Paris, le
12 avril 2000
Il y a des
jours ou je me demande ce que je fous là dedans quand même ! Là,
étant ce petit monde des start-up internet!
Certes, je ne suis pas un enfant de coeur, évidemment je ne suis
pas "que" philanthrope et désintéressé... je suis comme beaucoup
: j'aime l'argent pour la liberté qu'il me procure. J'ai monté
quelques start-up dans ma vie, mais je ne me souviens pas l'avoir
jamais fait en ne pensant qu'à sa prochaine valorisation et en
ne pensant qu'à faire fortune très vite!
Mais même si je m'étonne de moins en moins de ce que j'entends
et ce que je vois dans le microcosme des
start-up, tout change ! Nous étions déjà quelques-uns à être agacés
par ces étudiants boutonneux ou ces jeunes consultants qui ont
tous comme points communs, de maîtriser Powerpoint et de chercher
"20 patates"! Hommage concordant et récurrent d'une génération
de "petits.com" à Bill Gates et à Parmentier.
Mais comme si cela ne suffisait pas, il y a quelques semaines
nous avons atteint (du moins je l'espère) les sommets du ridicule
et de la caricature. Avec "52 à la Une", mais surtout "Envoyé
Spécial", j'ai eu comme l'envie subite d'hurler (d'ailleurs je
l'ai fait). L'image des entreprenautes qui était donnée dans cette
émission par des journalistes en quête de clichés m'a un peu donné
envie de "gerber" (le terme est cru mais à ce stade je n'en trouve
pas d'autre). En clair, que retiendra le public d'une telle émission?
Qu'il suffit d'être jeune et de faire des "copier-coller"
d'idées américaines pour lever beaucoup d'argent et faire fortune.
Qu'il suffit d'être insomniaque ou de dormir sur un matelas en
mousse dans son bureau pour réussir. Que si on est sénateur, il
faut sagement attendre son tour pour demander conseil à un petit
jeune de 22 ans. Que si on travaille bien et qu'on ne compte pas
ses heures, et qu'on n'est pas trop pointilleux sur le droit du
travail, on sera bien noté par son patron et qu'on aura plein
de "bons points", bons points qui dans la net économie s'appellent
des "stock-options"...etc.
Enfin on croit rêver non?! Si je me souviens bien c'est à peu
près à ce moment-là que j'ai dû hurler, histoire de me réveiller
au cas où j'aurais simplement été en train de faire un cauchemar...mais
non, nous étions bien de retour au XIXeme siècle!!! Attention,
les jeunes entrepreneurs "vus à la télé", ne sont absolument pas
personnellement en cause, et qui plus est, pour en connaître personnellement
deux d'entre eux, ils ont tous les deux beaucoup de talent et
au moins l'un des deux est vraiment très sympathique (hors caméra).
En fait, la plupart se seraient fait piéger comme il l'ont été...
un peu de manipulation et beaucoup de montage et le film est dans
la boîte.
Bien sûr nous connaissons tous de "jeunes pousses" dont les dirigeants
(plus ou moins jeunes par ailleurs) ressemblent à ces caricatures.
Mais heureusement, nous connaissons aussi tous de jeunes entrepreneurs
qui ont envie de vivre une aventure humaine et de construire une
histoire appelée à durer. Bien sûr qu'ils rêvent de faire fortune,
mais ce n'est pas devenu leur unique moteur. Bien sûr qu'ils utilisent
les "stocks", mais pour attirer des talents et partager
le risque et la richesse, pas pour exploiter un peu plus. Bien
sûr qu'ils ne dorment pas beaucoup, parce que quoi qu'on en pense,
c'est toujours très difficile d'entreprendre en France, mais ils
ne demandent pas pour autant à leurs collaborateurs de rentrer
dans une secte et de sacrifier toute forme de vie autre que celle
de l'entreprise. Oui les "fricaunautes" existent, mais les entreprenautes
sont des milliers ! Ils sont là aussi, plus discrets certes, car
ils travaillent, ils intéressent donc beaucoup moins certains
médias.
Il ne faut pas que nous acceptions sans broncher l'image plutôt
antipathique des start-up qui commence à s'installer aujourd'hui
dans les médias et qui risque demain de toucher l'opinion publique.
Nous avons beaucoup à y perdre, ne serait-ce que la fierté et
l'enthousiasme que nous mettons tous à travailler dans ce secteur.
Aux Etats-Unis, le mouvement anti "dot-com" à déjà commencé
à s'installer et semble prendre de l'ampleur. Et ce mouvement
n'a pas pris naissance simplement parce que certaines de ces entreprises
n'ont pas tenu leurs promesses au Nasdaq ! Il a plutôt été une
sorte de cri du coeur, une sorte de ras-le-bol des "success
story" , des IPO, des cours du Nasdaq, de la pression permanente
des médias, de celle de son boss, qui subit lui même la pression
des marchés et des fonds de pension, marre d'avoir l'air d'un
ringuard sous prétexte qu'on bosse dans une entreprise traditionnelle
qui fait du chiffre, pire encore, qui fait des bénéfices, marre
de l'arrogance de "ceux qui savent", marre des "golden com", ras
le bol des dot.com !
Essayons, s'il n'est pas trop tard, de faire en sorte que ce ras-le-bol
ne traverse pas l'Atlantique. [Patrick Robin]