comptait devenir l'unique référence,
c'était sans compter avec la combativité de ses adversaires :
quatre d'entre-eux se sont regroupés pour créer un
Linux "unifié" - United Linux. De quoi replonger
le Pingouin dans une période d'incertitudes, et l'empêcher
de grignoter de nouvelles parts de marché.
Linux payant ?
Les
craintes de la communauté Linux ne s'arrêtent pas là,
et c'est une trahison en bonne et due forme que certains anticipent.
Les éditeurs pourraient ainsi créer des versions propriétaires
de Linux, ou encore des distributions non conformes aux règles
que s'est fixée la communauté open-source, règles
symbolisées par le système Debian/GNU. Avec trois
grands dangers : la fragmentation de Linux, le gel de l'innovation,
et bien sûr le passage de certaines distributions - plus précisément,
de parties de distribution - sous licence, à des tarifs proches
de ceux pratiqués par les autres éditeurs de systèmes
d'exploitation.
Et leur crainte est sans doute fondée :
SCO, Mandrake, SuSE, Red Hat, etc ... sont des sociétés
commerciales, avec des objectifs qui paraissent - malgré
les déclarations de bonnes intentions - difficilement compatibles
sur le long terme avec ceux de
la communauté opensource.
Les éditeurs Linux en mauvaise posture seront sans doute
prêts à certaines concessions pour survivre. Ceux qui
sont en position dominante aurant la tentation de profiter de leur
victoire pour glisser dans un modèle plus proche de l'édition
classique.
Le
meilleur rempart contre ces dérives ? Sans doute la force
de la communauté opensource, qui n'est pas prête d'abandonner
son animal fétiche. C'est peut-être ce qui permettra
à l'OS de Linus Torvalds de demeurer ouvert et libre.
[Nicolas Six, JDNet]