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Frédéric Bastok,
Gaël Duval,
Jacques Le Marois
(Fondateurs de MandrakeSoft)

Libres comme Linux


C'est en partageant sur le Net leur passion des logiciels libres que les trois "mandrakiens" ont créé un éditeur de distribution Linux. Aujourd'hui, leur société emploie 120 personnes et rivalise avec ses concurrents américains.

MandrakeSoft est née sur le Net", déclare fièrement Gaël Duval, l'un des fondateurs de la société éditrice de la distribution de Linux Mandrake. Et plus précisément en novembre 1997. Objecteur de conscience et passionné par Linux, le système libre encore réservé aux passionnés d'informatique à l'époque, Gaël Duval décide de créer une distribution de Linux plus conviviale et ergonomique que les autres. Le système Linux étant une "propriété collective", les entreprises peuvent en fabriquer leur propre version à partir d'un ensemble de briques libres qui correspond à leur vision du marché. Le pari technologique était audacieux mais nécessaire, affirme Gaël Duval, car "les interfaces existantes étaient essentiellement en mode texte. Il fallait apporter une interface graphique plus conviviale."

Pour mettre ses idées en application, il se base sur la distribution de Red Hat, le leader américain du secteur, et intègre rapidement l'environnement graphique KDE, dont la première version venait de sortir. "C'est un avantage indéniable des logiciels libres, s'enthousiasme-t-il : chacun est libre de reprendre le travail laissé par ses prédécesseurs, sans souci de copyright ou de brevets. Cette liberté 'participative' est réellement ce qui nous attire, parce qu'en même temps, elle inclut une notion de respect et de partage des connaissances au niveau planétaire."

Lorsqu'ils plongent ensemble dans l'entrepreunariat, les trois hommes ne se sont encore jamais rencontrés physiquement...

Dès juillet 1998, une première version du système était prête et tenait sur un CD-Rom. "Mais je voulais trouver des sites de téléchargement accueillants, explique Gaël Duval, pour proposer le produit au monde entier." Peu de temps après, la distribution Mandrake est disponible sur le site FTP de l'université de Strasbourg, et annoncée sur le site américain Slashdot.org. Satisfait de cette première étape, Gaël Duval s'offre quelques vacances. "A mon retour, des centaines de messages dans ma boîte aux lettres m'ont fait réaliser le succès de l'opération. Certaines sociétés commençaient même à revendre le produit repackagé dans des boîtes aux Etats-Unis et en Australie." La deuxième étape peut commencer.

Gaël Duval (27 ans) rencontre deux autres linuxiens "passionnés par cet esprit de liberté qu'on trouvait sur Internet et abonnés aux mêmes listes de diffusion que moi". Avec Frédéric Bastok (25 ans), alors ingénieur dans le BTP, et Jacques Le Marois (32 ans), consultant chez Andersen Consulting, ils décident de créer une société pour lancer leur "produit". Particularité : lorsqu'ils plongent ensemble dans l'entrepreunariat, les trois hommes ne se sont encore jamais rencontrés physiquement… C'est chose faite peu de temps après et pas question de trainer en route : la société embauche son premier salarié le 15 décembre 1998, loue ses premiers locaux en janvier dans le vingtième arrondissement de Paris et son premier produit sort en février. "Nous préparions nous-mêmes le conditionnement des produits, et partions les livrer en vélo", se remémore Gaël Duval.

"Les premiers investisseurs potentiels ne comprenaient pas comment une société avec autant de handicaps pourrait réussir."

Les premiers employés sont affectés au support client, une activité très importante dans le monde des logiciels libres. Mais les trois associés envisagent très vite leur internationalisation, et proposent une version anglaise du système. "Via Internet, nous avons négocié des contrats avec l'éditeur américain McMillan et le grossiste Kasper", précise-t-il. La consécration ne va pas tarder à arriver ("Les ventes de Linux-Mandrake ont décollé aux Etats-Unis", lancent avec fierté ses créateurs). Les ennemis aussi… "Bientôt, Mandrake n'existera plus", proclame en mai 1999, Bob Young, le PDG de RedHat.

Ce pronostic ne décourage pas MandrakeSoft, qui se lance dans la recherche des fonds : "Les premiers investisseurs potentiels ne comprenaient pas comment une société avec autant de handicaps pourrait réussir, se remémore Gaël Duval. Pour eux, nous combions trois facteurs rédhibitoires : être français, ne pas être le premier arrivé sur le marché et prétendre nous mesurer à d'importantes sociétés américaines comme Redhat." Pourtant, dès juillet, la société réalise sa première levée de fond auprès du FCPI d'AXA. A la fin de l'année, elle compte déjà une trentaine de salariés.

Tout s'est accéléré en 2000. Dopée par de nouveaux investisseurs comme Vivendi (via son fonds d'investissement Viventures) ou la banque Lazard, Mandrake Soft acquiert une nouvelle dimension et emploie désormais 120 collaborateurs, représentant près de vingt nationalités. Un peu plus de 120 millions de francs ont été levés depuis la création et la société a multiplié par cinq son chiffre d'affaires, qui était de 3,7 millions de francs pour son premier exercice. Une croissance impressionnante, même si, aux yeux des patrons de la société, elle n'est en rien incompatible avec "l'esprit Linux". Jacques Le Marois est catégorique : "Les fondateurs sont des évangélistes du monde Linux avant d'être des entrepreneurs. Comme nous avons toujours respecté les valeurs du logiciel libre et non une logique mercantile, nous sommes convaincus que c'est l'un de nos principaux facteurs de succès."

En 2001, MandrakeSoft compte poursuivre son expansion et consolider sa position de numéro 1 des ventes en France et aux Etats-Unis (selon PC Data), via l'ouverture de bureaux à Montréal et Berkeley, puis en Allemagne et en Asie. Une centaine de personnes devraient rejoindre l'équipe au cours de l'année prochaine. Au rang des priorités figurent les services et la société propose désormais une offre de formation.

Pour conserver son esprit d'origine, Mandrake Soft mise aussi sur un concept largement répandu dans la communauté des logiciels libres, la coopétition, sorte de compétition tempérée et sélective (une société peut par exemple affronter un concurrent sur un domaine et coopérer avec lui sur un autre). "Finalement, monter une entreprise, c'est pas si difficile!", déclarent les trois mandrakiens, avant de tempérer : "On a tout de même fait beaucoup de bêtises. Mais l'aventure n'est pas terminée..."

[Ludovic Blin, JDNet Solutions]