L'IA, catalyseur pour l'Éducation populaire
De la promotion du logiciel libre à l'IA, en passant par la structuration de communautés en ligne partageant des connaissances et des compétences, le numérique est un vecteur vital de l'éducation populaire.
Pour autant, souvent abordé comme un « outil technique », son impact émancipateur au profit de l’apprenant est parfois sous-évalué. De son appropriation par tous dépend à la fois une amélioration de l’éducation au sens large du terme, mais aussi l’innovation démocratique et sociale.
Une vision plurielle de l’Education populaire à l’image de la société
L’éducation populaire est par essence difficilement définissable. Introduisons-le en soulignant donc ses éléments de consensus : l’appropriation de l’éducation par chacun dans une dimension émancipatrice et participative. Intimement démocratique par essence, elle favorise l’émergence d’appropriations sémantiques diverses, à l’image du pluralisme des opinions dans notre système de gouvernance. Dans ce texte, nous souhaitons questionner son évolution à l’aube de l’IA.
Ainsi, inéluctablement, portées par la question du temps libéré et de son utilisation à des fins émancipatrices, l’éducation populaire se retrouve aujourd’hui à devoir prendre en charge et s’impliquer dans une nouvelle révolution : celle portée par la technologie de rupture que représente l’IA.
L’appropriation démocratique de l’IA et son intégration dans les activités actuelles pour les rendre plus efficientes est la garantie d’une application « humaine » et pragmatique qui prône l’autonomie. Si nous devions le résumer en un néologisme, l’IA est un appel à tous les “eDconoclastes”, en cela que l’éducation populaire catalyse l’éducation en supplément du système d’éducation publique.
L’appropriation de l’intelligence artificielle éducative par l’éducation populaire
“Un des problèmes que nous avons à l’heure actuelle, c’est que le numérique est certes reconnu comme un enjeu de société, mais qu’il reste identifié comme un sujet technique malgré tout.”
Cette citation, issue d’un texte intitulé “Pourquoi faire de l’éducation populaire au numérique ?” publié par Framasoft, association de l’éducation populaire au numérique, résume tout l’enjeu de voir se développer ce type de cadres pour l’IA. Il s’agit, en effet, de généraliser l’apprentissage des compétences propres qu’exige l’intelligence artificielle, et notamment l’IA générative, à travers les outils pédagogiques développés par l’éducation populaire.
Le think-tank international United Sigma Intelligency Association exprimait que “les ministères de l’éducation devraient déclarer l’augmentation du niveau des connaissances comme un objectif national pour l’éducation”. Alors que les nouvelles générations ont accès à une quantité quasi illimitée de savoir entre leurs mains, beaucoup se questionnent sur l’apparente baisse du niveau cognitif et l’illectronisme. Peut-être simplement dû à un biais de perception qu’il nous faut entendre et qui doit être au cœur des sujets d’éducation populaire justement : disposer de connaissances factuelles n’est plus en soi un élément discriminant, c’est l’aptitude à identifier les informations pertinentes, les traiter et les exploiter dans le cadre d’une vision holistique qui domine.
Le projet éducatif Stellia, issu une nouvelle fois de Paris-Saclay, anciennement “professeur Bob”, propose justement une IA qui se focalise sur cette approche à la fois émancipatrice et autonome, pour rechercher, structurer et traiter les informations dans un flux initialement destiné au supérieur et maintenant aux entreprises et aux apprenants plus largement. Oui, les nouveaux outils offrent désormais la possibilité de se former en dehors des institutions.
Le cœur du sujet est donc une appropriation de l’IA par les individus eux-mêmes, soutenue par l’éducation populaire, en particulier celles et ceux qui ne sont pas “des techniciens”. Que ce soit par l’intermédiaire de grands groupes ou de startups, peu importe, cet enjeu démocratique doit favoriser l’émergence des collectifs et des communautés où se déploient des projets d’intérêt général, notamment des objectifs d’émancipation et d’épanouissement grâce à la technologie. C’est d’ailleurs sur ces deux derniers thèmes que la Ligue de l’Enseignement de Nouvelle-Aquitaine a organisé avec brio des journées, début 2024, témoignant de la prise de conscience qui s’opère.
L’appropriation de l’IA éducative par les structures associatives ne peut avoir que des vertus : l’IA est un enjeu de société qui pose de nombreuses questions, et les pratiques de l’éducation populaire apportent des réponses adaptées à la réalité des apprenants.
L’Education populaire doit aussi s’approprier “l’outil” IA pour poursuivre son évolution : l’exemple du périscolaire.
En exploitant l’IA, il devient possible pour les acteurs de l’éducation populaire d’améliorer et de diversifier les activités proposées. Nous vous proposons un exemple : l’encadrement des temps périscolaires du secteur K12. L’animation périscolaire est variable sur le territoire. Elle est à la charge des communes dans le secteur public, tantôt via des associations, tantôt via des agents et vacataires communaux, tandis que dans le secteur privé, elle est à la charge des établissements la plupart du temps. On y retrouve les temps d’étude encadrés, les ateliers de spécialisation et surtout les animations qui favorisent implicitement l’acquisition des habiletés sociales, à ne pas négliger.
Ainsi, l’IA pourrait jouer un rôle clé dans la coordination entre enseignants et animateurs, en facilitant les échanges entre ces deux corps structurellement indépendants et en permettant un meilleur suivi pédagogique entre les enseignements vus en classe et les activités proposées durant les TAP. Si, dans un cas, l’enfant est un élève investi de la fonction d’élève et, dans l’autre cas, un enfant engagé dans son devenir citoyen dans le cadre d’activités de plaisir, son profil et ses besoins sont souvent identiques sur ces deux temps, et les éducateurs sont trop souvent démunis de données pour les accompagner au mieux. Les outils d’IA peuvent ainsi analyser les besoins spécifiques des élèves et proposer des activités d’animation adaptées qui complètent les besoins scolaires, tout en respectant les objectifs éducatifs fixés.
Au-delà des applications dans l’animation périscolaire, l’IA pourrait également transformer la manière dont l’éducation populaire est structurée et dispensée. Nous posons le postulat qu’elle peut aider à personnaliser les apprentissages en fonction des rythmes et des préférences de chaque apprenant, rendant ainsi l’éducation plus inclusive et accessible. En analysant les données collectées sur les habitudes et les progrès des participants, l’IA pourrait recommander des parcours d’apprentissage individualisés, adaptés aux capacités et aux besoins de chacun, contribuant ainsi à une éducation plus équitable.
En intégrant l’IA dans ses processus, l’éducation populaire pourrait non seulement améliorer l’efficacité de ses activités, mais aussi renforcer son rôle de moteur de l’innovation démocratique, sociale et éducative. Cela ouvrirait la voie à une nouvelle ère où la technologie et les valeurs de l’éducation populaire se combineraient pour offrir des solutions novatrices et inclusives, et dans le meilleur des cas, en interaction avec le projet éducatif porté par le corps enseignant.