La
technologie peer-to-peer se développe depuis deux ans
de façon fulgurante. Avec plus de 4 millions d'utilisateurs
à chaque instant et 700 millions de fichiers mis à la
disposition des internautes, les réseaux P2P permettent
à leurs utilisateurs d'enregistrer et d'écouter de nombreux
morceaux musicaux. Néanmoins 99% de ces fichiers restent
des uvres protégées et leur mise en ligne et téléchargement
demeurent interdits sans l'autorisation des auteurs
ou des sociétés de gestion collective de leurs droits.
Dans
le cadre des nombreux débats lancés depuis le début
de l'année dont une étape importante a été marquée par
l'annonce des projets gouvernementaux de lutte contre
la piraterie, le Forum des droits sur l'internet a souhaité
recueillir l'avis du public, des utilisateurs occasionnels
comme des heavy users de l'échange de fichiers musicaux.
Pour cela, il a organisé avec la FING (Fédération Internet
Nouvelle Génération) un forum de réflexion et a ainsi
recueilli près de 700 contributions sur ce sujet.
Avant
tout, et à côté du téléchargement de morceaux musicaux,
de films ou de logiciels, la technologie P2P offre de
nombreuses applications touchant un très grand nombre
de domaines et d'usages. Tel est le cas des applications
de messagerie instantanée, de partage d'idées, de stockage
distribué ou de partage de documents et de fichiers.
Le P2P permet également d'améliorer le travail collaboratif,
de développer des puissances de calcul, de permettre
un partage de connaissance ou de créer des réseaux de
proximité ou de secours. Ainsi, l'un des exemples les
plus frappant demeure le projet Decrypton. En 2001,
l'Association française contre les myopathies (AFM)
a mobilisé 75 000 internautes pour comparer 500.000
protéines du monde vivant dans le cadre des recherches
génétiques. Grâce à une solution de calcul distribué,
les recherches qui auraient nécessité 1170 ans avec
un seul ordinateur ont été rendues possibles en moins
de deux mois. C'est en raison de l'ensemble de ces apports
mais également du principe de neutralité technologique
que l'ensemble des utilisateurs se déclare opposé à
une interdiction ou à un filtrage pur et simple de ces
applications.
Oui
à la diversité
En
matière musicale, les internautes tendent à démontrer
qu'ils ne sont pas les brigands que l'on présente habituellement.
Constamment dénoncés par l'industrie musicale, les réseaux
P2P offrent la possibilité à leurs utilisateurs de télécharger
gratuitement de nombreux morceaux musicaux, malgré l'existence
d'une protection juridique par le droit d'auteur. L'étude
menée par le Forum des droits sur l'Internet et rendue
publique le 20 juin 2003, révèle trois grands enseignements
:
Tout
d'abord, les internautes revendiquent fortement un droit
à la diversité et une volonté de non alignement culturel.
Ils mettent en avant la possibilité de découvrir grâce
au partage des ressources de nouveaux artistes, des
uvres épuisées ou étrangères. Le P2P est donc un moyen
d'enrichir l'offre qui est proposée à l'utilisateur
final.
Ensuite,
les internautes se déclarent prêts à payer pour une
offre de qualité, avec un véritable service et se comportent
finalement en consommateurs exigeants. En premier lieu,
les utilisateurs contestent fortement le prix élevé
d'acquisition des uvres musicales et cinématographiques
dans les circuits actuels de vente, que ce soit dans
les magasins spécialisés ou au travers de plates-formes
de téléchargement payant de musiques ou de films. En
outre, nombreux sont ceux qui estiment que le téléchargement
joue le rôle de préparateur voire de catalyseur de l'acte
de consommation. Ils veulent tester avant d'acheter.
Malgré une croyance, fortement répandue, il semble bien
que les internautes continuent, dans leur grande majorité,
à acquérir, parallèlement au téléchargement, ces uvres
dans les circuits traditionnels de vente. D'ailleurs
ils soulignent que les fichiers disponibles sont parfois
dégradés (enregistrements pirates) et ne restituent
pas forcément la qualité disponible auprès de formats
traditionnels.
Enfin,
les utilisateurs se déclarent favorables à la mise en
place de systèmes innovants permettant d'assurer une
rémunération au titre du droit d'auteur et des droits
voisins, au travers, par exemple, de solutions de micro-paiement
ou par la mise en uvre d'une redevance déterminée en
fonction de la capacité de téléchargement offerte par
le fournisseur d'accès à l'internet, une telle redevance
étant nulle pour les abonnés au bas débit.
Non
au filtrage des fichiers
Le
troisième enseignement est que les internautes sont
réticents à un système de filtrage des fichiers mis
à leur disposition ou à une généralisation du contrôle
de l'activité de l'utilisateur par des acteurs privés,
susceptibles selon eux, d'être attentatoire à leur vie
privée. En particulier, ils contestent la collecte de
données personnelles réalisée par des personnes privées
tel que l'envisage le projet de loi de transposition
de la directive de 1995 sur la protection des données
personnelles, et souhaitent que seules les autorités
de police, y compris en matière de contenus pédo-pornographiques,
soient habilitées à conserver de telles informations.
Finalement,
les principales demandes des internautes s'adressent
à l'industrie du disque. Ils l'invitent fortement à
innover dans ce nouvel univers numérique et notamment
à diminuer le prix de vente de leurs produits, y compris
sur leurs plates-formes de vente en ligne. Les internautes
attendent des maisons de disque qu'elles développent
des produits interactifs à forte valeur ajoutée pouvant
susciter un plus vif intérêt.
Le
Forum des droits sur l'Internet va continuer à travailler
sur ces questions. Il organisera le 10 septembre un
débat public sur la musique en ligne, en présence du
ministre Jean-Jacques Aillagon, Pascal Nègre et CharlElie.
Par ailleurs, il rendra public son avis sur l'avant-projet
de loi de transposition de la directive "Droit d'auteur"
à la rentrée.
[I.
F-P.]
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