L'IA entre eldorado et farwest : les assureurs en première ligne
La révolution IA bouleverse de nombreux secteur, dont celui de l'assurance. Elle brouille les frontières et apporte son lot de nouveaux risques, mais également de nouveaux besoins pour les assurés.
C’est à Paris qu’OpenIA vient d’installer sa nouvelle filiale européenne, un peu plus d'un an après son arrivée au Royaume-Uni. Signe, s’il fallait s’en convaincre, que l’IA générative entend bien être là pour durer.
Comme toute révolution qui se respecte, celle de l’IA s’annonce d’ampleur, déjà comparée à celle du Web grand public des années 2000. La révolution du tertiaire. Mais concrètement, quelles en sont les implications pour nous, en tant qu’assureur, en tant qu’entreprise, en tant qu’employeur ?
Nous faisons bien face à un phénomène global depuis la notable entrée en scène de ChatGPT en novembre 2022. L’IA conversationnelle avait alors réussi à conquérir 1 million d’utilisateurs en à peine 5 jours, là où Netflix a mis 3 ans et demi pour atteindre la même performance.
Nouveaux risques, nouveaux besoins pour nos assurés
« Développeur augmenté », « conseiller augmenté », « créatif augmenté », aucun métier ne semble pouvoir échapper à l’extension de soi et à la démultiplication des capacités promise par l’IA. De la génération de contenus (textes, images, mais aussi vidéo, lignes de code et app mobile), au traitement des données massives ou pas, en passant par l’optimisation et l’enrichissement des « Interfaces Homme / Machine » via les chatbots et autres experts virtuels, le champ des possibles ouvert par l’IA est proprement vertigineux.
En 2023, McKinsey estimait entre 2.6 et 4.4 trillions de dollars les potentiels gain de productivité permis par l’IA pour 2024. Pas étonnant que les entreprises s’en emparent, comme dans la Tech où l’adoption est massive : dans notre dernier « Baromètre des Dirigeants de la Tech - OpinionWay pour Hiscox », 46 % d’entre elles déclarent utiliser l’IAGen, dont plus de la moitié depuis 2023 seulement. Les risques sont néanmoins nombreux, quel que soit le secteur.
Redéfinition des contours de la responsabilité civile
On pense en premier lieu aux enjeux autour de la propriété intellectuelle, véritable challenge pour les acteurs de la communication, du marketing, du digital, des médias. Comment bien protéger une production dès lors qu’elle est réputée appartenir ouvertement et officiellement à OpenIA ou à tout autre éditeur d’IAGen ? Quels recours possibles lorsqu’un logo, une création, un texte, du code ont été utilisé pour générer un « nouveau » contenu : simple inspiration ? plagiat ? S’il est encore trop tôt pour que des contentieux puissent venir éclairer par la jurisprudence ces questions, il est de notre devoir en tant qu’assureur d’anticiper tous les scénarios possibles pour protéger au mieux nos assurés et les accompagner dans leur croissance. Nos experts ont d’ores et déjà étudiés des scénarios pour pleinement anticiper la bonne gestion des sinistres. Par exemple, un cabinet de conseil en stratégie utilisant une intelligence artificielle pour traiter et analyser les données d’un client mais aussi pour formuler des recommandations sur cette base pourrait subir les conséquences d’une configuration incorrecte de l'IA. Cela pourrait entrainer la publication accidentelle de ces données dans un rapport destiné à un autre client et exposer des informations confidentielles à des tiers non autorisés. Dans cette éventualité, Hiscox prendrait en charge les frais de défense de notre assuré s’il était attaqué pour négligence et violation de la confidentialité, ainsi qu’une condamnation à l’indemnisation des Pertes Financières si elle était prononcée par le juge.
Autre scénario possible : une entreprise de communication pourrait utiliser une IA pour créer du contenu publicitaire pour ses clients. L'IA pourrait générer des textes fortement similaires à une campagne de publicité célèbre d'une autre marque du même secteur. Cette dernière pourrait attaquer le client de l’assuré pour concurrence déloyale et parasitisme. Le client pourrait aussi attaquer l’assuré pour négligence. Hiscox désignerait alors un avocat pour représenter l’assuré sur les deux fronts. En cas de condamnation, Hiscox rembourserait le montant mis à la charge de l’assuré.
Extension des pouvoirs à usage malveillant
Autre enjeu, celui de la cybersécurité, car l’IA est aveugle à la malveillance de ceux dont elle décuple les capacités, à savoir les hackers et autres cybercriminels.
Nous avons tous et toutes été troublés par la facilité avec laquelle l’IA pouvait imiter « le style humain », que ce soit à travers la composition d’une chanson à la Nick Cave ou à travers une vidéo deepfake de Taylor Swift. Il sera bientôt très loin le temps où l’on pouvait détecter une tentative de phishing par des anomalies de forme ou des fautes d’orthographe. Bientôt, les attaques seront plus vraies que nature et exploiteront d’autant mieux les vulnérabilités humaines dont on sait qu’elles représentent une porte d’entrée plus facile pour les hackers que les vulnérabilités techniques. C’est donc un enjeu fondamental pour un assureur spécialiste, comme Hiscox, d’accompagner ses assurés sur tout le volet de prévention contre les cyberattaques « boostées » à l’IA.
Révolution artistique et mutation du marché de l’art
Enfin, comment ne pas parler des frontières de l’Art que l’IA générative brouille chaque jour un peu plus. Certains collectionneurs et amateurs d’art aguerris se montrent assez sceptiques et critiques, considérant que l’art numérique n’est « pas vraiment » de l’art. Il n’en est pas de même pour les néo-collectionneurs, qui feront sans doute le marché de l’Art de demain, comme le révèle notre dernier Rapport Hiscox « Art + IA » 2024. 39 % envisagent d’acheter de l’art généré par IA et 26 % considèrent que cette forme artistique pourrait atteindre des niveaux de prix semblables à ceux de l’art traditionnel créé par des humains. Ce chiffre monte même à 56 % chez les jeunes amateurs d’art. En tant qu’assureur historique des collections privées et des expositions d’art, nous nous devons d’accompagner nos assurés dans cette évolution du statut de certaines œuvres d’art.
Nouvelles opportunités, nouveaux défis en tant qu’employeur
En tant que compagnie d’assurance, nous n’échappons pas à cette vague de fond qu’est l’IA. Tout comme n’importe quelle entreprise, elle constitue une formidable opportunité en termes d’efficacité opérationnelle, de productivité et donc de croissance. L’automatisation de tâches à faible valeur ajoutée peut nous permettre de libérer du temps pour nous concentrer sur les activités à forte valeur ajoutée. Ainsi, les équipes de Hailo (Hiscox AI Laboratories - l’outil IA propriétaire de Hiscox lancé en 2021) collaborent depuis 2023 avec Google Cloud pour développer un outil de souscription fiable et automatisé. Il permet de réduire drastiquement les délais d’établissement d’un devis, passant de plusieurs heures (voire jours) à quelques minutes, y compris et surtout sur des dossiers complexes. Une première mise en marché a eu lieu cet été au Royaume-Uni, avec d’excellents retours des courtiers “pilotes”. Hiscox est déjà reconnu pour la qualité de ses équipes et pour son sens de l’humain, qui s’illustrent particulièrement au moment de la gestion d’un sinistre. L’IA pourra à terme nous permettre d’exceller encore plus sur ces piliers fondamentaux de notre ADN.
Qui dit automatisation dit aussi enjeux RH, qu’il ne faut pas sous-estimer pour anticiper et ne pas subir la nécessaire évolution de nos métiers. Toujours selon McKinsey, 70 % des travailleurs risquent de voir plus de 50 % de leurs activités automatisées dans les prochaines années. L’IA va obliger nos collaborateurs à travailler différemment, à s’adapter et à s’approprier des outils dont on n’imaginait pas qu’ils puissent exister il y a encore à peine 2 ans : à désapprendre pour réapprendre à travailler différemment. Nous nous devons d’accompagner ce nécessaire développement de compétences, car nos collaborateurs sont notre capital le plus précieux. Aussi nous multiplions les formations et interventions en interne d’experts sur ces sujets et sommes proactifs dans le test et l’adoption d’outils innovants. Nous avons été parmi les rares entreprises françaises choisies par Microsoft pour implémenter en avant-première l’outil Copilot avant son déploiement plus large.
Nous sommes donc à un moment charnière, celui où les fantasmes de la science-fiction deviennent réalité et prennent forme sous nos yeux. Entre vertige et excitation, il nous appartient, en tant qu’assureur habitué à anticiper et à regarder loin, de relever le défi de l’accélération de l’IA générative grand public. Nous avons su le faire avec le Web, nous savons déjà le faire avec l’IA.
Sources :
- Baromètre des Dirigeants de la Tech - OpinionWay pour Hiscox, 2024
- Rapport Hiscox « Art + IA », 2024
- The economic potential of generative AI: The next productivity frontier, Rapport McKinsey Digital, 2023