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TRIBUNE
  Y'a des matin, j'en ai ras la dotcom
par Patrick Robin (PDG d'imagiNet)

Paris, le 12 avril 2000

Il y a des jours ou je me demande ce que je fous là dedans quand même ! Là, étant ce petit monde des start-up internet!

Certes, je ne suis pas un enfant de coeur, évidemment je ne suis pas "que" philanthrope et désintéressé... je suis comme beaucoup : j'aime l'argent pour la liberté qu'il me procure. J'ai monté quelques start-up dans ma vie, mais je ne me souviens pas l'avoir jamais fait en ne pensant qu'à sa prochaine valorisation et en ne pensant qu'à faire fortune très vite!

Mais même si je m'étonne de moins en moins de ce que j'entends et ce que je vois dans le microcosme des
start-up, tout change ! Nous étions déjà quelques-uns à être agacés par ces étudiants boutonneux ou ces jeunes consultants qui ont tous comme points communs, de maîtriser Powerpoint et de chercher "20 patates"! Hommage concordant et récurrent d'une génération de "petits.com" à Bill Gates et à Parmentier.

Mais comme si cela ne suffisait pas, il y a quelques semaines nous avons atteint (du moins je l'espère) les sommets du ridicule et de la caricature. Avec "52 à la Une", mais surtout "Envoyé Spécial", j'ai eu comme l'envie subite d'hurler (d'ailleurs je l'ai fait). L'image des entreprenautes qui était donnée dans cette émission par des journalistes en quête de clichés m'a un peu donné envie de "gerber" (le terme est cru mais à ce stade je n'en trouve pas d'autre). En clair, que retiendra le public d'une telle émission? Qu'il suffit d'être jeune et de faire des "copier-coller" d'idées américaines pour lever beaucoup d'argent et faire fortune. Qu'il suffit d'être insomniaque ou de dormir sur un matelas en mousse dans son bureau pour réussir. Que si on est sénateur, il faut sagement attendre son tour pour demander conseil à un petit jeune de 22 ans. Que si on travaille bien et qu'on ne compte pas ses heures, et qu'on n'est pas trop pointilleux sur le droit du travail, on sera bien noté par son patron et qu'on aura plein de "bons points", bons points qui dans la net économie s'appellent des "stock-options"...etc.
Enfin on croit rêver non?! Si je me souviens bien c'est à peu près à ce moment-là que j'ai dû hurler, histoire de me réveiller au cas où j'aurais simplement été en train de faire un cauchemar...mais non, nous étions bien de retour au XIXeme siècle!!! Attention, les jeunes entrepreneurs "vus à la télé", ne sont absolument pas personnellement en cause, et qui plus est, pour en connaître personnellement deux d'entre eux, ils ont tous les deux beaucoup de talent et au moins l'un des deux est vraiment très sympathique (hors caméra). En fait, la plupart se seraient fait piéger comme il l'ont été... un peu de manipulation et beaucoup de montage et le film est dans la boîte.

Bien sûr nous connaissons tous de "jeunes pousses" dont les dirigeants (plus ou moins jeunes par ailleurs) ressemblent à ces caricatures. Mais heureusement, nous connaissons aussi tous de jeunes entrepreneurs qui ont envie de vivre une aventure humaine et de construire une histoire appelée à durer. Bien sûr qu'ils rêvent de faire fortune, mais ce n'est pas devenu leur unique moteur. Bien sûr qu'ils utilisent les "stocks", mais pour attirer des talents et partager le risque et la richesse, pas pour exploiter un peu plus. Bien sûr qu'ils ne dorment pas beaucoup, parce que quoi qu'on en pense, c'est toujours très difficile d'entreprendre en France, mais ils ne demandent pas pour autant à leurs collaborateurs de rentrer dans une secte et de sacrifier toute forme de vie autre que celle de l'entreprise. Oui les "fricaunautes" existent, mais les entreprenautes sont des milliers ! Ils sont là aussi, plus discrets certes, car ils travaillent, ils intéressent donc beaucoup moins certains médias.

Il ne faut pas que nous acceptions sans broncher l'image plutôt antipathique des start-up qui commence à s'installer aujourd'hui dans les médias et qui risque demain de toucher l'opinion publique. Nous avons beaucoup à y perdre, ne serait-ce que la fierté et l'enthousiasme que nous mettons tous à travailler dans ce secteur. Aux Etats-Unis, le mouvement anti "dot-com" à déjà commencé à s'installer et semble prendre de l'ampleur. Et ce mouvement n'a pas pris naissance simplement parce que certaines de ces entreprises n'ont pas tenu leurs promesses au Nasdaq ! Il a plutôt été une sorte de cri du coeur, une sorte de ras-le-bol des "success story" , des IPO, des cours du Nasdaq, de la pression permanente des médias, de celle de son boss, qui subit lui même la pression des marchés et des fonds de pension, marre d'avoir l'air d'un ringuard sous prétexte qu'on bosse dans une entreprise traditionnelle qui fait du chiffre, pire encore, qui fait des bénéfices, marre de l'arrogance de "ceux qui savent", marre des "golden com", ras le bol des dot.com !
Essayons, s'il n'est pas trop tard, de faire en sorte que ce ras-le-bol ne traverse pas l'Atlantique. [Patrick Robin]